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J'irai marcher par-delà les nuages
16 septembre 2006

Le présent du passé.....

C’est étrange, reprendre un texte d’avant, c’est comme être dans le présent du passé. Ce n’est pas du souvenir, ce n’est pas de la mémoire, c’est… un temps déchiré.

Il me faudrait dénuder le temps. Défaire chacune de ses couches, chacune de ses peaux.

Je suis une eau errante dessourcé. Je n’en finis pas de couler hors de toute direction, de tout sens. Je cherche un lieu, une âme, un parfum, une voix, un chemin. Il n’y a pas d’issue à l’errance, c’est d’ailleurs comme cela que nous la reconnaissons. Pas d’issue.

Défaire temps de ses exils. Avec la patience du tailleur de pierre.

« Il me faut dénuder le temps.
Il gît nu maintenant, dans son impudique pureté, étendu dans le lit de la langue, et je pose mon cœur sur l’oreiller des mots, et je recouvre mon corps d’un linceul transparent…
Temps nu…
Il plante sa lame tranchante dans le gras de ma vie jusqu’à en toucher l’os…

L’os.
Temps nu d’attente verticale et crépusculaire, parenthèse frémissante aux paupières du rêve.
Faux blanche dans un champ d’asphodèles…
Temps nu du silence…. Ecoulement bourdonnant de substances misérables dans la veine des heures… »

Ces mots sont habillés de pénombre tremblante. Il y a la bougie qui éclaire à peine le bureau. Pas un bruit. Je m’entends respirer. C’est un vertige ce retour en arrière de l’écriture. Ces mots là, étaient partis au loin, et les voilà qui reviennent. Je les accueille comme une marée. Sombre déferlement. C’est avant, et pourtant c’est maintenant, c’est le même temps.

Je parle du plus profond de ce grattement d’os. De ce temps arrêté.
Pourtant… j’essaye de rejoindre avec quelques mots murmurés, avec l’écriture la plus virginale, avec rien, une rive inconnue couleur de l’ambre…
L’écriture est le geste le plus dénué de sens. C’est une pure folie. Vivre à l’intérieur l’expérience du serpent sacré. Et de l’exil.

Mon rapport au temps est insolite, il est entré en moi par la porte de l’ennui. Donc de l’oubli. Seule la rêverie permettait d’effacer l’épaisseur, la consistance, résistance d’un temps douloureux. Attendre lorsqu’il n’y a rien à attendre. Faire passer, user l’immuable est le poison de toute une vie. Dans l’ennui il n’y a pas de début, il n’y a pas de fin. Il n’y a que l’interminable noyade. Quelque chose en soi, ne cesse de chavirer.

D’où venait-elle ? Quelle partie de ma mémoire brûlait ? Quel océan m’appelait ? Avait-elle un visage ? seulement un visage…..Quelle drôle d’espérance m’habitait.  J’écrivais à l’ombre d’une bougie. Dans une faible lumière chancelante, recueillie, d’une bougie toute simple. C’était un temps ou écrire était écrire à quelqu’un.

« Pour toi j'ai labouré la terre du ciel avec ce glaive de cristal capturé aux rayons scintillants d'une étoile.
Pour toi j'y ai semé des perles de printemps
J'ai creusé l'écorce inquiète des jours pour faire issir de chaque désir des essaims de cerisiers fleuris… »

Après vient le temps ou l’on écrit à personne. Les mots ne sont plus destinés. Ils sont « la » destiné. On les décharge peu à peu des intentions, bonnes ou mauvaise. On éteint progressivement leur lumière. On les veut plus silencieux. On les veut plus lents. Plus justes.

