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J'irai marcher par-delà les nuages
28 mai 2007

Le sans fin.....

Celui-ci regarde par-dessus son épaule et contemple, derrière, ce qu’il a perdu. Et cet autre regarde devant lui et contemple ce qui lui reste à conquérir. Ce sont des fous, c’est l’inverse qu’il faut faire.

Regarder derrière ce qui nous reste à conquérir. Regarder devant ce que nous avons perdu ;

C’est toujours l’inverse qu’il faut faire. Pour ne pas tomber, c’est toujours l’inverse du premier mouvement qu’il faut faire. Ainsi la funambule sur son fil d’or et son ombrelle rouge. L’inverse, c’est la loi de la danse, c’est la loi du chant. C’est la loi des miroirs. C’est la loi du temps. L’inverse c’est comme un retour qui irait de l’avant.

Retourner son geste comme la peau d’un lapin, pour le révéler, lui donner sa vraie couleur. Le rouge.

 

J’ai des cendres dans la voix. Les morts sont toujours vivants. Ils savent la véritable loi. La loi de l’inverse.

Le sans fin nous hante.

Je vais vers mon enfance comme le saumon remonte le fleuve. Pour aimer. Et pour mourir.

Ecrire c’est toujours retrouver une langue ancienne perdue. Aimer c’est toujours retrouver un pays égaré en nous. Parfois, c’est trahir la solitude qui nous attend.

Ecrire c’est toujours trahir les eaux incestueuses d’où l’on vient.

Ce sont les cailloux qui savent le chemin. Et je n’ai pas assez de pierres en moi. Pas assez d’attente. Pas assez de silence. Il y a des cendres dans mon encre. Ce n’est pas le passé qui compte, c’est le nœud qui nous attache avec lui. L’écriture défait la prise, parfois elle permet de trancher les liens. C’est le travail d’une vie. Se dénouer de nous-mêmes. Se déprendre. Se trancher. L’écriture c’est d’abord ce démembrement.

 

J’ai retrouvé de vieilles photos. Celles que ma grand-mère Simone, gardaient. Simone c’est ma terre creusoise. La mère de ma mère. La mère aux douleurs longues et silencieuses. Simone c’était un arbre, et on ne savait dire en le voyant, si cet arbre tenait le ciel, ou s’il le repoussait. Elle était un arbre en lutte, et son écorce de femme éclatée en témoignait. Elle était un arbre qui travaillait la matière de l’air avec évidence, et application, et volonté, et constance.

Les grandes tragédies sont inscrites dans le bois de ces grands arbres. On les entend craquer dans la tempête. Ce ne sont pas des gémissements. Les grands arbres ne se plaignent pas. Ils craquent. C’est leur façon de souffrir dans la dignité. Les plus grandes puissances sont modestes, et sobres. Elle était un arbre pétrissant et la terre et le ciel. Elle avait vu sa chair mourir. Deux fois. Alors on ne savait pas si elle tenait le ciel, ou si elle le repoussait.  Elle avait enterré ses deux filles.

Alors je regardais ces vieilles photos. Cortèges d’ombres et de souvenirs, images sans cesse renouvelées e nos défaites. Je n’aime pas les photos. Elles disent rarement la vérité. Et puis celle-là m’a arrêté. Je ne la connaissais pas. Une photo en forme d’énigme.

C’est le jour de l’enterrement de ma mère. Sa fille. Sur la photo on ne voit que le caveau. Le caveau couvert de fleurs. De cette journée je ne me souviens que du froid et du brouillard de glace qui nous étreignait. Pourquoi cette photo sans personne dessus. Pourquoi ce caveau couvert de fleurs. Pourquoi Simone voulait cette photo. Sans personne dessus. Uniquement la mort. Je ne me souviens pas que quelqu’un ait pris des photos. Pourtant Simone a fait prendre une photo. D’un caveau couvert de fleurs. Toutes les fleurs ne sont pas là. Je revois cette immense tache de fleurs dans le petit cimetière de Saint Médard. Les couronnes débordaient sur les autres tombes à coté.

Cette photo est étrange. Comme si elle avait voulu photographier la mort. Comme si les fleurs suffisaient à effacer le tragique. Comme si la photo conjurait l’absurde. Comme si le geste de la photo inscrivait de l’éternel au cœur du précaire.

Dérision.

On ne fait pas des photos pour se souvenir. Les photos c’est le passé du futur. Une mémoire pour demain.

Cette photo m’intrigue. Elle dit la mort, mais pas uniquement. Elle dit autre chose. Quelque chose qui va au-delà. Quelque chose de différent. On ne photographie pas des caveaux. De quelle preuve avons-nous besoin ? Comme si notre sang ne suffisait pas. Elle dit un mystère qui échappe aux dieux.

 

Ce sont les cailloux qui savent le chemin. Et je n’ai pas assez de pierres en moi. Pas assez d’attente. Pas assez de silence. Il y a des cendres dans mon encre. Ce n’est pas le passé qui compte, c’est le nœud qui nous attache avec lui. L’écriture défait la prise, parfois elle permet de trancher les liens. C’est le travail d’une vie. Se dénouer de nous-mêmes. Se déprendre. Se trancher. L’écriture c’est d’abord ce démembrement.

Le sans fin nous hante.

On aime pour l’oublier.

                                                         Pied___terre

Franck

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Commentaires
P
Je vais vers mon enfance comme le saumon remonte le fleuve. Pour aimer. <br /> <br /> Je trouve que c'est une phrase prodigieuse, éclatante, une phrase qui déchire le ciel.
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K
Photographier les fleurs sur la tombe d'un être chéri, c'est peut-être un peu s'offrir pour demain le printemps de la vie qui l'a fuit. C'est crier à l'hiver que son souvenir lui survivra, c'est s'assurer que la mémoire va subsister à sa froidure. Ecrire, c'est poser une fleur sur un tombeau. Oui, écrire, écrire écrire écrire, c'est jeter sur nos regrets la couleur qui demain, nous endormira. Ecrire c'est vivre encore un peu, c'est un pas, en avant, en arrière, qu'importe ! c'est un pas vers les fleurs. Simplement. <br /> <br /> Ta note est si pleine de pudeur. Il y a dans tes mots une puissante tendresse et une sensibilité qui me touche énormément.
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N
Il faut quand meme avoir le courage de relever tout cela, toutes ces questions qui restent et resteront peut etre sans réponses et qui sait vivre avec!! je suis navrée pour votre mére, nous apprenons beaucoup de vous ici et encore plus tous les jours, oui parce que le rendez vous ici dans votre monde ou coule votre séve pour moi c'est un quotidien... Bravo parce que vous avez toujours ce don là de trouver les mots et les questions qu'il faudrai et merci parce que j'aime venir ici parce que je sais que je vous lirai... Yasmina
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