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J'irai marcher par-delà les nuages
1 juillet 2006

Le mot.....

Le mot est sorti du texte. En sortant il a brisé la phrase, et en a recouvert les lambeaux. Il a tout recouvert. Le mot. J’ai laissé le livre. Il n’y avait plus que le mot. Mille fois connu, et là, il était nu chargé d’une nouvelle évidence. Avec un goût de poison. J’ai laissé le livre. J’ai oublié le livre. J’avais le mot coincé dans l’œil. Une écharde. L’écharde. Celle plantée dans la chair du cerveau. A l’endroit de l’hémorragie. Le mot. De l’œil à la mémoire. Droit. Rigide. Tranchant même dans sa mollesse. Tranchant à cause de son insignifiance. J’ai du prendre le mot, l’arracher, le serrer, je crois que je l’ai gardé longtemps dans mon poing fermé. Je crois que je l’ai mis dans ma bouche, aussi. Je crois que je l’ai mâché, j’ai sucé chacune de ses syllabes. Je crois que j’ai fait passer ma voix dessus. Oui, j’ai entendu ma voix dire le mot. Plusieurs fois. Je savais que c’était lui que je cherchais. Banal. Trop banal. Trop simple. Comme l’évidence nouvelle. Comme la révélation. A force de raboter au même endroit, quelque chose ressort. Quelque chose que tu ne sais pas, et que pourtant tu sais. Alors le mot sort du texte, et tu le reçois comme si tu le découvrais. Dans l’œil, et après tu le pose sur ta voix pour vraiment savoir si c’est lui. Tu l’as toujours connu. Il est d’une banalité effrayante. Tu l’as déjà prononcé mille fois. Et là, dans l’œil du texte, il ressort et tu sais que c’est lui. C’est lui qui t’a trouvé. Tu avais beau te cacher. Le mot te trouve. Un jour.

Maintenant il est là, avec moi, devant moi, et dedans aussi. Il est là et il occupe tout l’espace. Il est là comme un ciel de ténèbre, avec un horizon sanglant. A la fois vulgaire, et médiocre et tellement lumineux, et si net, et si limpide, et si exact. Comme une croix dressée. Tu la connais cette croix. Les quatre horizons du malheur. Et le mot est inscrit en haut, trônant comme une chape envahissante, lourde. Le mot est là, il occupe tout l’espace avec ses bras de pieuvres hideuses. Il tient la mémoire, tous les fils de la mémoire, avec tous les autres mots, comme l’eau d’un marais une eaux puante, invisible. Mais puante. L’eau filandreuse d’un marais. A force d’user la langue il ne reste plus rien, sinon l’inusable. L’inattaquable. Comme vissé dans l’os. Mot citadelle, avec ses douves, ses créneaux. Mot déluge qui répand ses eaux insidieuses, comme un barrage qui cède brusquement. Le mot est rentré dans l’œil comme une catastrophe. Un accident de lecture. Et il est là, dans sa résonance, dans toute sa vibration. Avec l’écho qui ricoche dans tout le corps, et maintenant qui fait trembler la chair. Je sais qu’il a coloré toute mon enfance, je sais qu’il a été de chacune de mes aubes, je sais que j’ai reçu à chaque crépuscule son baiser de glace. Maintenant, en le disant, en le répétant lentement, en murmurant chaque lettre, tout remonte, tout revient, les champs de neiges, les landes, les déserts, les solitudes, le gris, le rouge, l’épaisseur des jours d’enfance, le tranchant des heures perdues. Ca arrive en vagues successives et noires, comme une marée de désespoir. Et le mot est là, disant toute cette vie, et toutes les peurs, et toutes les fuites. Et les naufrages. Il est sorti du texte comme un orage soudain, d’une brutalité incontrôlable. Sauvage. Ecrasant tout. Condensant l’espace. Réduisant la respiration à une suffocation, imprégnant la mémoire d’une moiteur insupportable. Poissant chaque souvenir. Mot canevas, mot trame, mot tressé dans ma fibre. Depuis toujours j’ai du brodé entre ses fils. Et aujourd’hui le grand drap est prêt. Le grand suaire noir. Le linceul des jours et des espoirs. Le lit du mot est prêt, bordé de silences. Pour les noces du passé, pour la dévoration de l’avenir. Il est promesse. Il est danger mille fois annoncé, il ouvre sur les terreurs, il est la voix du futur qui gueule sa haine au présent et sont arrivée prochaine, il est annonce, il est avertissement du destin. Il est tout ce qu’il m’a laissé, lui le père, en héritage, il est sa trace dans mon sang, il est son goût de cendre dans ma bouche. Lui le père, m’a laissé ce mot, le silence de ce mot, et le trou dans la langue que fait ce mot, quand il s’approche trop près du cœur. Il est sa métamorphose, il est sa résurrection du mal, il est la prière qu’il me souffle, il est sa voix. C’est le mot de ses yeux, de sa bouche crispée, sa seule prédiction.

