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J'irai marcher par-delà les nuages
22 juin 2005

Stridence.....

Je crois avoir perdu la mémoire au fond d’une chambre d’enfance, la chambre noire des premiers cauchemars.
Expérience insignifiante, banale. L’ordinaire de l’enfance.
Mais quelque chose, ici, s’est cristallisé dans un silence absolu. Un silence noir.
Au départ il y a cette effraction de peur fulgurante, insondable, brutale qui réveille. Une peur comme un vertige à quoi rien de réel ne semble correspondre.
C’est une peur absolue puisqu’il n’y a pas de mot pour la dire. Elle est là comme si rien ne pouvait l’arracher. Elle vient de l’écoulement même du sang.
Du plus profond de cette peur j’ai appelé.
J’ai appelé avec des cris de sanglots.
J’ai appelé pour que la mère, le père viennent d’un coup d’aile dissiper l’horreur indicible, pour qu’ils viennent effacer la nuit.
Personne n’est venu. Personne n’est jamais venu.
Poussé par l’Autre de la peur je me suis levé quittant le chavirement du lit. Fuir. Rejoindre un continent clair. Rejoindre l’amour, la tendresse, la chaleur. Rejoindre la solidité du temps réel. Rejoindre un rivage. Rejoindre sans fin et pour toujours.
Rejoindre les bras de la mère.
Chaque pas m’éloignait de cette peur, chaque pas me rapprochait d’une autre menace. Impossible traversée.
Cette autre menace avait la force des yeux de mon père. Un regard sévère. Une face crispée. Un masque fait d’éclats de verre brisés d’où des reflets d’éclairs jaillissaient. Chaque pas me rapprochait de la menace de mon père de ce regard violent que je recevais en plein cœur à l’endroit même de la joie, de l’amour, de la lumière. A l’endroit même de l’enfance, du cœur battant de la vie.
Sa voix suivait le trajet précis de ses yeux, en avait la couleur, la brutalité de hache.
Il fallait que j’aille me recoucher, il fallait que j’arrête de pleurer. Il fallait que j’arrête ma comédie. Il fallait… il fallait……
Cette voix ne laissait aucun espace, rien qui ne permette le moindre espoir. Voix pleine de vacarme. D’écume.
En face de lui ma mère.
Silencieuse.
Ma mère qui le regarde. Ma mère qui me regarde. Ma mère que je regarde cherchant un salut, un souffle d’espace.
Je n’ai jamais vraiment compris ce regard.
Elle désapprouvait mais ne bougeait pas. Peut-être désapprouvait elle autant mon père que mon insomnie. Peut-être avait-elle peur.
Je n’ai jamais rien su de son immobilité, pourtant j’en ai encore la cicatrice aux contours frémissant.
Il y a dans cette scène quelque chose d’une violence banale et pourtant absolue. Une violence toute dans la contrainte. Violence accrue par l’économie des gestes. Presque silencieuse. Situation sans issue, sans espoir.
A chaque fois sans espoir.
Toujours sans espoir.
Alors je repartais lentement vers le noir, vers l’autre peur. Je repartais vers ma nuit constellée d’insectes, de gouffres, de forêts sans fond ; l’amour abdiqué, calciné de stupeur, enseveli par un revers de silence et une parole fendue par le fer.

Il y a une stridence dans la peur, une haute fréquence invisible, inaudible qui perdure. Je l’entends encore. Elle semble avoir toujours existé. Elle est là depuis le commencement des temps. Elle sera la dernière musique.

Alors je repartais vers le noir.
Encore aujourd’hui je repars toujours vers le noir.
Procession amère désarticulée.

Dans la peur il y a une stridence une haute fréquence. Quand la vie sature elle vient résonner avec cette stridence. C’est pourquoi les blessures ne se referment plus. L’âme à jamais reste recroquevillée, tassée dans le noir d’enfance. Lente décomposition de l’âme à la fadeur de cire.

La porte est à nouveau fermée. Silence étourdissant. Vertige obscur.
La nuit crépite sur un océan instable. Je suffoque. Noyade. Des algues filandreuses ondoient la gueule ouverte prêtent à mordre dans le gras du cœur, là où j’ai trouvé refuge.
J’ai fermé les yeux. Je vois un ciel où pullulent des ombres guerrières aux regards de père. Tonnerre d’absence.
Personne ne viendra.
Peu à peu l’incendie dévore mes résistances.
S’abandonner dans les trous noirs des galaxies affamées.
S’abandonner aux assauts de la solitude.
Glisser dans le vide du sommeil. Epuisement du monde. Mort de fatigue.
Mort.

Mes nuits furent longtemps écaillées d’angoisses. Une partie de moi est restée prisonnière de cette nuit archaïque et sauvage avec son cortège d’ombres.
Maintenant je suis de cette nuit d’enfance. Nuit sans réponse. Plus que la confiscation de la lumière c’est amour, la tendresse, la confiance qui à jamais furent dépouillées.
Abîme de nuit.
Je suis de cet appel qu’aucun baiser n’est venu apaiser, qu’aucune caresse n’est venue soulager.
Le monde et ceux qui le peuple sont restés définitivement muets.
Et moi sourd, chacun de son coté de la lumière.
A part cette stridence venue d’un néant infini et qui continue à me vriller les oreilles.
Vriller l’âme.
Nuit éventrée, blessée.

