La parole impossible......
La parole amoureuse et une parole folle, elle se dit avec les yeux et avec l’horizon. Elle est folle parce qu’elle raconte la nuit, même en plein jour. Surtout en plein jour. Elle est folle parce qu’elle est pauvre, et qu’elle est faite de quelques mots, toujours les mêmes, comme les prières. Et d’un nom, d’un seul nom, comme un seul clou. Et qu’elle sort froissée par le silence qui la recouvrait, et qu’elle se déploie, comme un pétale dans l’aurore, comme le pas maladroit de l’enfant qui commence à marcher. Et qu’il faut pour la dire un ciel entier dans la bouche.
Lent redressement du murmure qui cherche son souffle dans un désastre de lumières et d’ombres. En se dépliant dans la voix incendiée, elle se déshabille, impudique et offerte. La parole amoureuse n’est pas belle, puisqu’elle a quitté la terre et qu’elle est insensée, et qu’elle est inaudible. Et qu’elle est sans intelligence puis que c’est la seule parole vraie, jamais dite. Et qu’elle est sang, feu, dévastation, anéantissement.
Et qu’elle n’est pas faite de mots, mais seulement de visage et de chair brûlée, de chair sauvage et désespérée.
La parole amoureuse est faite de l’échange des lumières, au crépuscule et à l’aube car il n’y a pas de temps pour la dire, pas de lieu pour l’entendre, à par les angles. Car elle n’est faite que d’abandon, et d’éternité tissée d’infini. Elle est la peau qui colle aux lèvres. Et elle est la source au milieu des sables, car elle naît au plus profond de notre solitude claire. Elle ne sait que glisser sur la neige sans laisser de trace. Elle ne sait qu’effleurer l’océan. Enlacer les nuages.
La parole amoureuse ne s’écrit pas, elle est la page blanche et la main qui la caresse et la peur qui l’interroge et la larme qui l’inonde. Elle s’invente et meurt dans l’instant où elle se dit, et à sa place il ne reste que le printemps. Elle est houle insaisissable, où l’espoir à la désespérance se mêle. Lent mouvement du temps et du sang. Lent tremblement des chairs.
La parole amoureuse est une parole vaincue, jubilant de sa propre défaite, précipitant même cette défaite. C’est une parole qui naît hors de nous et qui vient mourir sur nos lèvres dans l’éclat d’un silence offert. Elle contient le monde depuis son origine, elle en sait la fin. C’est pour cela qu’elle est d’abord renoncement et consentement. C’est une parole qui n’a pas de force, seulement de la puissance, assez pour couper le réel en son point le plus dur. Personne ne la connaît, elle ne s’apprend pas, mais chacun la sait, puisqu’elle tient à elle seule les fils de notre vie.
La parole amoureuse s’avance à rebours car elle tourne le dos à tout ce que l’on a vécu, elle revient vers notre enfance la plus pure, la plus désolée, et elle va pieds nus dans la langue comme une gitane ébouriffée. Parole dégagée de la parole. Murmure délacé du murmure. C’est une parole effondrée car il lui a fallut traverser les peaux mortes, les chairs molles, les os cassants et le mur de silence qui la protège de l’indécence, et de l’impudeur. Elle se consume dans le baiser qui la souffle et renaît de son propre désarroi.
Elle ne sait que fleurir, la nuit, au bout des doigts et sur les paupières closent.
C’est une parole qui s’est quittée.
Une parole d’au-delà.
Une parole débordée.
Sans mémoire.
Sans lendemain.
Brisée seulement d’éternité.
Franck.