Le plus court chemin pour le mot....
Je n’ai jamais rien lu d’aussi proche de ce que je ressens et de l’idée que je me fais de la poésie. Tout y est. Tout ce que je pourrais écrire tentera de redire en plus gauche, en plus maladroit, ces paroles lumineuses. Parfois un artiste, un poète un écrivain atteint une sorte de grâce. Brusquement tout se condense en même temps, les mots ruissellent comme une pluie généreuse laissant apparaître un arc-en-ciel. On pourra faire toutes les exégèses possibles, cette parole de Bobin reste pour moi la plus claire sensation de la poésie. La poésie on l’attrape avec les yeux et elle passe tout de suite dans le sang, elle inonde d’abord le cœur et la chair et bien plus tard elle monte au cerveau, d’ailleurs pas toujours, ce n’est pas obligatoire. Le cerveau. Dès que le cerveau s’en mêle, la poésie s’assèche, se désincarne, elle se vide de ses sucs, de ses odeurs, de ses nuances, et perdant ses larmes, sa nostalgie, elle s’éloigne et ses mots deviennent prétentieux, comme s’ils voulaient exister pour eux-mêmes. Les troubadours ne faisaient pas d’art, ils chantaient seulement, ils parlaient uniquement de cette délicieuse douleur d’amour, ils voulaient toucher la paupière des princesses ou leurs lèvres, ou leur peau, ou simplement leurs solitudes, leurs chagrins. Et ils ont inventé le souffle et le silence qui le dit. Ils enlevaient patiemment des siècles d’amures brutales. C’est eux qui ont blanchi la langue la première fois, à force de l’user sur des chemins de solitudes. Et à force d’user la langue ils ont trouvé de cœur des mots. Combien fallait-il en briser, des mots, pour obtenir une seule fois un cristal brûlant de tendresse ! Rejoindre un cœur est un voyage impossible. Alors chaque chant fut un chemin, chaque poèmes une étoile pour guider, et chaque mot un baiser. Rejoindre un cœur est une vraie folie, parce que les mots tombent, ils vous échappent et se brisent aussi facilement qu’un souvenir, ils ont besoins de toute votre attention pour rejoindre à force de couleur une parole juste et attendue. L’amour court sur la lame d’un sabre, un mot trop lourd, trop pesant et c’est la blessure, la rosée qui l’abreuvait, le nourrissait, se transforme en sang, c’est ce qu’on appelle le sang du poète. Franck. Ce qui suit est de C. Bobin, je n’ai pas les références du livre avec moi. " La parole poétique est une parole nue, sans appui. Elle se dissout dans l’air qui la porte. Elle s’efface dans la voix qui l’énonce. Ce n’est pas une parole intelligente. Elle n’est pas plus intelligente qu’elle n’est bête. C’est une parole délivrée du langage. C’est une parole détachée de tout – et même de soi. Elle ne propose aucun sens. Elle ne dit rien qu’elle-même. C’est une parole offerte. C’est une parole ouverte à l’offrande infinie. C’est l’offrande lumineuse d’une solitude à une autre. Elle rend la terre à la terre. Elle redonne notre vie à la vie. Elle redonne à l’éternel son goût de périssable. La parole poétique est une parole amoureuse. Elle invente – dans le temps de la dire et dans celui de l’entendre – une communauté invisible, une fraternité silencieuse. Dans le monde, à qui demande du pain, on donne une pierre. Dans l’amour, à qui n’ose demander, on donne l’eau fraîche d’une parole. " (Bobin)
Le plus court chemin pour le mot c’est le baiser.