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J'irai marcher par-delà les nuages
31 janvier 2013

Ecrire.....(toujours)....

Les textes en italiques sont de Pascal DUSAPIN, extraits de sa leçon inaugurale donnée au Collège de France, intitulée: Composer. Musique, paradoxe, flux. Edition FAYARD

 

"La musique luit et se dissipe, telle une illusion. Secrètement, elle résonne. Mais son écho vient toujours trop tard. La musique, c’est le deuil incessant de l’instant.
Roland Barthes disait : « la musique, c’est ce qui ne revient jamais »… Nous pourrions ajouter, c’est toujours avant. En sommes c’est toujours déjà fini. Ecouter la musique, c’est comme une menace. La menace que cela soit « encore déjà fini ». Alors, on s’obstine. On écoute à nouveau. Et puis, ça n’est encore plus là. Et même, moins qu’avant. Et ça recommence. Avant la musique, il y a le silence. Juste après, ce n’est plus qu’un souvenir. Un « souvenir du silence » d’avant."

Il y a dans l’écriture ce deuil incessant de l’instant, le temps en nous se brasse, en nous il y a de la mort qui parle lorsque l’écriture est là, mais pas seulement, il y a le balancement lent entre l’inachevé et l’inachevable, et l’urgence à reprendre sans cesse. Un feu meure qu’un sang singulier entretient. Il y a de la lutte dans cet échange des sangs et des temps. Le mot ne tient que par celui qui n’est pas encore là. Le vide nous menace, la défaite, la perte incommensurable. Ecrire, lire, nous jette dans le même désarroi. Le lecteur lit en lui son propre poème, il fouille en l’autre qui écrit, ce qui n’est que de lui. Et l’émotion du lire, nait de la coïncidence. Dans le silence de lire quelque chose se condense, se précipite. Le reste d’un futur déjà trop vieux, ou d’un passé toujours à revivre. La fin du poème nous laisse toujours brûlant et dévasté, elle laisse la trace en nous de ce qui manque… le temps et l’amour… les amoureux ne lisent pas.
Le poème nous traverse et laisse en nous une trace invisible, inaudible, indicible, mais on sait qu’elle est là vivante et mortelle à la fois.

 "Composer, c’est inventer des impulsions et des flux. C’est comme l’eau d’une rivière. Ça vient de plus haut, ça passe, l’on sait où ça va, mais ce n’est pas cela qui nous préoccupe. La vraie question, c’est comment faire pour composer ce qui traverse. Composer, c’est inventer des chemins de traverse, des éloignements, des distances. C’est comme fuir et s’enfuir toujours."

Écrire, c’est être traversé par une question, toujours la même. Et qui ne se dévoile jamais de la même façon, sauf dans cette sorte de dérobement, cette esquive qui nous fait chanceler. Ecrire, c’est être traversé par une stridence, une urgence sans objet, puisque le sens d’écrire est toujours en deçà de de l’écriture. En deçà, ou à coté, un « ce n’est pas ça » qui se défait en nous. Ecrire c’est déjà échouer, mais cet échec est la seule force à opposer à la peur, et au néant. Ecrire, c’est s’approcher, sans jamais atteindre. C’est savoir que rien ne sera jamais atteint, mais s’approcher sans cesse. Alors on recommence. Toujours plus loin, toujours plus profond, toujours plus seul. Le silence est le métronome des mots, il bat en nous, écrire c’est traverser un silence pour aller sur l’autre bord, l’autre rive. Mais les bords, et le rives n’existe pas. On le sait. Mais écrire c’est se défaire de ce savoir. C’est ne plus rien savoir. C’est aller….

"Mais composer c’est long. Et lent. Très lent. Très, très long et lent… ça n’avance jamais. C’est parce qu’on ne sait pas ce que ça va devenir. La question paradoxale, ça n’est pas d’achever mais comment ne pas finir.  Composer, c’est ne jamais finir. Ca prendrait beaucoup trop de temps de finir, c’est-à-dire tout notre temps. Et pour autant nous n’aurions jamais fini.
Car pour composer, il est préférable d’attendre. Longtemps. C’est dans ce temps long, presque perdu (et qui se perd dans les détails de l’écriture) que ce joue l’attente. Attendre c’est trouver. Pour trouver, il faut perdre du temps. Cette perte est l’attente."

 Ecrire travaille cette longueur, dans cette usure du temps, dans l’épuisement qui y préside, dans cet effondrement qui suit. Ecrire, ça prend le temps, tout le temps, et la chair, toute la chair. Cela surgit de ce point de néant qui git en nous. C’est le retour à la voix de l’enfance, la voix dépourvue de mot, qui n’est que murmure. Ce qui prend du temps c'est  de défaire l’homme, le déshabiller de la vie qui l’écrase… écrire c’est puiser dans l’ennui, le meilleur de nous-même. Que reste-t-il quand tout est dépecé, raclé ? Que reste-t-il de l’inutile et du vain de nos jours ? Que peut-on écrire lorsque tout a été dit ? Mal dit. Mais dit quand même. Ecrire c’est le souvenir de la terre une fois les amarres jetées. C’est la fin, après la fin. Oui, c’est trouver un chemin possible.

 "Composer, c’est ne jamais commencer, ni recommencer, ni finir. Composer, c’est continuer."

 Ecrire c’est labourer les champs du souvenir, pas pour dire le passé, mais se croire encore vivant.
C’est aussi consentir à l’inachevable. C’est poser là, une lumière sur la margelle du vide, une étoile au bord du néant. Ecrire, dit bien cet ourlet de tristesse cousu  avec un fil d’or pur.
On est perdu, mais du perdu jaillit le feu qui coure sur l’océan, et la houle nous emporte en même temps qu’elle nous ramène au ventre de nos mères.

Franck.

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Commentaires
L
"Ecrire c'est façonner son coeur de l'intérieur, donner aux mots une profondeur."<br /> <br /> Laura L.<br /> <br /> <br /> <br /> Merci pour ce beau paysage de lettre et de lignes, ces mots, ces silences et tout ce qu'ils offrent là : entre et autour comme des clés déposées pour devenir... Pour notre bel avenir...
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