Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
24 juin 2005

L'amor et la mourt.....

L'amour, la mort. Banalité des idées. La mort, la vie, l’amour, dans n’importe quel ordre.
A cette époque j'étais jeune marié. J’ai toujours été un jeune marié, nous avons divorcé après trois ans de vie commune. Avec Ghislaine nous passions nos vacances dans ma famille, chez mes grands-parents, en Dordogne. La maison était grande, en pleine campagne, posée au milieu d'une propriété qui nous isolait du monde. Devant la maison, juste devant, un étang d'eau turquoise transparente. Mon grand-père, c'est lui le héros du souvenir, n'en finissait pas de sa vie terrestre. Il s'ennuyait dans sa retraite.

C'était un homme bon. Vous voyez ce que je veux dire. Il était bon. Dans le fond de son âme il était bon. Pourtant il n'aimait pas l'humanité. Il était sans illusion sur les hommes. Souvent il regardait le monde en souriant, le reste du temps il buvait. Trop. Mais il avait l'ivresse impériale et triomphante. Certains soirs, grandiose. Gabin dans " un Singe en Hiver ". Il ressemblait à Gabin. Une tête puissante sur un corps puissant. Une peau de marin tatouée. Et dans son style s'était un vrai poète. Lui, il n'écrivait pas, il ne lisait pas. Il plantait des arbres. Pas quelques arbres. Des milliers. Il transformait les lieux qu'il habitait. Mais il ne parlait pas aux humains.

L'étang, c'est lui qu'il a inventé, d'abord dans sa tête. Après il fait creuser la colline. Il éventre la banalité, pour déposer cette grande flaque bleue au pied de sa maison. Il adorait les enfants. Pour lui les humains n'étaient supportables qu’en état d’enfance.

Il m'apprenait des grimaces, il me faisait fumer, il m'apprenait des gros mots, il me gavait de bonbons et me faisait boire du Pchit (je ne sais pas si c'est comme cela que ça s'écrit)à l’orange.

Toute sa vie il fut cuisinier. Aubergiste pour être précis. Mais ce n’est pas lui qui s’occupait de l’accueil des clients.

Même à la retraite il continuait, encore, à faire la cuisine, surtout l'été, quand la maison se remplissait. Sur la pâte des gâteaux de pommes de terre, avant de les mettre au four, il écrivait : " Je vous emmerde tous ", et hop au four. Il jubilait de voir la tête de tous quand le plat arrivait sur la table. Il aimait les animaux, surtout ses chiens et le perroquet (j’en ai parlé ici). Le perroquet dormais dans la cuisine, dans un grand cage. Un matin, mon grand-père c’est aperçu que le perroquet était couché sur le dos, les pattes en l’ai (mauvais signe pour un perroquet). Fuite de gaz. Pepé l’a saisit, sortit, a rentré le bec dans sa bouche et lui a fait la respiration artificiel, cela à duré un temps fou. Et le perroquet est toujours là.

Il parlait peu aux humains, à part aux enfants, mes cousines, ou moi, ou quand il était ivre. En fait, il préférait parler à ses chiens. Il avait inventé plein de mots, tout un vocabulaire, pour leur parler, des phrases incompréhensibles et mystérieuses. Quand il leurs parlait, c'était drôle de voir les chiens faire des mines, pencher la tête, froncer ou écarquiller les yeux, agiter la queue en couinant. Je l'aimais cet homme. Avec Claire, ma grand-mère, les choses n’allaient pas très bien. Ils se supportaient.
On passait nos vacances, avec Ghislaine.

Une nuit, nous ne dormions pas. La chaleur certainement. Comme en ce moment. Nous nous sommes levés. Toute la maison dormait en silence. Quelques rayons de lune éclairaient le grand salon. Les dalles étaient fraîches. Nous nous sommes assis sur la banquette. Et puis nos mains se sont égarées sur nos corps. Ses seins, ses cuisses qui s’écartent, nos bouches, nos salives mêlées à la sueur, les soupirs, les peaux qui se collent à cause de la transpiration, qui se frottent, les sexes qui se dénudent de plus en plus, qui se cherchent, qui s’appellent. Les chairs qui s’exaspèrent. Ghislaine s’est assise sur moi. Il ne fallait pas faire de bruit. Elle donnait de grands coups de bassin. Nos ventres cognaient, s’engluaient. J'avais saisi ses fesses pour aider ses mouvements. Elle respirait fort cherchant l’air la bouche grande ouverte. En revoyant la scène j’ai l’odeur de son corps qui revient, je sens ses cheveux qui chatouillent mon visage, et sous mes doigts la boursouflure de sa petite cicatrice dans le bas du dos. Ca n'a pas duré très longtemps. Intense. Ravageur. Nos corps n'étaient que des ombres. Des ombres secouées, convulsées. Nous sommes restés emboîtés un long moment. Mon sexe recroquevillé restait dans la chaleur du sien. Nous nous sommes recouchés. Appaisés.
C'est au matin que les choses ont basculées.
D'abord les hurlements de ma grand-mère dans le couloir des chambres. Mes grands-parents faisaient chambre à part. Leur corps ne se supportaient plus. Les hurlements. Elle criait : Georges ! Georges ! Tout le monde a accouru, ma tante, mes cousines, moi, mon père (il était là lui aussi). Ma grand-mère était face à la porte de la chambre de mon grand-père entrouverte, et elle hurlait. Georges !
Et puis les aboiements du chien à l'intérieur. Buck le boxer.
Alors on a vu. On ne pouvait pas rentrer, le chien était fou de rage, grognant bavant. Mais on a vu. Mon grand-père la tête congestionnée, tirant la langue.
Il était allongé, tout habillé, raide et il tirait la langue. On ne voyait que ça. Le chien voulait que personne ne rentre. Mon père toujours plus malin que les autres c'est avancé, le chien a bondit. Mon père a reculé. C'est moi qui ai parlé à Buck. Avec les mots de mon grand-père. J'étais dans une tourmente, mais j’ai pu retrouver les mots de chiens qu'il fallait. Je crois qu'on s'est compris. J'ai pu rentrer, le caresser, il m'a suivi. Pendant que tous se précipitaient autour du lit du mort. Moi, j'ai regardé Buck, le cerbère, s'éloigner calmement, il semblait effondré. Dans le couloir il ne s'est même pas retourné. De toutes façons, il savait ce qu'il y avait a savoir. Il savait qu'on ne lui parlerait plus jamais. Il est retourné à sa vie de chien.

