... C'est un point d'infini.....
Le texte devient une urne. Les mots y tombent et s’y rassemblent pour raconter une autre histoire. Une urne dégoulinant de cendres. Poussière de vie brûlée. Calcinée. Une autre histoire. La même, mais pourtant si différente. La même. Une vie dans la vie. De l’eau sur de l’eau. Du temps sur du temps. Du désespoir sur nos larmes. Une vie vécue à l’intérieure de notre vie. En cachette de notre vie. Une vie puissante et inconnue de nous. Une vie silencieuse et brutale, et cruelle. Savage. Quelque chose est à l’œuvre et s’oppose. S’oppose à nous et pourtant nous déploie. Et se dresse. Implacablement se dresse. Marionnette. Et seuls les mots de cendres la dise cette vie de nous vécue, cette vie par nous vécue. Le texte raconte derrière le vacarme des sons, une autre histoire. La notre. La vraie. Celle qui ne se dit pas. Celle qui se déroule derrière nos gestes, celle qui tapisse les murs de nos pensées colorant d’étrange façon les heures, les jours, les saisons. Les mots tombent au fond de l’urne funéraire du sens. Dans le vrac de notre existence. Dans l’indécence de leurs postures obscènes. Texte bribes. En morceaux. En éclats. Je voudrais brûler les cendres. Mais elle ne brûle plus. Elles sont froides ou tièdes. Ce sont des cendres. Les cendres ne brûlent pas. Eclats poudreux d’un reste d’incendie. Le texte raconte autre chose et je ne sais pas quoi. Il faudrait tout ressortir, tout étaler, là. Devant moi, les yeux ouverts, dans l’ombre et le silence. Vider la vie consumée, calcinée. Il faudrait tout étaler pour interroger à nouveau, interroger sans cesse l’autre histoire, l’autre vie. Dans le silence. Et épeler chaque mot comme si nous renommions chaque objet de la création, comme si nous appelions chaque objet, chaque visage. Longue litanie. Mes mots me parlent et je ne les entends pas. Ils disent, mais je ne comprends pas. J’ai beau les mâcher, les réduire, je n’en trouve pas la saveur. Le texte me sait, mais il me tait, il me nie. Et plus j’écris, plus je me sépare, plus je m’éloigne. Du centre. Du sens. Je sais, qu’il me sait. Même devant moi, les yeux ouverts, le thorax ouvert, je ne vois rien, je ne sens rien. Hormis le déchirant passage de la parole sur les parois du corps, comme un glacier raclant la roche. Et la glace passe gardant son mystère, sa langueur et son effroyable silence.
Cherche-t-on, le secret dévoilé ou la rémission ? Que vaut-il mieux, l’aveu ou la miséricorde ? Ou rien de tout cela. Ou tout à la fois.
L’urne des mots est un tribunal silencieux, tout nous dénonce et rien ne nous nomme.
Chaque mot possède deux couleurs, deux sons, deux sens, deux poids, deux destins. Chaque mot porte en son sein un morceau de vie et une part de mort. Chaque mot est à la fois un cri et un murmure. Chaque mot nous attache et aussi nous délie. Chaque mot est son propre contraire, il nous appelle et nous dénie, il nous frappe et nous caresse. Chaque mot nous dit pour mieux nous trahir, il nous espère pour mieux nous désespérer. Il nous accompagne pour mieux nous perdre et nous séduit pour mieux nous tromper. Le sang des mots est noir tout chargé de cendre qu’il est. C’est le poids des faiblesses qui lui donne cette couleur. Et les mots nous accusent sans nous dénoncer. Et ils nous désignent sans nous révéler.
Pourtant chaque mot renferme un silence. Le cœur de la brûlure recèle un silence intact. C’est un point minuscule, plus petit qu’un diamant. Chaque mot est percé d’un silence, c’est pour cela que l’on ne s’entend pas et encore moins les autres.
Chaque mot, comme chaque vie, est percé d’un silence, c’est par là que passent les constellations et les météores, c’est l’endroit de la parole qui ne peut être lésé, le seul endroit qui échappe à l’urne et aux cendres.
C’est un point d’infini brodé au cœur du mot.
Franck