Je me voulais jardinier. Je ne suis qu’un laboureur.angelus

« Pour toi j'ai puisé au puits de mon sang dans cet étrange étranglement de ténèbres.
Pour toi j'ai affronté les pentes vertigineuses des ravins de la nuit,
Et dix fois traversé l'échancrure du néant,
Et cent fois prié les entrailles du temps,
Et mille fois bénis la grâce tournoyante des galaxies… »

Il y a une exaltation née de la couleur des mots et du rythme de la phrase. Comme si les mots se fascinaient eux-mêmes, comme s’ils étaient pris dans leur propre ivresse. Leur propre délire d’invocation. Je me souviens de ce brassage intérieur. Déraison que tout cela. Je n’étais qu’à la surface des mots. Sillon superficiel.

J’utilisais les mots. La vérité, c’est eux qui doivent nous utiliser. Le mot juste doit blesser. Les mots vrais peuvent tuer.

« Je me suis fait mage pour guetter ta venue dans les dessins des cieux.
Oui, j'ai labouré l'immense cosmos arrachant inlassablement les racines fibreuses de tes cauchemars, déchiquetant sans trêve les ronciers du soupçon.
J'ai poussé les murs de l'horizon pour te faire de la place,
Attisé les aurores pour réchauffer ton cœur,
J'ai tissé le grand voile des nuées pour habiller la nudité de tes rêves,
J'ai tremblé de tes frémissements… »

Trop bruyant. Infiniment trop bruyant. Il n’y a pas d’espace dans cette parole. Pas même de quoi y glisser un silence. Respiration d’essoufflé. L’incantation appelle la magie et le mystère, et la révélation. Et c’est une eau hésitante, malgré le ton la marée ne monte pas. Il y a là, un entêtement désespéré.

« J'ai chargé des montagnes de mots dans le char de

la Grande Ourse

pour verser, au matin, sur les bourgeons galactiques cette pluie fine de lueurs de hasards dérobée aux velours de la nuit.
Dans le champ des abîmes j'ai incendié les brumes pour guérir tes détresses et leurs cortèges d'ombres neigeuses.
Pour étancher ta soif j'ai recueilli l'écume laiteuse d'un astre neuf,
Et tressé dans les spirales étincelantes des comètes une couronne divine pour parer ton front haut,
Et d'un seul baiser sur la fêlure vulnérable de tes lèvres immobiles je déposé le souffle incandescent du firmament… »

Pourtant ce texte ancien résiste. J’aurais voulu l’attaquer, le défaire, le réduire. Mais je n’y parviens pas. Comme s’il portait autre chose, comme si cette autre chose invisible me tenait encore. Quelque chose de l’ordre de l’affranchissement.

« J'ai voulu l'impossible, surtout l'impossible, pour me croire délivré des terreurs du déclin… »

Exhortation qui cherche avec accablement à se survivre. Presque à se convaincre, comme dans une transe vaudou. Parole de danse macabre.

« Epuisé, foudroyé par la chaotique et bourdonnante espérance je me suis allongé au pied des grandes meules de l'univers, sur ce tapis de brindilles claires, lambeaux de silences oubliés par le temps
Voilà ce que j'ai fait
Voilà ce que je dirais sous le voile de ton sommeil, de ma parole la plus blanche au cœur de ma nuit la plus noire… »

Mais mon amour va l’amble, battement désaccordé au creux d’un monde désarticulé.

Brûlure sacrée des instants rares
Orchidée cueillie sur les lèvres du jour

Je t’ai vu allongée les yeux fermés
Ni vivante
Ni morte
Plus que vivante
Plus que morte
Plus vraie qu’un soleil
Sur le coussin fragile des mots j’ai rapproché ma bouche pour souffler sur ta gorge une caresse rouge.
Sous l’arche de ton sommeil vacillant ma voix devint rumeur innombrable…
Murmure ruisselant…

Et ton innocence flotte auréolée d’un tremblement limpide.
Et ta chevelure noire déverse des champs de comètes frémissantes.
Et ta bouche savoureuse s’arrondie dans la chair sanguine des oranges.
Et tes yeux effarouchés chancellent comme des guirlandes de chandelles.
Et tes mains délicates en éventails balaient les poussières désargentées de la nuit comme l’aile du papillon effleure le cœur des roses.
Et ton sourire amande a la chaleur des étreintes.
Et ta voix captivante connaît le luxe et l’harmonie des plus grands paradis.
Et ton front réfléchit la lumière et la grâce des lys.
Et ta peau séraphine se perle de rosée.
Et ton corps élégant traverse enfin l’aurore……

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve…….

