Tectonique des plaques.....
La redite, l'insistance, la persistance, les trois stades de la maladie d'écrire. Et plus on avance dans cette maladie mortelle, moins elle pèse. Et plus elle est grave, plus elle se déploie dans le sang, dans les jours, plus elle s'agrippe à chaque fibre, à chaque respiration, plus elle est mordante aux jointures du rêve, plus elle nous éloigne, plus elle nous épuise, et moins l'on voudrait en guérir.
La redite, l'insistance, la persistance sont les autres formes païennes, de la litanie, de la prière, de l'oraison, car il s'agit d'atteindre la chair, et même, l'au-delà de la chair.
Atteindre la dimension de sa mort. Etre dans la juste dimension de sa mort. Celle qui viendra. Celle pour laquelle on est là.
Passer de la fatalité, au don à recevoir, pour finir, à l'offrande gracieuse.
La littérature naît d'un frottement, comme les plaques tectoniques. Deux mouvements lents qui s'opposent, pierre contre pierre, temps contre temps, puissance contre puissance, usure contre usure, et le résultat c'est le volcan, le tremblement de terre, la vague scélérate. La littérature est le lieu impossible, le lieu d'une précieuse brûlure, inhabitable, invivable. Inachevable. Et dans le même mouvement le renouveau et la fin. Les plaques tectoniques de notre vie bougent, la grande masse de nos souvenirs, de nos illusions, l'accumulation répétée de nos regards, ce magma informe et tremblotant comme de la gélatine peureuse, toutes ces plaques bougent, s'incrustent, s'insinuent les unes dans les autres, s'engloutissent dans l'oubli et l'indifférence, le mépris et abjuration. Ça frotte. Ça racle, ça cure, ça écrase. Des continents, qui à force de dériver se choquent, se heurtent. Se brisent. Et c'est un fracas de douleur et d'extase
L'écriture se nourrit de notre disparition. Atteindre la dimension de sa mort. Être dans la juste dimension de sa mort, à force de redite, d'insistance, de persistance. Comme si la maladie d'écrire effaçait nos vanités, nos prudences. Comme si la maladie d'écrire tranchait dans le gras, le ventru, l'inutile. Pour qu'à la fin on puisse juste enfiler un voile d'ombre. La peau de l'ombre sur notre peau de chair. Sans plis, sans couture, ni ourlet.
Le corps de l'écriture est le lieu du frottement, des masses brassées, le lieu de l'imminente menace. La redite, l'insistance, la persistance. Le corps de l'écriture est toujours marqué des stigmates et du symptôme d'un temps pur.
Le temps pur est un temps vécu à sa juste proportion, à son juste poids. Un temps débarrassé. Il tient debout par sa seule force, sa seule volonté. Sa seule nécessité. C'est un temps qui n'est pas comptabilisé dans nos ans. Il est pur, parce qu'il n'a pas d'épaisseur. Et de la durée, il ne possède que la lumière. Il est éclat. Etincelle. Il est la voix.
La maladie d'écrire a trois stades : la redite, l'insistance et la persistance, et plus elle s'aggrave, plus elle vient en lieu et place de l'inconstance, de l'impermanence, et de la précarité.
Et l'on connait alors les trois degrés de la puissance : la faiblesse faite de boue et d'ivresse, la fragilité faite de verre et obsidienne, et la tremblance faite de silence consumé et d'éternité.
L'autre nom de l'abondance.
Franck.