Arbre.....
Il y a ce rêve, sans doute veut-il me parler. Me signifier.
Dans ce rêve il y a un arbre. Massif. Imposant, au bout d'une plaine perdue. Inconnue. Un arbre posé dans le repli de l'horizon.
Je ne me souviens jamais de mes rêves. Là, il y a un arbre. Presque trop grand. Immense. C'est un rêve d'arbre. Quelque chose tire mon écorce. Quelque chose tord ma chair rigide et filandreuse. L'arbre est isolé. Seul. Paysage dépeuplé. Sauf l'arbre. Dans sa lenteur à vivre. Dans sa difficulté à dire. Dans l'étirement engourdi de sa fibre. Hors de sa forêt l'arbre ressemble à une tragédie. Une lente lutte résolue tricotant de l'éternité dans les mailles inconstantes et inexorables des saisons. Déborder sa chair. Mourir chaque année et déborder sa chair quand même. Puissance lente, fatale, traversée de toutes les fragilités. C'est un arbre posé au loin comme un vaisseau tendant sa voilure au ciel. Large voilure de verdure argentée.
Je ne sais dire de quel arbre il s'agit, c'est n'est pas un chêne, peut-être un orme. Le rêve ne le dit pas. Le tronc est gros, lourd, sculpté de profonds ourlets, d'épaisses plissures, de longues blessures écaillées de temps. Bourrelets de croûtes de sève coagulées. Dans le silence de la plaine l'arbre déborde ses fractures, ses balafres, et chaque saison trace sa marque, sa morsure. Les crocs du temps se plantent dans le bois qui se donne, qui s'offre et s'épuise, ce bois qui s'appuie sur ses effondrements et qui se redresse de ses propres défaites en tirant sur ses bras décharnés, en saisissant une portion de ciel ou en accrochant ses branches à quelques nuages compatissants. C'est un rêve d'arbre. C'est donc un rêve de solitude. De patience. Dans le rêve, il a cette plaine de nulle part et cet arbre dressé dans son silence. Et cette impression de silence dans le rêve. Et ce silence, là maintenant à l'heure de l'écriture. Comme une puissance. Comme une désolation. Quelque chose de la vie qui se survit. Quelque chose de la mort qui persévère. Une mort assidue, endurante, calme. Infatigable. Minutieuse. Et seulement la ramure dans le vent. Et seulement cet élan languissant presque immobile, engourdi par le délaissement, et cette tension sans fin. Un épanchement.
Il y a ce rêve, sans doute veut-il me parler. Me signifier.
Il y a l'arbre dans ce rêve et moi qui suis comme l'arbre. Un rêve de la permanence et du précaire, de l'éternité dans l'éphémère. Un rêve de lenteur, de pesanteur. Comme une puissance. Comme une désolation. Et chaque mot serré dans l'écorce craquelée, venu d'une sève lente. Si lente. Macération lente d'amour. De débordement des chairs du bois, dans cet étirement vertical. Le gras de la terre noire plein les cuisses et le sexe, et les bras nus tendus vers un baiser insensé. Amarre tenace et solide où s'ancrent les cieux. |
Chaque arbre dans son mûrissement d'écorce fabrique les saisons. Sa tension vers le ciel cherche une éternité, c'est pour cela que nous y gravons nos cœurs enlacés, pour inscrire nos âmes amoureuses dans la vie du temps.
De la terre, aux constellations.
Car les arbres parlent aux étoiles, les oiseaux et le vent ne s'y trompent pas. Chaque arbre est une passerelle pour les cieux, le plus court chemin vers l'infini.
Et lorsque nous posons notre main sur leurs troncs, dans l'échange des sangs, c'est la vie incorruptible que nous cherchons, c'est l'évidence d'une révélation. C'est l'instant brutal multiplié jusqu'à la fin des temps.
Les arbres ne meurent pas, c'est ce qu'ils nous apprennent lorsque nos lèvres se posent sur les oreilles de leur écorce. Un et innombrable. Comme une présence irréductible. Seule la foudre les fait faillir, ou la hache.
Les arbres sont faits d'attente patiente et de solitude déployée en saison, ils sont le chant des siècles et le reposoir des dieux.
Ecrire c'est faire de l'arbre. C'est mûrir sous l'écorce de la parole, la saison à venir. C'est faire du temps, dont les mots sont les graines. Ecrire, c'est faire de l'arbre, c'est réunir la terre et le ciel, en dépliant chaque mot avec la persévérance du bois, c'est étendre le texte en tronc, en branches, en ramures, et jusqu'aux feuilles, et jusqu'aux fleurs, et c'est tendre ses fruits en offrande.
Franck.