La stridence oblige à une crispation. Celle-ci se niche au creux du ventre, au creux fragile de l’oubli. Pesanteur sourde, constante. Tension des muscles de l’âme au lieu précis du corps par où l’hémorragie de vie s’écoule.

Franck.

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Commentaires
F
Merci à toutes de ces témoignages, a Alix si émouvante dans l'évocation de ses peurs d'enfances. Tout cela me touche. Mes "insomnies" ont prit une importance démeusurée. Elle ont été à l'origine d'une séparation de mes parents. Presque le divorce. De l'âge de quatre ans jusqu'à l'âge de onze ans. Depuis, d'une façon générale je ne me souvient que rarement de mes rêves. Alors je les fais éveillé.<br /> Merci Charlotte, d'être passée par ici c'est vrai que le diable n'aime pas les fessées, malheureusement les petites filles non plus.<br /> Chris, la promiscuité, de la chambres je l'ai connue jusqu'a sept ans aussi, et c'est bizarre, j'ai tout éffacé de ma mémoire... sauf mes reveils terrorisés. Cela devrait interesser Docteur Freud.<br /> Oui, Coumarine, nous connaissons tous ces moments miniatures, qui nous traversent pour le restant de la vie.<br /> Je vous embrasse toutes.<br /> Franck
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C
Moi, c'était du diable , avec sa longue queue et ses oreilles dressées sur sa tête que je cauchemardais .Je me réveillais et continuais à le voir danser sur le mur, sur les tentures de ma chambre d'enfant.J'hurlais.Mon père arrivait et me demandaitle pourquoi de mes cris.Son remède était:"Faisons une petite prière et le diable , tu verras, s'en ira.Rien n'y faisait...Une fois , mon père , dans sa chambre retourné, le diable réapparaissait et... mon père revenait...<br /> A la fin lassé, c'était la fessée...Remède radical!!!Le diable disparaissait de ma chambre.<br /> Charlotte.
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C
Un tout petit moment dans la vie d'un enfant sensible, un moment plus minuscule qu'une poussière<br /> Une tout petit moment miniature..<br /> Un père qui comprend rien à rien<br /> Une mère qui se tait<br /> Un enfant renvoyé à sa solitude plus coupante qu'une lame de rasoir<br /> Cicatrice toujours à vif<br /> Bises Franck
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A
J'ai connu la peur, la terreur nichée au creux du ventre, quand toute nouvelle-née j'ai vécu le désert de la solitude. Je n'en suis toujours pas guérie même si aujourd'hui elle s'exprime autrement que par les peurs et les cauchemars d'enfance. Même si, dans les moments de tendresse avec mes enfants, ces longs câlins et bercements, j'ai mis autant de baume en leur cœur que dans le mien.<br /> J'ai aussi été cette mère silencieuse face au père violent. Je désapprouvais mais me taisais. Je ne voulais pas lui faire perdre la face, ni son autorité face aux enfants. J'espérais que nos explications en tête à tête l'aideraient à évoluer. Il n'en a rien été. Aujourd'hui, il reste mon silence, ma passivité…et la détresse de mes enfants dont tu viens si bien de me faire prendre conscience. Il reste la violence du père et finalement son absence. Mon fils aîné m'a confié, il y a peu, que son père ne lui avait rien apporté. <br /> J'ai rêvé d'un père pour mes enfants, un père qui, par sa calme autorité, son amour bienveillant, saurait les rassurer et les aider à "s'élever". Mon silence préservait cette part de rêve en moi. Ce rêve s'est brisé sur la réalité du quotidien devenu insupportable. Silence inutile, silence vain et finalement blessant.<br /> J'ai rêvé d'un père pour mes enfants mais n'ai pas su le leur donner. Il reste en eux cette blessure ouverte, cette plaie béante où vient s'échouer leur chagrin et leur rancune. Il reste encore en eux cette soif du père, cette attente du père. Chacun la vit à sa façon, mais pour l'un d'entre eux, c'est, aujourd'hui, plutôt du côté de la perdition. Blessure dans mon cœur de mère.<br /> Alix
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C
...On a tous connu ces nuits-là. Je les connais encore quand je me reveille d'un cauchemard où l'on m'a arraché l'un de mes enfants, voire les deux, le réveil en sursaut et le coeur galopant, la sueur au front, et les frissons de l'âme. Et la peur tout de suite après que le rêve soit prémonitoire...Je dormais dans la même chambre que mes parents, et j'entendais mon père donner des coups de poings dans les côtes de ma mère parce qu'elle ne voulait pas se plier à ses désirs. La promiscuité de l'horreur ça vous marque à sept ans.La voix sourde et menaçante du père je l'entends aussi tu sais...<br /> <br /> Je t'embrasse Chris<br /> <br /> ps Bonjour Simone! ;)
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