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J'irai marcher par-delà les nuages
28 août 2005

C'est la fin de l'été....

C’est la fin d’une saison qui n’en finissait pas d’accoucher de ses aurores de cendres. C’est le renouveau des chairs. L’apaisement du sang. Le temple opaque s’ouvre enfin comme un œuf énorme. Le soleil se couvre d’un juste voile de pudeur. Septembre est là, avec tendresse. Septembre est là comme une vague perdue qui retrouve la houle. C’est la fin de l’été, saison d’entassement. Les jours s’épuisent eux-mêmes. La lumière ne crie plus. Elle n’écaille plus les heures.

Sylvie était professeur de Français, avec un mari et quatre filles. Juste quarante ans tous les deux, ils se sont connus en faculté. Lui le Droit, elle la littérature. Plus de vingt ans ensembles. Des étés, des automnes. Ils ont connu toutes les saisons du cœur. Là ils vivaient à l’abri du temps. Ils commençaient à faire construire une grande maison. Elle, elle est souvent exaltée, passionnée par ses mots, ses phrases, son rôle de mère, ses élèves. Lui est timide, réservé, calme amoureux d’elle. Il s’occupe de tout à la maison, cuisine, ménage. De ses filles. Ils sont dans la perfection de l’époque, de la vie. Le soleil est indulgent en toutes saisons pour eux, ils n’ont pas de morsures. Même s’ils ne regardent plus leurs corps nus sous la douche, même si leurs caresses se font plus rares, tout va bien. Tout est bien. De la société qui fabrique de la société. C’est limpide. Interminable. Mais limpide. Lui, il a un secret. Il veut écrire. Mais il ne sait pas qu’écrire c’est dangereux. La mère de ses enfants qui est professeur de littérature ne lui a pas dit. On ne dit jamais ce qu’il faut. On bavarde pendant des années, des siècles presque, et l’essentiel on l’oubli. L’écriture ça brûle. La poitrine éclate et c’est un anéantissement. C’est inexorable l’écriture. Ca éventre les secrets. Ecrire c’est inviter le diable à sa table. Dans son lit. Dans ses caresses. Sous sa langue. C’est l’encre de la plume. L’encre rouge. L’encre de feu. Quand on écrit le diable regarde par dessus notre épaule. Jamais les dieux. Parce que les dieux ne savent pas lire. Sylvie dit que c’est avec le livre que tout c’est détraqué. C’est elle qui raconte l’histoire. Elle pleure beaucoup, maintenant. En racontant. Il faut bien comprendre, il était si bien. Parfait. Les copine me l’enviaient. Et puis il y a eu le livre. En plus il écrivait bien. Je le sais puisque c’est mon métier. Un professeur sait lire les écritures. Le soir, quand toute la maison était couchée, il écrivait, une heure ou deux. Il écrivait lentement. Sur des feuilles de papier. Il n’aimait pas l’ordinateur. Il avait une petite écriture serrée. Peut-être pour cacher la vérité des mots. Il ne me parlait pas souvent de ce qu’il écrivait. Juste que c’était une histoire d’amour. Il faut le savoir les histoires d’amour ne peuvent pas être écrites. Jamais. Et puis il a arrêté de parler. Il s’occupait de moins en moins de la maison. Il s’enfermait pour écrire qu’il disait. Je voulais savoir. Mais lui il ne disait rien. Il cachait ses feuilles écrites. Le matin il partait au bureau avec. A table il a commencé à boire du vin. Il faut bien comprendre qu’au bout de quelque temps ce n’était plus vivable à la maison. Les filles ne comprenaient plus. Qu’est-ce qui fait papa ? Papa, il écrit. C’est l’écriture qui a tout détruit. Il avait tout ça en lui. Depuis toujours. Des trucs impossibles. Parce que un jour j’ai lu. C’était une histoire d’amour. Non. C’était du sexe. A toutes les pages, presque. Des choses impensables. De la violence sexuelle à toutes les pages. Il écrivait bien pourtant. Parce que c’est mon métier, les mots, l’écriture. Moi aussi j’ai écris quand j’étais plus jeune. Mais lui, c’était que du sexe. Notre vie sous les draps était simple. Mais là quand j’ai lu, il y avait des viols, du sang, des enfants. Au début je n’ai pas voulu croire. Je me suis dit c’est de la littérature. C’est une façon d’extérioriser quelque chose. Au début j’ai cru que ce n’était pas grave. Que tout le monde fait ça, écrire des choses cochonnes. Et puis il y a eu toutes les histoires au bureau. La plainte contre lui. On l’a trouvé en train de se masturber. Il ne se cachait même pas. Plus de vingt ans qu’on était ensemble. Dans le même lit. Et puis le soir il commençait à partir dans la nuit. Seul. Il ne me disait rien. Il allait à Paris. C’est les gendarmes qui me l’on dit. Il voyait des filles. Mais, moi je l’aimais. Et puis les travaux de la nouvelle maison. J’ai eu l’impression de devenir folle. Le livre je ne l’aimais pas. C’était lui, mais ce n’était plus lui. Je n’arrivais plus à dormir. Alors j’ai pris des cachets. Il était pareil et complètement différent, à cause du livre. Une nuit la police est venue frapper a la maison. Ils venaient de l’arrêter. Ils m’ont posé des questions. Sur lui. Sur nos filles. Quoi nos filles ? Oui, vos filles, rien d’anormal ? Parce que moi, je n’avais rien vu. Elles adoraient leur père. Je ne pouvais pas penser à ça. Il a essayé le salaud. C’est la grande qui me l’a dit. Il a essayé avec elle. Il l’a caressé. Mais il n’a pas était plus loin. Celle est qui me l’a dit. Pas plus loin. Il lui a touché ses seins et son sexe. Touché seulement. Mais elle m’a dit qu’elle ne lui en voulait pas. Que papa était fou, qu’il fallait le soigner. Il a essaye avec celle qui avait dix ans, mais sa grande sœur l’a protégé. Moi, je ne voyais rien. Vous vous rendez compte, sous notre toit, et moi qui ne voyais rien. Il a voulu qu’on parle. Je ne voulais pas au début. Après j’ai dit oui. Il m’a expliqué. Il a pleuré. Il a supplié. Il a dit qu’il nous aimait. Il m’a explique le livre, l’écriture, le sang qui s’enflamme. Les souvenirs. Le mal. La douleur. Son beau-père qui tapait fort, son beau-père qui l’humiliait. Qui le faisait mettre nu pour le frapper avant de l’enfermer dans un placard noir. Vous comprenez, je ne savais même pas son enfance. Sa mère qui laissait faire. Elle préférait son frère. Il m’a dit que c’est l’écriture qui l’a foudroyé. Quelque chose s’est cassé dans sa tête. Irrépressible. Comme un muraille qui s’effondre. Et tous les souvenirs qui remontent comme pour vomir. Ils sont venus le chercher. Il parait qu’il va mieux. Mais moi je ne peux plus. Il me dit qu’après on pourrait recommencer, mais moi je ne veux plus. Moi, je ne veux plus rien. Sylvie elle pleure. Vingt ans sans entendre. Vingt ans de certitudes. Vingt ans de parade. Et du silence. Et du silence. Et du silence. Et au bout une écriture qui a tout cassé. Des mots de supplice. De supplique. Lui il a voulu se suicider. Il n’y a plus de famille, il n’y a même plus de livre. Plus de saison. Et entre les jours, des gestes, des mots, qui laissent des traces menaçantes.
Je ne sais pas s’il y a une morale dans l’histoire de Sylvie. Il y en a peut-être pas. Septembre arrive. Mon visage se défroisse sous l’eau de la pluie. Des buissons de fibres invisibles se dénouent dans le désordre des brumes. C’est la fin de l’été. Mes lèvres nues prononcent les formules consacrées. Et le diable sur mon épaule surveille le tumulte des mes mots. Nous sommes en équilibre au-dessus d’un charnier de secrets. Que seuls les mots peuvent traquer.