Le mot s’appelle menace. Menace, c’est le mot. J’ai lu menace, et brusquement j’ai fermé le livre. Parce que c’est ce mot qui dit au plus près le début et le fin. Parce que c’est lui qui dit au plus juste cet abîme qui me brasse. MENACE.

Comme si chacun de mes gestes était sous sa protection, comme si chacun de mes rêves lui était destiné. Menace. Je pensais être dans l’urgence, je n’étais que sous la menace. L’urgence promet la guérison, le sauvetage, et on se précipite vers le futur pour se sauver d’un présent. Mais menace c’est autre chose. C’est n’attendre rien, sinon le pire. La menace emprisonne l’avenir et tous les temps, leur dicte leur soumission, invente les découragements, les abattements, les déceptions. Menace, c’est inventer le pays des accablements, des lassitudes, des torpeurs.

Maintenant je sais. Je sais le nom de cette ombre qui m’accompagne. Je sais qui murmure à mon oreille. Je sais qui habite avec moi, qui ricane au près e moi.

Menace, menace…..même mort, ses menaces rampent encore, comme des ordonnances imprescriptibles.

Le mot s’appelle menace.

Mon père s’appelle menace. Même mort il s’appelle menace, puisque demain….

 

Franck.

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Commentaires
F
Merci à vous qui êtes passer par ici déposer quelques mots, les votres au moins ne sont pas menaçants....
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P
Paradoxe que la réflexion si juste qui clot ton texte, sur la stase temporelle créée par la menace, jouxte un texte d'un dynamisme, d'un arrachement si décidé qu'il m'a tout de suite évoqué un début, une ouverture, une déclaration liminaire. <br /> <br /> Un bon début de roman je trouve.
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J
les maux sont sortis du corps<br /> Ils raniment de façon hallucinatoire<br /> l'éveil de la parole<br /> la nasse de nos souvenirs<br /> les prémices du sentir<br /> notre histoire ne va pas de soi<br /> elle reste à conquérir<br /> et résiste...
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Y
si tu connais le mot, si tu sais la menace, si tu l'as identifiée, alors peut être pourras-tu l'affronter et ne plus avoir peur de demain... difficile de dire quelque chose quand on ne sait rien ou si peu, juste ce que tes mots disent et ce qu'on perçoit entre les mots qui font tes phrases. Amitié. Ysa
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E
Encore un texte fort, trés fort.<br /> Ce mot en effet peut résonnner longtemps, trés longtemps. Combien même on pense l'avoir oublié, il nous rattrape un moment donné, et nous fait tressaillir.<br /> L'écho d'une menace minte fois répétée. Des années plus tard menace de ressurgir. Nous figeant parfois la nuit venue, nous scotchant à même le vide car on ne trouve rien pour la chasser.<br /> L'esprit vidé, vide, totalement vide, et contradictoirement plein de cette menace qui nous trace, qui nous glace.<br /> Ce n'était pourtant qu'un mot, qu'une phrase lancée, jettée, de par une colère qu'on lui échappe. Mais au vu de sa définition, ce mot et ses échos poursuivent encore...
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