Une crique......
Il y eut les landes sauvages, et puis il y eut le rivage, et puis il y eut l’océan. Partir toujours et n’arriver jamais. On quitte les lieux, on quitte les autres, après on se quitte soi-même. On ne se remet jamais de tous ces départs, de tous ces abandons. On vit dans un temps écrasé.
Ecrire est cette longue énumération de ce temps défait. La liste des noms des absents. La liste des silences. Dénombrement. Démembrement. Inscription vaine et lumineuse. Ravauder sa solitude, jusqu’à l’épuisement, ou jusqu’à l’ivresse. Mais nous sommes trop lâches pour être assez désespéré. Trop faible pour nous arrêter ou nous taire. Inconstant dans notre attente.
Le premier mot fut un cri. Et penser fut d’abord penser l’intolérable, l’inacceptable. Et le premier cri a suivi le premier effondrement. Et il est venu signer la première solitude. Et nous n’avons fait aucun progrès. Des petits désirs pantelants, des ambitions sans exigence, des caprices concupiscents et puis de longues indifférences. Et quelques dieux pour nous distraire.
Alors, écrire c’est encore s’égarer dans une enclave de temps. Une sorte de crique. On y accéderait que par le chemin escarpé de parole, que par une voix transgressée, une voix méconnue, une voix étrangère à notre voix, un monde que nous ne savons pas habiter. Ecrire serait appartenir à la terre sans y appartenir. Une crique. Une île sauvage. Quels sont les lieux inhabités en moi ? Quels sont les lieux escarpés ? On vient tous d’une humanité fracassée. Ecrire est sans issue. Uniquement quitter la crique par la mer. La seule issue se trouve dans le bercement et l’horizon. Et la solitude exténuante, caniculaire. Il y a là, un désir mortel. Inexplicablement mortel. Un point de violence abrupte, que l’écriture délie dans la coïncidence des temps. La brûlure des chairs. La brûlante patience des constellations. Ecrire c’est déjà la mort. On vit dans un temps écrasé. On écrit dans un temps sans limite. Puisque c’est déjà la mort.
Ecrire est sans savoir, et c’est ce qui défait les livres, ce renoncement à toute explication, et cette patience d’une parole crucifiée, béante. Une parole de nuit, avec le retour de l’abandon. Sans cesse le retour de l’abandon.
Franck