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J'irai marcher par-delà les nuages
10 septembre 2005

Il neigeait.......

C’était juste après les fêtes de fin d’année, début janvier. Elle m’a simplement dit qu’elle était de passage à Paris et que nous pourrions nous voir. En ami. Pour parler d’astrologie. De ses astres. De son présent. De son futur. Tout le monde a un passé, un présent, et un avenir. Certains ne le vivent pas dans cet ordre. En fait il n’y a pas vraiment d’ordre pour vivre. La vie n’est pas raisonnable. On croit connaître notre passé, mais souvent il n’en est rien. On croit connaître notre présent, mais souvent, il n’en est rien. Quand à l’avenir, on ne le connaît jamais même s’il nous occupe la plus part du temps. Nous sommes dans des temps à contre temps. C’est banal de le dire. Elle m’a dit que ça allait, mais que bon, pas si bien que ça quand même. Ca serait bien d’en parler. En ami. Comme ça autour d’un coca. De vive voix cela serait mieux qu’au téléphone. Parce que souvent, dans la vie, les heures pataugent. Comme cet enfant accroupi autour d’une flaque d’eau et qui tape en faisant des éclaboussures, qui tape sur son reflet qu’il ne reconnaît pas. Qui tape sur une vie qu’il ne sent pas dans ses veines. Un petit Narcisse de colère. Les heures pataugent. Nous éclaboussent de leur vacuité. Parfois un éclair nous traverse, rarement. On sent bien que tout est écrit, qu’on est condamné à réécrire, et à redire, et à rejouer la même pièce. A redire et réécrire notre impossible, notre indicible. On le sait. Mais on continue. Puisqu’on sait faire que ça : continuer. Même en tapant sur un reflet tremblant dans l’eau douteuse d’une flaque d’eau. Sandra allait bien, mais pas si bien que ça. Alors parler des planètes, de l’avenir, c’était bien. Même si c’est faux, c’était bien. Parce que c’est bien d’imaginer que dans le ciel il y a quelque chose d’écrit pour vous. Et pour vous seul. Sandra voulait s’entendre vivre, elle et elle seule, dans la parole d’un autre. Parce que tout dans sa vie n’était pas si bien. A cause des peurs, des souvenirs, à cause de la langueur dans son sang. A cause des larmes qu’elle verse quand son mari la caresse, et lui fait l’amour. A cause des désirs étouffés, des révoltes avortées qui gisent abandonnées dans un placard noir et sombre, en bas, à droite du cœur. Pourtant dans sa voix, j’entendais tous les restes d’une enfance joyeuse, tous les rires d’une adolescente effrontée, tous les silences d’une jeune femme perdue. Une belle voix, riche. J’aime les voix, celles qui portent les mots, celles qui osent porter les mots. L’offrande du souffle et du son. C’est un beau chemin la voix de l’autre. J’ai tout de suite aimé la voix de Sandra. Au téléphone. Une voix qui porte avec douceurs ses hésitations. Sandra chante. Justement parce qu’elle a une belle voix. Mais ce que j’ai préféré ce sont les petits espaces, les petits vides entre les mots. La vie qui se suspend un court instant, un petit creux dans le trop plein, qui dit la blessure, qui dit ce qui ne sera jamais dit. Alors on s’est donné rendez-vous dans un café de Montmartre. Au pied de la Butte. Journée grise d’hiver. Journée qui attend la neige. Qui l’espère. Une chute de blanc sur nos corps sans ombres. Un étouffement de blanc. Du blanc sur nos sanglots étranglés. Du blanc dans nos tremblements. Et l’attente. De la chute. Comme une délivrance. Comme une grâce. Comme la fin d’un rêve qui s’effondre et s’effiloche au réveil. Impossible réveil, impossible blancheur, impossible attente. Et pourtant l’attente. Sandra attend que la vie s’intéresse à elle. Moi j’attend la fin. Je suis arrivé en avance. Beaucoup trop en avance. Quand on attend la fin, souvent on arrive en avance. Je buvais un café. Je faisais des mots croisés. Ceux de Scipion. Un truc que mon père m’a laissé. Scipion et ses définitions alambiquées, à tiroirs. Je me dis que c’est agréable d’attendre une jeune fille. En ami. Qu’elle va entrer dans ce café comme la blancheur de la neige, comme la fin d’une attente, comme un début. Je me dis que fatalement mon cœur chavirera. Et que ce n’est pas grave, qu’une averse de neige sur un cœur noirci de cendre, ce n’est pas grave. Que rien n’est grave. Rien. Je me dis que ses yeux seront comme sa voix, juste colorés d’absence, des yeux de rivière rieuse qui coure vers demain, qui coule vers l’errance. Je me dis que dans quelques minutes je serais amoureux. Chez Scipion le « un » horizontal et le « un » vertical n’ont pas de cases noires. « Ordonnance ou sur ordonnance » en douze lettres. J’attends, je cherche. Je suis en avance. Elle entrera et tout deviendra nouveau. Comme la page que l’on tourne pour écrire une nouvelle lettre d’amour, sur un vieux cahier usé, blessé. Blanche, comme la neige qu’on attend. Nouveau. Il fait chaud dans ce café. Il fait bon. Il fait l’attente quand elle est au début. Douze lettres : « Ordonnance ou sur ordonnance » Les mots se tirent la langue. Si je trouve, ça voudra dire qu’elle sera à l’heure. Le « un » vertical : « Futur antérieur » en dix lettres. Ca tombe bien comme définition. Au départ, avec les mots croisés on a rien, pas un mot. On ne sait rien. On ne trouve rien. Comme dans la vie. Et puis les lettres arrivent, par petits morceaux, par petits mots. Des mots qu’on attrape par le ventre, par le milieu. On trouve. Ce n’est pas comme dans la vie. Il n’y a rien à trouver, dans la vie. En fait, on ne sait jamais rien. C’est pour ça qu’on continue. « Futur antérieur » en dix lettres. Dans la vie il n’y a pas de mots qui