Trop de parole dans ces mots. Car le monde s’enchante de la parcimonie, de la rareté, cela l’allège du trop plein, de l’excès, de la tonitruance de nos vies.

Car le monde a besoin du peu et du rien. Il a besoin de ce temps suspendu, presque perdu.

Comme ces prières qui montent des cloîtres : silencieuses, invisibles, cris inaudibles à force de s’opposer au vide, au néant, à nos insuffisances…

Tous ces riens, ces si-peu jetés dans l’espace.

Car le monde s’enchante d’une seule présence invisible, d’un seul geste, d’un seul baiser, d’un seul mot prononcé dans le dénuement et dans l’absence de toute réponse.

Franck.

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Commentaires
S
sur ce papier où ma plume a glissé, j'ai pensé au passé, qu'il est loin ce passé. Quelquefois, relisant mes propres mots, rejaillissent les douleurs et les écorchures d'autre fois, tel des poignards mortels. Alors poussé par une force invisible, je m'envole, loin de la réalité qui m'a poussée. C'est à ça que sert l'écriture, à voyagé dans des mondes iréels dont nous détenons les clefs...<br /> <br /> on se retrouve dans ces écrits magnifiques! c'est magique...
Répondre
S
Nous portons en nous l'écho d'anciens murmures... d'anciens cris... d'anciens silences. Et nous les enfantons sur le papier, sans cesse, comme on se fait renaître.<br /> Et l'écriture, sans les déchirer, les scelle dans ce corps mirage reconstitué. Alors que le réel, lui, avec son pas devant l'autre, fuit les épaves d'avant hier. Ces navires brûlants où nous avons tant mis de nous mêmes.<br /> <br /> Alors, oui, sculpter ses exils. Visages, corps, pigments. Premiers mots, derniers amours, mémoire des miroirs. Symboles d'un ancien soi ni plus ni moins solides, ni plus ni moins sincères que ce nouvel être, toujours inachevé, toujours plus à bâtir que la veille.<br /> <br /> L'issue de l'erance... Franck... peut être la liberté ?<br /> Et tu es bien son jardinier. <br /> Le bouquet d'asphodèles que tu tisses autour de ta mémoire est une closerie où il nous est, enfin, donné de respirer.
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F
Je suis d'accord avec toi Lubna. Il faut se mefier des mots, de leurs formes, de leur maquillage... Il est plus simple de travailler sur l'intention, l'élan, le mouvement qui veux sortir de soi. C'est lui qui donne la couleur aux et leur sens au mots. <br /> Le geste. <br /> Je connais ma tentation lyrique, et je ne la renie pas, elle m'est indispensable, pourtant à force de travailler le souffle, la respiration, il semble qu'elle s'estompe....<br /> Le geste réclame de se repositionner sans cesse pour trouver la juste place. C'est un peu un travail de calligraphie. Être en soi et hors de soi en même temps....
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L
oui le pesant du verbe n'allège pas nos coeurs, c'est au plus pur du langage que l'on se découvre, c'est à écorcher, dépecer l'entier , que l'on s'approche du coeur de la parole.<br /> les métaphores étouffent notre désir de vérité, elles sont codes labyrinthes, images chapes, esquisses introverties qui ne délivrent de notre pensée le peu que l'on veut libérer.<br /> j'y préfère les mots qui halètent, qui à bout de souffle, à bout de vie, vont choir sur la page.<br /> je préfère de ton écriture, l'autre écriture, celle du ressac, brêve, échancrée à nos oreilles, et qui sans cesse nous berce au plus profond d'un ventre noué et qui du verbe nous offre la trame, simple, pure , celle de la naissance .<br /> bises Franck
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