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J'irai marcher par-delà les nuages
25 décembre 2006

Les mains de l'enfance......

Parce que c’est l’enfance et que l’enfance est la première patrie de la solitude. Parce que tout se résumera là, comme un raccourci. Les premiers gestes s’impriment sur le premier passage de la pellicule. Et la manivelle du temps fait tourner la pellicule. Toujours la même. Images sur images. Temps sur temps. Et la vie se regarde dans la transparence et la confusion des images. L’empilement des images sur la pellicule.

La solitude de l’enfance est un royaume. Une citadelle d’ignorance sublime. On est dans l’abondance du manque, dans doc_29422bl’insuffisance de nos actes, de nos pensées vagabondes, on est dans la lumière perpétuelle des inventions. On manque de rien puisqu’on manque de tout, et que tout est le ciel de nos jours. On est un dieu nu et innocent. Attentif. Et souriant. Effleuré par les heures des jours sans fin, frôlé par le vol suspendu des papillons, caressé par la trace laissée des oiseau, enlacé de clartés légères. C’est le temps des exploits, des conquêtes, où passer de l’ombre au soleil est une aventure incommensurable de mystères et de joies.

Avec l’âge apparaîtront les premières fissures, et grandir annonce la défaite. L’adulte vit dans des champs de ruines. Ecrire tente de redresser les murs de l’enfance. Retrouver les premières traces sur la pellicule.

Je mets mes mots dans la transparence du temps. Je m’effare de la contemplation de l’avenir de ce passé. Ecrire c’est l’enfance qui pousse encore, et tend sa main maculée de terre. 

L’enfance est un ouvrage sans limite. Et l’âge apporte l’ennui, la misère, le désastre. Et l’âge traîne avec lui la fatigue, l’accablement. L’inachèvement. L’enfant n’est pas à lui-même, il est absent de tout. La fatigue de l’enfance advient par trop d’absence. La fatigue de l’adulte arrive par l’inverse, par trop de présence. Trop de présence vaine. La fatigue de l’enfance s’efface avec un peu de repos. La fatigue de l’homme s’aggrave avec le repos.

L’enfance ne se souvient pas de la mort, et l’adulte a oublié la vie. Ecrire c’est tenter de se souvenir et de l’une et de l’autre. Tenter. Tenter seulement.

Car écrire épuise mais ne fatigue pas.

Il y a dans certains jeux de l’enfance la gravité du destin. playa27fw

Nous écrivons bien avant de savoir écrire. Et cette écriture d’avant est la plus simple. La plus puissante. La plus essentielle. L’enfance connaît le geste libre qui se nourrit de lui-même et se désaltère de son propre sang, et trouve avec aisance le passage de la lumière.

Je m’installais sur la lisière. A la frontière du sec et de l’humide. Face à la mer. J’ai passé mon enfance dans la terreur de l’eau. Alors je restais sur la plage. A la frontière du sec et l’humide. Surveillant la mer. Et je passais de longues heures assis dans ce face à face. Sur le bord de la mer, posé sur le sable. Sur la frontière.  A creuser. A creuser le sable. Creuser est le premier acte de connaissance. Il faut une vie pour passer du sable à la terre, et de la terre à la chair. Creuser c’est éprouver la réalité, c’est déjà affronter l’illusion de notre vie.

Alors on est sur le bord de la plage. Face à la mer. S’appliquant à creuser, à trouer, à blesser. Et bientôt le fond du trou se mouille. L’eau apparaît. Et nos gestes s’animent. Plus fort. Plus profond. Une sorte d’excitation fébrile qui nous pousse à creuser toujours plus. A vouloir vider le trou de son eau, de son sable. Le vider de tout.  Et plus l’on creuse, plus le trou s’élargit et se rempli. Et plus l’on s’épuise, à vouloir épuiser le trou. C’est un jeu de l’enfance. Et c’est déjà un jeu de la vie. A chaque brassée, on remonte du sable. Toujours le même sable. Et c’est intarissable, démesuré. On pourrait croire que c’est du même que l’on remonte du trou. On pourrait croire que c’est le même geste. Le même trou. Le même vide. L’enfance s’entête, là ou l’adulte renonce. L’enfance invente l’écriture.

Il s’applique. Attentif et souriant. L’enfant livre son combat contre l’impossible. L’inacceptable. Et sans cesse le trou Un_enfant_sur_la_plage_____by_Silverwolf4000s’agrandi et se rempli. Ecrire c’est ce trou qui s’agrandi. A chaque mot. A chaque texte. A chaque redite. Ecrire c’est épuiser la terre et le vide de la terre. C’est ce trou vers la mer. C’est s’épuiser dans le même geste sans savoir que l’on va vers l’infini de la mer. Et les mots sont le sable, rien de plus que du sable humide, et l’eau l’impossible connaissance. Ecrire c’est ce geste pur et absurde. Pur parce qu’absurde. L’écriture ne dit rien de plus que cette érosion des bords, que ce rien qui veut rejoindre la mer, dans un geste inachevable, fait dans l’urgence.

L’enfant ne connaît pas la mort, il apprend seulement la vacuité de toute chose. Dans le scintillement des flots, le murmure des vagues, et ‘insolence du soleil.

Il n’y a pas d’œuvre. Uniquement ces trous dans le sable, que la marée envahira.

Ecrire c’est être à la frontière du sec et de l’humide et creuser toujours plus profond, toujours plus loin.

« Qu’as-tu fais de ta vie ? »,  « J’ai creusé… et certains jours j’étais heureux…sans raison… »

Ecrire c’est avoir les mains de l’enfance, maculées de terre ou de sable et les tendre au soleil pour y voir briller quelques rêves d’or.

Assis sur le bord du trou.

Face à l’océan.

Franck.

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Commentaires
S
J'ai lu et relu ce texte, chaque jour, sans parvenir à en dire mot. <br /> Comme une érosion sur les bords de mon dire.<br /> Cette fois encore, je resterai avec mon silence, un mutisme venu de loin, de l'émotion, et de l'enfance, que tu dis si bien Franck.
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G
La vie, par l'enfant, a trouvé sa douceur !<br /> <br /> MEILLEURS VŒUX pour 2007.
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Y
Tellement beau, tellement vrai, tellement doux... écrire encore et encore, et puis lire, te lire. Je te souhaite une belle fin pour cette année qui s'achève et le meilleure pour celle à venir. Tendresse. <br /> Ysa
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A
de souhaiter que tu continues à creuser!<br /> <br /> à garder tes mains d'enfance<br /> <br /> à poursuivre ton inexorable destinée d'écriture<br /> <br /> Je te souhaite de poursuivre et de t'accomplir<br /> <br /> moi je suis heureuse que tu sois toi<br /> autant que je suis heureuse d'être moi<br /> <br /> plus peut-être<br /> <br /> soif <br /> attraper le vent<br /> ou les poussières d'étoile<br /> <br /> très belle année 2007, ami
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