correspondent à une définition. La grille est vierge. Que des cases blanches. Comme la neige qui ne vient pas. Que des cases blanches. A la fin, que des cases noires. Si je trouve le deux vertical, le rendez-vous sera lumineux. Dans ma poche j’ai quelques feuilles pliées. Des cartes du ciel, avec des dessins cabalistiques, des symboles. Je souris. C’est dérisoire. Lumineux, comme la neige, comme un feu, comme un ciel. Comme l’attente au début. « Ordonnance ou sur ordonnance », je crois que j’ai trouvé : Prescription. Ca colle avec le nombre de lettre. Bon ça veux dire qu’elle sera à l’heure. Je regarde les dessins. Son thème que je commence à connaître par cœur. Un mélange de légèreté et d’ombres. De puérilité et de gravité. Oui, je vois bien l’ombre de Saturne. Ses anneaux auxquelles nos chaînes s’accrochent. Toujours regarder Saturne dans un thème. C’est lui qui tient les clés. « Futur antérieur », il faut que je trouve avant qu’elle arrive. J’ai le P de prescription. Elle va arriver, et je sais que je devrais prendre une partie de sa peur, une partie de son angoisse. Je devrais soutenir le temps de quelques heures, un morceau de sa vie. Alléger le poids. Je devrais trouver les mots justes, ceux qui lui parlent. Ceux qu’elle entend. Des mots de neige blanche. Frais et doux. Froids mais légèrement brûlants. Comme l’absence. Ou l’attente. Avec le P c’est facile : Prescience. Oui, là aussi ça va. Le mot croisé est décoincé. Comme la neige qui commence à tomber. « Effets de lune » en quatre lettre. Maintenant les mots viennent et se croisent vite. Et puis elle est là. Slip. J’adore Scipion. Elle a repéré le livre posé à plat sur la table pour que l’on se reconnaisse. « L’inespérée » de Bobin. J’était dans une époque Bobin. Il y a dix ans c’était à la mode de l’aimer, aujourd’hui c’est l’inverse, il est de bon ton de ne pas l’aimer. Des paroles hésitantes un peu gênées. Déjà le monde est différent. Elle est comme je l’avais imaginé. Claire comme un soleil d’hiver. Surtout les yeux. Brillants, à cause du froid, dehors. Surtout la bouche et son sourire triste. Surtout ses gestes maladroits. Un chocolat chaud. Et le monde change. Paroles convenues. Je ressors mes papiers : son ciel qui était plié dans ma poche. Ses étoiles que j’avais écrasé sur mon cœur, son avenir. Le temps à glisser avec douceur. Bien sûr c’était à moi de parler de dire le vrai, sur l’impossible à dire. C’était à moi de dire ses orages, et ses joies, de dire pourquoi maintenant, alors que tout devrait aller bien, elle avait ce lac sombre, ce marais d’indifférence au fond du ventre. Pourquoi il ne restait que les épines à sa rose. J’aime parler d’astrologie. J’aime raconter leurs étoiles aux gens. J’aime les emporter dans l’histoire d’eux-mêmes, et peindre ce qu’il croient connaître de couleurs singulières. Comme la neige qui recouvre peu à peu la ville. La nuit est tombée. Dehors quelques flocons n’en finissaient pas de voler. Maintenant nous étions proches. Dans l’intimité d’une parole d’étoiles. Dans le café les gens entraient, sortaient. On ne les entendait pas. La parole intime est comme une muraille, comme un château, c’est un pays étrange. La parole intime se fabrique avec des murmures, des silences, elle est proche des lèvres, elle est tendue à l’autre dans un simple mouvement de la langue et on l’offre naturellement avec un souffle. La parole intime est faite d’un grand voile de velours que l’on tisse avec des mots qui se dénudent avec lenteur et sans impudeur. La parole intime est une longue promenade dans sous-bois traversé par les rayons du soleil. Elle en a la saveur, les odeurs, et les frémissements. C’est elle qui voulu marcher. Dans la nuit. Monter au Sacré-Cœur. Marche après marche. Lentement. Nous étions coté à cote. Nous ne sentions ni le froid, ni la nuit. C’était un temps doux. Sans raison. C’est elle qui m’a pris le bras et a glisser sa main dans ma poche de manteau. C’est elle qui s’est serrée. Pendant qu’on montait les dernières marches. C’est elle qui a posée sa tête sur mon épaule. C’est elle qui a imposé le silence lumineux. Qui a fait taire la parole de l’intime, pour nous glisser dans l’intime de l’intime. Entre deux lumières de réverbère, sur les marches à peine blanchies par la neige. J’ai posé mes lèvres sur les siennes. Nos lèvres refroidies. Elle a ouvert le cœur brûlant de sa bouche. J’ai le souvenir d’un ralenti. Ma poitrine battait, le muscle du sang cognait à l’intérieur. J’ai tenu sa tête entre mes mains, pendant que nos bouches s’échangeaient leurs salives, pendant que les langues disaient tous les mots oubliés. Un baiser long dans cette nuit froide, qui consolait on ne sais quelle véritable tristesse. Un baiser d’abandon. Un baiser qui n’en finissait pas de dire l’épuisement de la terre et des chairs et des os. Un baiser long aux salives amer et douces. Nos manteaux et le froid empêchaient des gestes trop sensuels. Nous serrions mutuellement nos joues dans nos mains comme pour presser la vie de l’autre par la bouche, pour la boire et se dire sauvés des naufrages, des oublis, des absences. Un baiser de présent sans avenir. Qui devait être en totalité là, sur ces marches, dans cette nuit, dans ce silence. Peut-être l’unique baiser qui devait tout résumer. Qui devait être le début et la fin. Qui signifiait tout dans l’instant et sans doute plus rien après. Un baiser long pour ne pas finir, pour ne pas mourir. Baiser de bruit de bouche, de dents cognées. Un baiser long comme un long désespoir, un baiser violine au goût de chocolat, un baiser d’hiver.