Mon grand-père était déjà froid. Le docteur a dit embolie. Moi, je pensais qu'au moment où il expirait j'exultais dans le corps de Ghislaine. La vie, la mort, l'amour. Je pensais qu'il tirait la langue. Je me demandais quel vent avait pu souffler sur cette maison, durant la nuit. Il avait les traits apaisés, malgré sa langue en forme de pied de nez.
Je l'aimais cet homme. Je l'aime toujours je crois. En y repensant, je suis ému et content d'avoir pu accompagner ses derniers souffles par les gestes de l'amour. Je me dis que son âme s'est appuyée sur nos deux corps pour monter un peu plus haut. Sans doute, cela lui a donné l’élan nécessaire pour son envol. Tout est bon pour une âme.
Le jour de l'enterrement, j'ai voulu le porter. J'ai demandé, qu'on me laisse une poignée. Il était lourd. J'ai aimé cette lourdeur.
Bizarre, je ne pense jamais à la mort de mon grand-père avec douleur. Il faut comprendre, il tirait la langue, pendant que je faisais l'amour. Ce n'est pas triste.
La langue tirée, les fesses de Ghislaine, ses seins qui bougeaient juste devant mes yeux….L’amor et la mourt qui se tiraient la langue…

Franck

Publicité
Publicité
Commentaires
F
Cher Pant ce commentaire me touche profondément, surtout venant de vous. Et oui, votre ombre fulgurante vous précède.<br /> C’est vrai, nous lançons des mots à travers des souvenirs fragiles pour saisir ces instants où la lumière éclaire les portes mystérieuses…<br /> Il faut passer derrière les voiles emmêlés et troubles de nos vies, de nos amours et de nos morts pour entrevoir un petit bout de ciel. Et il nous faut mourir souvent…<br /> Merci, cher Pant, de m’associer à Quignard que j’aime infiniment….et sa pensée accrochée à des mots qui remontent les flots de nos mémoires incertaines, comme ses poissons perdus qui cherchent leurs sources, et qui meurent dans une éclosion de vie…<br /> Merci d’avoir pris le temps de déposer ici, ce si beau commentaire.<br /> Franck
Répondre
P
Ah, si l'amor était le voile d'argent de l'amour ?<br /> et quand la Parque coupe un fil, sa soeur ne caresse -t-elle pas un autre, qui lui fait naitre une belle jouissance.<br /> L'amor, la mort, l'amour, l'ame-our, region première des peuples, origine d'Abraham, Père de nos pères, origines de nos vies, de nos sens, au delà des déserts loin du sens, de soi, et un autre voile là de soie grège pour recouvrir les attraits de la promise, qui non soumise au temps, laisse toujours perler son être dans le moindre de ses baisers et gestes juvénils.<br /> <br /> Un superbe talent de conteur vous avez, qui me rappelle Pascal Quignard, un Quignard plus léger, un Quignard des lisières, mais fort de ses lumières.
Répondre
C
j'ai beaucoup aimé ce grand-père, et la façon dont tu nous l'a dépeint. J'adore les gens irrévérencieux, et moi aussi j'aurais jubilé à voir la tête des gens devant le gratin! Merci pour ce moment de sourires et de douce émotion, j'ai vraiment apprécié.<br /> <br /> Tendresse Chris
Répondre
F
Tu as raison Alix, certains moments de l'existance sont chargés de forces contradictoire la contradiction est souvent qu'un leure, elle masque une porte, il suffirait de l'ouvrir....<br /> Bises Alix<br /> Franck
Répondre
F
Je suis content, Simone que tu ai relevé la dérision aussi, souvent on est entre deux sentiment, le rire et les larmes, l'humour permet de mettre une distance qui rend acceptable, l'inacceptable.<br /> Bise<br /> Franck
Répondre
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
J'irai marcher par-delà les nuages
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 167 993
Catégories
Pages
Publicité