Ce n'était pas vraiment utile de le faire comme ça...
Ce n’était pas vraiment utile de le faire comme ça. La vérité et la franchise ne sont pas obligatoirement haineuse. Les vérités qui se succèdent de jour en jour, toujours différentes ne constituent pas La Vérité au final. Les choses pouvaient se dire plus simplement. Depuis longtemps. Sans chercher le paroxysme haineux, méchant. Blesser pour blesser. Il n’y a rien gagner là-dedans. Le monde autour nous se charge bien assez souvent de déchirer, de mutiler nos existences. Mais si cela t’apaise, alors c’est bien de l’avoir fait comme ça. Si tu es convaincu qu’il faut toujours en passer par là. Alors il fallait le faire. Comme ça. Avec brutalité et violence. Si tu crois que c’est juste, alors il fallait le faire et le dire comme ça. Mais " CA ", ce n’est pas de la littérature. C’est simplement faire du mal. Gratuitement. Ce n’est pas glorieux, mais cela t’a fait du bien, il fallait le dire ainsi. Non, tout cela n’est plus de la littérature. Ni ancienne, ni nouvelle. Julie, ma petite fille, jusqu’à ce jour je ne t’avais pas invité dans ces pages. Je voulais te préserver de mon écriture. Tu as ta vie. Et maintenant que tu viens d’être maman, tu as la vie de Carla à bercer, à faire croître. Oui, je ne t’avais pas invité, ici. Mais je sais que tu passes de temps à autre. C’est pour ça aujourd’hui. C’est vrai qu’on a eu une drôle de vie tous les deux. Mais au bout du compte je crois qu’on arrive à s’en sortir. Il y aura toujours eu des distances géographiques entre nous, mais on a su trouver notre langage à nous. Ta voix au téléphone l’autre jour était claire, joyeuse. J’aime entendre ton rire de gorge. Oui, aujourd’hui, je voulais te dire que si tu lis des trucs pas terribles sur ton père, il ne faut pas que tu t’inquiètes. C’est de la littérature. Oui, tu sais, la littérature comme toutes les choses importantes est parfois cruelle. C’est son sens de dénoncer les impostures du monde, de la vie, des gens. Oui, je suis lâche et un tas choses en plus. C’est certainement vrai. Mais je te rassure guère plus que tout le monde. On sait tous les deux quelle est la couleur de notre courage. On sait toutes les distances qu’il a fallu traverser pour enfin se connaître mieux. Mais quand je te vois avec Carla il y a quelque chose d’apaisant qui circule en moi. La dame qui dit toutes ces choses sur ton père ? Tu sais, elle est blessée. Elle souffre. Elle a du courage aussi. Elle a un talent hors du commun. Et une belle énergie. Elle mène un combat difficile contre la laideur du monde, contre la violence. Toutes les violences. Tu sais son rêve en fait, serait de terrasser le mal et la violence. Alors aujourd’hui, je voulais te rassurer. Et te redire combien je t’aime. Combien tu me manques. Toi et Carla. Quand vous êtes parties toutes les deux aux Etats-Unis, ta mère et toi, si longtemps, j’ai eu du mal à combler ce vide soudain. Mais tu vois les années ont passé. Et maintenant tu es maman. Une belle maman. Et ta voix est claire. Tu vois Julie, le monde est difficile, beaucoup le complique. Pourtant les choses sont simples. N’emploie jamais les armes de ton ennemi, parce que tu deviendrais comme lui. Ne prend pas ses mots parce qu’ils deviendront ta langue. Ne flatte pas, mais soit pas injuste. Equilibre tes gestes avec ta parole. Soit du coté de l’amour, même en face des haines, même si c’est difficile et parfois impossible. Essaye. Essaye toujours. Parce qu’il n’y a pas d’autre issue. Et ceux qui te diraient le contraire serait des menteurs. Quant à la lâcheté, apprend à la déceler, elle prend des formes bizarres, incongrues. Une des plus grandes, c’est sans doute le mépris. Tu sais Julie, je ne vais pas faire trop long aujourd’hui. Je n’ai pas le cœur au bavardage. Nous parlerons plus longuement au téléphone. Et ne t’en fais pas pour ces mots sur ton père, ce n’est pas grave. Nous savons ce que nous avons à nous dire. Et nous savons cet amour qu’il a fallu gagner, sur le manque, la séparation et les malentendus. Ce n’était pas vraiment utile de faire ça comme ça. Franck.