Elle et moi de front.....
Pour elle, je veux d’abord un grand silence. L’accueil du premier grand silence. Parce que c’est là que tout se joue. Un grand lac bleu de silence. Parce que le silence agrandit l’espace, mais réduit les distances. Les paroles nous éloignent. Elles arrivent avec leurs cortèges d’ombres et de montagnes aux parois vertigineuses. Je veux d’abord un grand silence. Comme la première nudité. Comme la première offrande. Un vrai silence est toujours plus pur qu’un diamant, c’est un socle, puisqu’il contient tout. C’est une église. Une promesse. Une source cachée dans le désert. C’est lui dire, à elle : ici, dans mon silence, celui que je t’offre maintenant, tu es chez toi, puisque c’est la clé qui ouvre toutes les portes, puisqu’il te faut l’infini comme horizon et l’éternité comme ciel de lit. Ce silence est mon œuvre la plus achevé, je te le donne pour t’en faire un royaume, un océan, une étoile accrochée à tes yeux. Je te le donne puisqu’il à soutenu, mes années perdues, mes guerres inachevées, mes blessures, puisqu’il a fait de moi un homme encore vivant. Il contient tout puisqu’il a la forme de ton cœur, puisque je l’ai fait pour toi, puisqu’il t’attend depuis si longtemps. Chaque jour je rajoutais un grain à cette grappe se de silence. Chaque jour qui me séparait de toi. Chaque grain, un silence, qui te disait : je t’entends. Simplement je t’entends. Je sais. Je t’entends. Une grappe alourdie, de grain en grain, de jour en jour, grosse de jus sucré, grosse d’espérance, une grappe de silence assez vaste pour contenir tout de toi, tes Chemins de Croix, tes cabarets d’empire et tes baleines blanches. Assez vaste pour contenir toute ta langue, tous tes mots prononcés et ceux à inventer et ton désarroi joyeux. Ce silence est ma seule richesse, pour t’entendre et t’écouter, alors il est à toi. Il ne m’a pas fait fort, il m’a rendu puissant, et si je ne suis pas grand j’ai de la hauteur. Alors je te le donne, il est à toi, maintenant. Il te fera le souffle, pour crier à nouveau, pour rire et pour chanter. Peuple-le de tes jours couleur d’oranges. Croque dans cette grappe de fruits longtemps mûrit, qui n’attendent que ta bouche, et ta langue, et tes dents, pour exploser enfin, de sucs et de lumière, de soleil et de lendemain. Voilà, ce que veux pour elle. Ni collier, ni maison, ni palais, mais ma seule richesse, ce silence de fruit. Vous croyez cela pas suffisant ? Détrompez-vous, c’est l’histoire une vie, de deux vies, d’une éternité. L’amour a besoin du silence, c’est son eau sacrée, sa seule pitance. Il est présent juste avant la chair, et juste après. Pendant c’est le désir. Mais juste avant, juste après. L’amour vous le connaissez dans tout ce qui vient du silence. Ces gestes minuscules, presque inaudibles, cette main qui vous frôle, ce regard dans la glace, cette rose qu’elle respire. Et après ce silence et seulement après, je veux, pour elle, un chemin. Pas de collier, pas de maison, pas de palais. Non, un chemin. Un chemin qui serpente et qui monte, un chemin dans la langue, qui traverse les saisons, les orages et le temps. Un chemin suspendu tout au bord de l’humain. Un chemin juste assez large pour elle et moi de front. Elle et moi de front.
Franck