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J'irai marcher par-delà les nuages
6 mars 2006

Revenir d'un texte....

Elle m’a dit : « Tu n’aurais sans doute pas pu l’écrire comme ça au début… ». C’est vrai. Qu’aurais-je pu écrire au début ? Il faut un lieu. Un endroit d’où faire partir la parole. Elle ne peut pas s’accrocher à rien. Elle a besoin d’un lieu. Ici c’est devenu mon lieu. Peu à peu. Même si c’est une déchirure. Texte après texte. Au début, c’est rien, pas grand-chose. D’ailleurs, au début je ne sais pas si cela va durer. Au début on est très proche de soi et très loin de son écriture. Mais en la matière rien n’est donné. Alors on écrit sans savoir où cela va nous mener. On cherche sa voix. Celle où la parole va résonner, celle qui se mélange au souffle.

Un jour on comprend qu’il faut se quitter. Qu’il faut partir loin de soi. Qu’il faut tout ouvrir et partir. Accepter la solitude et l’errance.

L’errance : pas une métaphore de l’errance. L’errance, la vraie. Hors de soi, hors de tout lieu. Hormis ce lieu de parole. Il faut s’appauvrir de soi. Comme un pèlerin.

Bien sûr, je n’aurais pas pu écrire ce texte au début. Comment être dans le juste mouvement ?  Dans le bon geste ? Impossible. C’est une avancée, pas une danse du ventre. Il fallait qu’ici, devienne mon seul royaume, il fallait qu’ici devienne mon chemin. Il fallait que j’apprivoise mes mots, que je les appelle. En fait, il fallait qu’eux, m’appellent, me requièrent, me convoquent, m’obligent.

Il fallait qu’ils me nomment.

Et puis il fallait saigner aussi. Dans ce lieu. Comme un pacte. Comme un échange. Il fallait du temps. Et de la trahison. Et de la joie. Il fallait étirer des bords de l’écran pour le faire déborder dans la vie, dans les battements du cœur.

Ici, il a fallut aussi brûler pour des passions de pacotilles, et égrainer un à un les anneaux du cercle du serpent, l’ouroboros…. comme les prières d’un chapelet.

Alors au fil des mois la page c’est creusée. Comme un champ, comme un labour. Après la terre noire, une autre terre noire. A près la terre noire la peur…les peurs… celles du vide, du néant, du vain, de l’égarement. Après avoir user les peurs et les doutes, il fallut user la parole. Qui a-t-il après qu’on ait tout dit ? C’est quoi le mot après le dernier mot ?

Chercher un passage pour la voix. A travers la chair des souvenirs, l’épaisseur de nos oublis.

Il n’y a pas de lumière.

Que le chemin. Et mes yeux qui le portent. Mes mains qui le serrent.

Et le chant.

Car il me faut revenir de ce texte avec lenteur. Alors je l’ai relu. Je ne le fais jamais. Relire. Là, j’ai relu. Chaque jour après l’avoir écrit. Aujourd’hui. Il dit l’exacte chose que je voulais dire. Il dit l’exact mouvement et l’exacte couleur de ma mémoire, et de la trace. Il dit tout ce que j’ai écrit depuis un an. Il condense tout. Même dans ses ambiguïtés, même dans les trous des souvenirs. Avant ces mots il n’y avait rien. Un vide. Une absence.

Maintenant il me faut revenir de ce texte avec lenteur.

Peut-être que l’écriture commence là. Peut-être se fini-t-elle là. Impossible de savoir. C’est quoi le mot après le dernier mot ?

Quelle est la couleur du silence qui vient ? Derrière le bleu du ciel, qui a-t-il ? Est-ce vraiment si noir, si profond ?

C’est quoi revenir d’un texte ? Revenir de ses propres mots.

Il a neigé ici, comme un chagrin des dieux. Ce n’est plus une neige d’hiver. C’est une neige de chagrin, une neige de lassitude, on sent bien qu’elle est blanche par obligation, par habitude. Les dieux s’ennuient alors il neige. Et j’ai marché dans cette neige d’ennui, j’ai marché dans la mort de ma mère, j’ai marché dans cette écriture, en retour des mots, en retour de la mémoire. Et j’ai vu les empreintes des mots fondre dans cette neige inconstante, instable. Et j’ai eu froid. Les derniers froids sans doute. J’étais pris dans une infinie lassitude.

Et j’ai eu peur, comme ce jour du dernier baiser. Joue contre joue. Où le froid rigide de sa joue m’a surpris. Où j’ai eu ce geste de recul. Et l’impossibilité  de m’approcher à nouveau.

Où je me suis forcé. Tout mon être tendu dans cet impossible mouvement vers elle. Vers ce froid dur et indépassable.

Franck

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Commentaires
L
lorsque tombe la carapace, fière prison des mots et que l'on se retrouve seul, tout seul dans le plus simple appareil linguistique, que ce qui sortira fera de nous un autre, peut être un peu plus faible, sans doute un peu moins fier, que ces mots partiront du dedans au lointain, que vaincus, nous les laisserons faire...qu'ils partent oui, qu'ils vivent ailleurs, qu'ils content, se racontent entre eux les affres, les doutes, la lassitude, la belle fêlure, le ventre furieux, l'épicentre noueux...tant et tant que notre pudeur agonisera, que l'armure si longuement bâtie, au vent, aux autres s'émiettera...<br /> Nous reviendrons aux sources, au début, à la base de nous, essoufflés, harrassés, vidés , sans plus aucune substance...comme après un combat, une lutte féroce...<br /> Nous revenons de loin...nous sommes sains et saufs...nous revenons d'un texte, le nôtre...nous revenons de nous. <br /> je reviens souvent de tes textes, comme je reviendrais de loin.<br /> je reviens d'une mémoire qui ne m'est pas étrangère...
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Y
être en phase avec ses mots et son ressenti, même des mois plus tard, je trouve ça magique. J'adore les mots, qu'ils expriment au plus près ce que je veux dire, ça semble banal mais les mots sont parfois source de malentendus et de confusions alors ...<br /> tes mots sonnent justes et même si l'histoire est douloureuse, j'ai déjà dû l'écrire, elle est belle. à bientôt. Ysa
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J
Je crois comprendre ce que tu veux dire lorsque tu écris<br /> "Maintenant il me faut revenir de ce texte avec lenteur".<br /> <br /> "C’est quoi le mot après le dernier mot ?<br /> <br /> Revenir de ses propres mots"<br /> <br /> J'ai vécu semblablement l'été dernier après avoir écrit le livre de mes jeunes années.<br /> Je ne sais d'ailleurs pas si j'en suis finalement vraiment revenue!<br /> <br /> Pour le reste de ce que tu exprimes, je me tairai en signe d'infini respect.<br /> <br /> Et déposerai sur ton blog, et non sur ton front, une caresse légère comme une plume.<br /> <br /> (ton errance prend signifiance et le sillon se creuse, ton expression prend corps, germe comme plantule solide, perce la couche neigeuse, sous l'effet du soleil du jour)
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F
Les conditions du réel, Lio, sont difficiles pour un rêveur.... Quant au "je veux" il y a l'Autre (les autres) en face qui souvent nous oblige à réduire la voilure... Sans compter nos propres faiblesses qui nous rendent indigne de nos désirs...<br /> Alors... vouloir... comme vouloir recommencer à nouveau... et toujours...<br /> Merci de ton amitié Lio<br /> A très bientôt
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L
Combien de il faut pour un je veux...<br /> Amitié Frank.
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