C’est la fin de l’été. Alors, chanter. Voler. Et astiquer des phrases pour en faire couler une laitance neuve. Le cœur bat moins vite, mais il bat plus profond. Plus solide. Il brasse l’épaisseur des os en guenilles. Parce que le corps se recompose. Le corps dans l’attente d’un désir inédit. Comme la pluie sur la terre. Sur la terre des hommes. Une eau amoureuse sur un corps inconnu. La pluie sur la terre qui la boit, qui la suce. Voilà septembre. Son soleil indulgent qui entre sous la peau sans blesser les morsures. Un soleil indulgent de deuil doré.

Franck.

 

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Commentaires
A
J'ai toujours su qu'ils ne savaient pas lire. D'ailleurs la plupart ne savent pas vivre, j'ai des preuves.
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O
La morale : quelle drôle de prof de français, cette ignorante qui n'a pas cherché à connaître le passé de son homme.<br /> Basique : au moment d'une rencontre on cherche de toute ses forces à savoir qui est l'autre, d'où il vient, ce dont il est capable.<br /> Timide, réservé, calme, parfait homme d'intérieur,avocat (?) c'est un peu léger pour décider d'aimer.<br /> Si même les profs ne savent plus lire, où va-t-on.
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A
"De la folie de celui qui écrit"<br /> <br /> Pour écrire on ne peut pas être fou.<br /> <br /> La folie est une maladie terrible qui empêche ceux qui en souffrent de se concentrer sur la vérité du monde puisqu'ils se replient seulement et seulement sur eux-mêmes.<br /> Je vois ça tous les jours à l'hôpital et dans les rues. A chaque feu tricolore.<br /> <br /> D'ailleurs il existe un art schizophrénique très intéressant : il va au-delà de toutes les considérations sirupeuses des gens.
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C
Ce ne sont pas les démons qui font écrire un Bobin, qui font sa musique de lumière, ce sont les anges. A force de ne voir que la noirceur on ne voit plus la beauté qui est là, pourtant. Je ne veux pas ignorer la noirceur, il faut la regarder en face, en soi et autour de soi, mais je vois aussi ce qui est profondément lumineux. <br /> <br /> Chris
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F
Oui, ce que je voulais dire, c'est que l'écriture authentique n'est pas neutre...Et qu'à un moment donnée, c'est bien avec les démons qu'il faut avoir à faire... On espère tous, les dieux (ou les anges), c'est pour cela que l'on continue...<br /> Franck
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