Arrivé chez moi je n’ai pas allumé la lumière. Arrivé chez moi je l’ai lentement déshabillée. Nous nous sommes allongés en silence sur mon lit. Comme si toutes paroles étaient devenues vaines. Et c’est avec lenteur que nous nous sommes aimés. Avec douceur. Son corps sentait un parfum de fruits. Son corps voulait s’ouvrir. J’ai caressé sa peau, j’ai senti sous mes doigts la lourdeur de ses seins, j’ai léché son ventre souple et généreux, je me suis perdu dans les lèvres de son sexe et j’ai bu ses eaux secrètes. J’ai serré dans mes bras ce corps qui se donnait, effleuré, câliné ces fesses qui se tendaient. J’ai accompagné chacun de ses cris et tremblé avec elle à chaque tressaillement. Elle m’a guidé au cœur des ses plaisirs les plus sanglants, les plus incandescents. Elle a tendu son ventre, et j’ai tendu le mien. Ella a serrée ses cuisses autour de mes reins. J’ai embrassé son ombre et ses yeux scintillants, et sucé sa poitrine, et aspiré ses chairs, ses sucs, et sa vie, et sa tristesse et sa joie aussi. Dans le seul silence de l’abandon. Dans cet instant dérobé. Hors du temps. Hors de nos temps. Elle s’est endormie enlacée à mes rêves. Elle à juste dit « Chut…. Ce n’est pas une histoire d’amour Franck. Chut… ne dit rien. » Elle s’est endormie. J’avais sur le corps le poids de sa chair, j’avais sur le cœur le poids des amours impossibles, j’avais tout autour de l’âme un immense arc-en-ciel.

