Le soleil se couche toujours deux fois......
Certains soirs nous nous faisions la lecture, à tour de rôle. On s’installait dans le salon, assis sur la moquette et chacun à son tour nous lisions un poème à l’autre ou un texte qu’on choisissait dans la bibliothèque. Nous nous racontions nos humeurs par poésie interposée. Nous nous disions notre amour ou un chagrin du jour. Même quand on s’aime fort, il arrive que quelques tristesses fugitives nous arrivent par l’arrière de la mémoire, un souvenir dépasse et voilà qu’on trébuche. Même les cœurs amoureux sentent parfois rouler sur un rire ou un soupir une larme de nostalgie. Les cœurs amoureux sont nus c’est pour cela qu’ils sont fragiles. Un soir, après le repas, Isabelle me dit qu’elle voudrait voir le soleil se coucher. C’était la fin du printemps, les journées étaient longues. Nous avons sauté dans la voiture, pour contourner la petite colline et nous fûmes en face du disque sanglant du soleil à l’horizon. Nous dominions la vallée de la Creuse. Nous nous sommes serrés l’un contre l’autre en fixant un soleil immense qui lentement disparaissait. Il faisait calme, il faisait bon dans l’air et dans nos âmes. A travers ma chemise je sentais la chaleur de son corps. Elle a posé sa tête sur mon épaule. Nous ne disions rien. Plus le soleil baissait, plus le ciel s’embrasait. Et puis j’ai compris que des larmes coulaient sur ses joues. Souvent s’était sa manière de parler, de dire que tout allait bien, qu’il ne fallait rien rajouter et rien enlever. Qu’elle était à un endroit serein de son cœur et que sa source de vie débordait légèrement histoire que ses larmes fertilisent un bout de terre pour que quelques fleurs sauvages s'y abreuvent. Bientôt le soleil fini par disparaître. Dans un immense fracas de rouge et d’ocre. Nous nous sommes regardés, j’ai baisé ses larmes. Je lui ai dit : " Viens…. Vite…. " Nous sommes remontés en voiture et à toute vitesse j’ai parcouru les quatre lacets qui nous séparaient du haut de la colline, j’ai freiné, nous sommes descendus. Et nous avons vu un morceau de soleil qui s’apprêtait à disparaître. Comme dans le Petit Prince. J’ai vu son visage, il n’y avait plus de larme, mais une expression que je ne lui connaissais pas, une expression claire et brillante d’enfant réjoui. Le soleil disparu pour la deuxième fois pendant que ses lèvres se posaient sur ma joue. Franck
Nous sommes rentrés doucement, enveloppé par la magie de cette soirée au deux couchers de soleil.
Arrivés chez nous sans se concerter nous sommes allés nous assoire sur notre coin de moquette, là où nous nous faisons la lecture, en silence nous avons allumé quelques bougie et un peu d’encens, et lentement chacun a choisi ses livres, pour les dire à l’autre. Je me souviens, en fond sonore il y avait Vivaldi, des petites sonates pour piccolo. Elle a lu quelques lettres de Juliette Drouet adressées à Hugo et quelques poèmes de Marceline Desbordes-Valmore, je lui ai lu des lettres de Joé Bousquet adressées à Poissons d’or, peut-être du Musset ou du Baudelaire, mais certainement du Calaferte. Nous nous appliquions à lire, pour ne pas tituber dans les phrases. Trouver le souffle, l’intonation qui convient, trouver la résonance avec le ventre. Voilà, trouver la voix du ventre, dans les graves, une voix basse, sourde qu’il faut aller chercher loin, très loin. Une voix qui s’essouffle un peu, à peine, mais qui pourrait s’éteindre si l’amour qui la portait venait à faiblir. La lecture finissait presque en murmure. Nos voix se faufilaient entre les lueurs et les ombres tremblantes des bougies. Ce soir là, nous avons lu jusqu’à épuisement des mots. Elle s’était rapproché de moi. Nous nous touchions et toujours nos voix qui s’ajoutaient l’une à l’autre dans ces drôles de berceuses, elles s’accouplaient, elles s’incorporaient, s’accueillaient, comme si les mots prononcés devaient d’abord atteindre la peau. Et quand la parole s’épuisa ce sont nos mains qui poursuivirent la lecture. Nos bouches muettes cueillaient désormais le reste des mots qui subsistaient sur nos lèvres, sur nos corps brûlants. Oui, je me souviens d’avoir bu de longues phrases autour de ses seins, et d’avoir rassemblé quelques alexandrins au creux de sons ventre et sur ses cuisses exaltées courraient encore des rimes sonores et sur son dos coulaient les débris d’un poème décomposé. Sa main sur ma poitrine caressait les restes d’une lettre d’amour et nos jambes conjuguaient tous les temps du verbe adorer. Nous avons échangé nos salives aux goûts de sonnets, effleuré nos visages à chaque couplet et nos corps enlacés dans une ode profonde redonnaient à la prose les couleurs du chant. Nous nous sommes endormis, nus entrelacés sur ce bout de moquette au milieu des livres ouverts et dans les lueurs des bougies fatiguées. Quand je me suis réveillé, le jour se levait, elle était étendue déshabillée de tous les mots de la langue, nue comme une offrande, j’ai simplement cueilli sur ses lèvres entrouvertes les lettres du mot amour, elles avaient résisté à nos jouissances et attendaient la rosée du matin pour s’offrir dans un dernier silence.