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J'irai marcher par-delà les nuages
23 novembre 2008

Rupture......

Le passé se cambre, comme pour soutenir le cintre de la mémoire. Voûte tendue des souvenirs, léchée par l'ombre tremblante de la lumière du jour, qui filtre au travers des vitraux du désir, flammèches de lueurs, qui donnent encore quelques frissons aux pierres humides, aux dalles froides, au chemin de croix déjà parcouru.

 

Il y a des lieux de nous-mêmes dont on ne revient pas. On les arpente la vie durant comme un aveugle, se cognant et trébuchant aux mêmes endroits, n'évitant rien des obstacles mille fois connus. Jusqu'à user nos guenilles. Jusqu'à l'épuisement du moindre désir. Il y a des lieux de nous-mêmes, clôts comme une île perdue. Une île usée par les mêmes vents, rongée par les mêmes embruns, brûlée par les mêmes astres.
Il y a sous la peau nos déserts, et derrière nos yeux les mêmes images, et dans l'oreille la même musique, et dans nos mains cette même attente inutile, cette même distance infranchissable.

 

Le baiser c'est égaré, abîmé, il a sombré dans l'espace trop grand des jours, il est resté collé aux lèvres devenues trop sèches. Et la caresse a refluée, c'est reprise, comme une mer qui se retire, arrachant dans son retrait jusqu'au goût de la chair, pour ne laisser qu'une saveur fade d'os blanchi. Comme si tous les départs étaient des retours. Et toutes les fins d'immondes recommencements.

 

Il y a des lieux de nous-mêmes qui ne nous abandonnent jamais, ils sont la route, et l'unique lumière noire, notre lieu d'éternité. Le sans fin de notre vie. Les ventres se sont séparés, les cuisses se ont refermées, les sexes se sont cachés, les seins se ont durcis pris dans glace du marbre. Les corps sont devenus pierres anguleuses aux arrêtes tranchantes aux paroles acerbes et crues. Les corps ont perdus leurs formes, leur tiédeur, leurs secrets et le mystère de leurs odeurs. A chaque geste un silence en surplomb. A chaque heure un gouffre en partage. Cascade lancinante et dévastée d'ombres sauvages et cruelles. Une à une les portes du langage se sont refermées. Un bruit sec et mat. Mots ravalés, qui viennent s'empiler les uns sur les autres. Murs lourds en parpaing de silence, dressés sur les frontières de l'absence, qui arrivent au grand galop. Déferlante d'indifférence bouillonnante et avide de nouveaux naufrages.

 

Il y a des lieux de l'autre qui nous dépossèdent. Ou pire, qui nous rendent à nous-mêmes. Lieux néants, lieux vides d'espace où la rencontre n'est plus possible.

 

J'ai simplement fermé la porte. Un bruit sec et mat. J’ai simplement étouffé la parole. J'ai simplement voulu aller loin, rejoindre mon île perdue. Celle qui gît, là, au fond de mon ventre. J'ai simplement voulu défaire le tricot des mots, des gestes, défaire le temps lourd et lents, défaire les brumes et les landes qui nous entouraient, défaire la citadelle creuse qu'on osait plus habiter.
Alors j'ai roulé dans ma mémoire. Longtemps.
Cela fait si longtemps que je roule mon errance. Caboteur mélancolique qui cherche sur les rives qu'il frôle le phare. Le phare.
J'ai simplement fermé la porte. Et je ne me suis pas retourné. Il n'y a jamais rien derrière. Il n'y a jamais rien devant. Il n'y a que l'instant, celui-là, celui qui suce le sang. Là, maintenant et qui nous écrase. J'ai les mains vides, même les prières s'en échappent. Et les souvenirs s'écoulent comme du sable au vent.

 

Comme du sable au vent.

Et les espérances s'éteignent comme des nuits sans lune.

Un lait noir et froid.

Poison silencieux de l'errance.

Infiniment longue, infiniment tenace.

 

 

Le passé se cambre, comme pour soutenir le cintre de la mémoire. Voûte tendue des souvenirs, léchée par l'ombre tremblante de la lumière du jour, qui filtre au travers des vitraux du désir, flammèches de lueurs, qui donnent encore quelques frissons aux pierres humides, aux dalles froides, au chemin de croix déjà parcouru. Je suis dans la pénombre voûtée de ma mémoire. La peau nue sur les murs noirs. La peau nue sur l'usure des ans, traversée par une sorte de langueur de crucifié.

 

J'habite une église désertée, sans procession, sans ostension, les saints de marbres gisent absents, le geste vain, le regard vide de compassion. Et sur l'autel, nul calice, nul livre, nulle parole d'évangile, nul cierge, hormis un silence immaculé et austère, imperturbable, et insensible.

 

Il est de ces chapelles abandonnées par les dieux, où seul le temps y pénètre, et les seules prières c'est le vent, et les seuls murmures sont les larmes qui suintent le long des vitraux. Chapelle de nuit et d'orage. Chapelle d'oubli. Ni portes, ni pardon. L'expiation est un long pèlerinage.

 

Mais je sais des arcs-en-ciel qui perceront ces murs.

Je sais des océans dans les plis rugueux de la pierre.

Oui, je sais des saintes.

Des saintes résolues, à la peau de passion, à la chair de cantiques, aux murmures brûlés.
J'entends pousser un arbre au transept de mon silence et couler un long fleuve dans ma nef patiente. Je sais un incendie qui couve.
Et je sais mon sang quand il brûle chacun de mes mots...
Je sais toutes ces choses qui arrivent au galop, au tumulte qu'elles font, aux frissons des étoiles, à l'effarement des cieux.

 

Franck

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Commentaires
S
Un irrésistible sourire me monte aux lèvres :)
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F
J'apprécie chacun de vos mots, ils me sont précieux...<br /> Pardonnez-moi de ne pas savoir vous le dire à chacune, à chacun....
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S
Je te lis et relis...<br /> Et je pense à Francis James...<br /> " Quand mon coeur sera mort d'aimer "...
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M
et je dirais que l'égarement qui naît des cendres, qui se repaît de tous ces silences, celui là même qui nous pousse à vouloir redevenir un enfant, un à l'étoffe de la vie hurlante, criante, fardant l'espoir fou de quelques notes pour juste se parer d'un peu moins de doute, celui là est, et point de mise en accoutumance, point de réceptacle branlant puisqu'il n'est point d'espace, juste éclos le regard, juste éclose la fenêtre d'un autre regard, juste...
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O
Touchée !<br /> C'est magnifique, les mots qui battent du coeur<br /> sur les parvis de la vie.<br /> <br /> La porte, rien devant, rien derrière... <br /> mais sous la porte un rai de lumière. <br /> <br /> Merci Franck, pour ce très beau texte,
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