Parfois elle m’écrit Sandra. Des petits mots, avec des smiley en formes de clin d’œil. Jamais nous avons parlé de cette journée, de cette nuit. Comme si les mots ne pouvaient rien dire, de la neige, du blanc, et d’un arc-en-ciel au bout de l’âme.

C’était en janvier. Ce jour là il a neigé. J’écrivais des mots sans les montrer. En janvier aucun Ange ne m’avait encore visité. Sans doute fallait-il préparer la place. Pour un ange aux ailes si grandes.

C’était en janvier, ce blog n’existait pas, et j’étais déjà mort, mais je ne le savais pas.

Franck.

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Commentaires
P
Corps de femme, blanches collines, cuisses blanches, <br /> l'attitude du don te rend pareil au monde. <br /> Mon corps de laboureur sauvage, de son soc <br /> a fait jaillir le fils du profond de la terre. <br /> <br /> je fus comme un tunnel. Déserté des oiseaux, <br /> la nuit m'envahissait de toute sa puissance. <br /> pour survivre j'ai dû te forger comme une arme <br /> et tu es la flèche à mon arc, tu es la pierre dans ma fronde. <br /> <br /> Mais passe l'heure de la vengeance, et je t'aime. <br /> Corps de peau et de mousse, de lait avide et ferme. <br /> Ah! le vase des seins! Ah! les yeux de l'absence! <br /> ah! roses du pubis! ah! ta voix lente et triste! <br /> <br /> Corps de femme, je persisterai dans ta grâce. <br /> Ô soif, désir illimité, chemin sans but! <br /> Courants obscurs où coule une soif éternelle <br /> et la fatigue y coule, et l'infinie douleur.
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P
Pablo Neruda, en écho à la neige<br /> <br /> Ivre de longs baisers, ivre des térébinthes, <br /> je dirige, estival, le voilier des roses, <br /> me penchant vers la mort de ce jour si ténu, <br /> cimenté dans la frénésie ferme de la mer. <br /> <br /> Blafard et amarré à mon eau dévorante <br /> croisant dans l'aigre odeur du climat découvert, <br /> encore revêtu de gris, de sons amers, <br /> et d'un triste cimier d'écume abandonnée. <br /> <br /> Je vais, dur, passionné, sur mon unique vague, <br /> lunaire, brusque, ardent et froid, solaire, <br /> et je m'endors d'un bloc sur la gorge des blanches <br /> îles fortunées, douces comme des hanches fraîches. <br /> <br /> Mon habit de baisers tremble en la nuit humide <br /> follement agité d'électriques décharges, <br /> d'hébraïque façon divisé par des songes <br /> l'ivresse de la rose en moi s'est déployée. <br /> <br /> En remontant les eaux, dans les vagues externes, <br /> ton corps jumeau et qui se soumet dans mes bras <br /> comme un poisson sans fin s'est collé à mon âme <br /> rapide et lent dans cette énergie sous les cieux.
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F
Je te remercie Patricia de ce beau commentaire. Il me touche beaucoup. Mais tout ces compliments mettent la barre très haut...Il faudra être indulgent...c'est stimulant... et en même temps terrifiant...<br /> Bises<br /> Franck
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P
Je suis heureuse des jolis commentaires sur les derniers textes du blog, dont je trouve les compliments très mérités. <br /> <br /> …tu te rassembles, tu condenses le plus intense des différentes directions explorées précédemment. Tu as octroyé de la liberté à la « monture » en osant ce qui gratte l’harmonie, une franchise plus brute, plus immédiate… elle t’a répondu en libérant sa puissance. <br /> Sans rien perdre d’une « hésitation » qui n’est au grand jamais pas de la mollesse… ton tâtonnement, Franck, c’est ton sens du toucher.<br /> Simone a raison, c’est une caractéristique profonde de ton être (et donc de ton écriture) : le tact. <br /> <br /> http://www.chromasia.com/iblog/archives/0503062027_clean.php
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F
Merci diorberry, de ton passage ici, moi je me contente des souvenir du héros...<br /> A bientôt<br /> Franck
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