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J'irai marcher par-delà les nuages
31 juillet 2006

Une étendue corrosive.......

Car il m’a fallut considérer les étendues devant et celles derrières. Et j’ai voulu les mesurer, comme si elles recélaient un savoir, peut-être un pouvoir. Et j’ai regardé longtemps ces espaces fragiles. Et j’ai additionné, et j’ai soustrait, et j’ai fait toutes sortes d’opérations vaines, inutiles. Et j’ai voulu peser chaque souvenir et chaque espérance. Et j’ai voulu équilibrer les plateaux du trébuchet à chaque pesée. Et j’ai pris des microscopes pour voir ce qui ne se voit pas, comprendre la molécule des rêves, étudier l’atome du moindre silence. Et j’ai lu les savants, et les sages, et les poètes. Et j’ai été scrupuleux, attentif, et les étendues devant et celles derrières restaient toujours aussi muettes et inconnaissables. Et j’ai étudié les astres et leurs mouvements secrets, et j’ai mélangé les siècles passés et les siècles à venir, et j’ai fait parlé les étoiles et j’ai interrogé les anges et même les démons, et plus j’avançais dans les étendues devant, plus les étendues derrières me paraissaient lourdes. Lourdes, si lourdes. Car il m’a fallut considérer toutes les étendues et n’être qu’un naufragé au milieu d’un océan de vagues amères. Car chaque leçon apprise fut une leçon oubliée, chaque connaissance un fardeau de plus.

***

Alors je flotte. Je flotte sans direction, considérant toujours les étendues devant et celles derrière, déchirant l’instant, écorchant les heures avec des mots, encochant chaque jour comme un bagnard, qui mesure le rêve à l’aulne de l’éternité. Prison sans porte, sans barreaux, simplement traversée de suspensions, de lassitude, d’affaissements inépuisables. Alors je flotte au centre de cet espace borné par les étendues devant et celles derrière. L’espace infime, vulnérable, précaire.

***

Faute d’aller loin, j’ai cru aller profond, j’ai cru traverser l’épaisseur de mes catacombes, briser l’arche gothique de ma mémoire, désensabler l’édifice ombrageux  enseveli sous les gravas des jours, des saisons, ces citadelles invincibles et arrogantes. 

***

Le temps fuit par les deux bouts comme une hémorragie de braises palpitantes, une messe d’adieux. Le temps fuit par tous les bouts avec cette indolente désinvolture.

***

Sur la page d’écriture il y a une tache. Juste à l’endroit du mot. Une encre noire. Epaisse qui absorbe. Elle n’est ni grande, ni petite. Elle est là, et elle absorbe. Chaque parole écrite semble y tomber, comme si elle était un puits, comme si elle trouait toutes les pages de la création. La tache. Récif inévitable où chaque mot se brise. Elle est le lieu de l’instant, comme si toutes les étendues de langue, celles devant, et celles derrière, venaient y mourir.

Il est une tache. Une souillure qui s’élargit sous ma peau, entre mes lignes. Souveraine. Corrosive. 

***

Qu’est-ce qui peut se dire une fois que tout a été dit ? Qu’elle est le premier mot qui vient, juste après les dernières paroles ? Quelle œuvre s’édifie sur les décombres de la langue ?

Car l’écriture n’est pas le radeau, elle n’a ni voile, ni rame, l’écriture c’est la mer, avec son infini mouvement, son infini tristesse solitaire. Elle épuise sans s’épuiser, elle s’étend sans rassembler, elle appelle sans jamais répondre. Nul secours dans ses vagues, nul pardon dans son écume, nul recours dans ses lancinantes marées. Que l’horizon qui se déploie. On ne traverse pas la mer. On ne traverse pas l’écriture.

***

Il y a une tache, juste à l’endroit du mot, large comme une mer. Une mer d’encre noire. Epaisse. Souveraine. Corrosive.

Franck.

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Commentaires
F
Parfois Ysa, on se sent qu'un pauvre instrument... une guimbarde dont les sons résonnent sur les dents...<br /> Bises
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F
J'aime beaucoup cette image du pain jeté sur l'eau, Michel...<br /> Bienvenu ici...<br /> A bientôt
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Y
C'est l'écriture qui nous traverse, nous ne sommes que l'instrument qui lui permet de se concrêtiser sous nos yeux
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M
Les fleuves vont à la mer, tant de connaissances tant de souffrances, jette ton pain sur l'eau tu le retrouvera.
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