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J'irai marcher par-delà les nuages
14 décembre 2013

Nuit du ventre ... ( prélude et fugue )

Le jour replie sa lumière, tire sa grande voile claire avec lenteur et faste, avec ce geste large et ample du crépuscule. Le jour se retire emportant dans sa ruine les lambeaux, et les hardes usées par le soleil, les images fatiguées, les paysages exténuées et toutes ces couleurs éreintés, ces nuances élimées par tant de regards frivoles, irréfléchis, par la pauvreté de nos regards, par l'insignifiance de nos croyances incertaines portées sur les lieux, le monde, les âmes. Capitulation du jour, défaite des vérités éphémères. Déroute de nos fraternités provisoires. De nos amours qui s'effilochent, nos amours trop lourdes, impossibles à endurer, impossible à hisser, oriflammes froissés, chiffons délaissés.
La nuit.
J'ai une nuit sur le bord des paupières et jusqu'au fond de l'œil. Une nuit dans la chair de mes mots. Tapie au creux de ma parole. Une nuit ouverte comme une déchirure florissante. J'ai une nuit plantée dans le ventre, une nuit de viscères. Une nuit intestinale. Une nuit archaïque, séculaire. Une nuit d'avant les temps, d'avant les saisons. D'avant le jour. Nuit ouverte et sans fin. Noire. Trop noire. Flots noirs de ténèbres. Hémorragie d'ombres inquiétantes. Car c'est la nuit que les choses irrévocables  adviennent, c'est la nuit que naissent les contrées que nous habitons.
C’est une nuit sans partage. Une vaste lande de solitude et de dénuement. Nuit du ventre. Car je viens de là, car nous venons tous de là. Du ventre et de la nuit. D'un ventre opaque et abondant, d'une nuit interminable. Nuit sans regard. Nuit du chaos primordial. Abyssal. Liquide de nuit. Flottement aveugle de nos peurs. Je suis de cette première nuit qui ne porte pas ne nom, de celle qui ne se dit pas, de celle qui s'invente elle-même, de celle qui se prolonge de sa propre épaisseur. Je suis de cette nuit qui s'arrache au néant, de celle d'avant la mort et d'après la mort. Temps cloaque. Temps du bercement. Temps sans mémoire, sans lendemain. Temps élémentaire, informe, brutal. Sans issue. Temps plat de mes premières noyades, de ce premier naufrage. Inondation des gestes, de la respiration, dans cette mer saturée de nuit, dans ce débordement d'exigences sans forme, sans mot. Rien. Rien, que cette nuit et ce premier désir confus. Rien, que cette surenchère, que cette excroissance, que cette tumeur d'envie cellulaire. Je suis un débordement de chair, de néant, d'ombres flottantes, une simple exagération de la nuit, une outrance des ténèbres. Je suis la démesure de ce rien, qui s'épuise à s'ennuyer, et à vouloir malgré tout. Un vouloir comme une fatalité, une damnation. Un vouloir sans grandeur, pourtant illimité. Monstrueux.
Nuit.
Je suis d'une nuit sans possible. Une nuit bordée d'aucun crépuscule, d'aucune aube. Une nuit sans étoile. Une nuit fascinée. Affolée. Une nuit d'épouvante. De linceul. Une nuit sans rivage, sans continent. Une nuit faite de nuit. Sans autre recours qu'elle-même. Enfantement de nuit. Ombre sur ombre. Agonie sur agonie. Océan sur océan. Pierre sans visage. Pierre tremblante. Pierre recouverte de la peau d'un seul et singulier rêve. L'unique soie d'un rêve sans sommeil. Unique viatique pour passer de la nuit à la nuit. Toujours de la nuit à la nuit. L'unique muqueuse d'un rêve interminable. Membrane inquiète du désir.
L'écriture vient de cette nuit, de cette membrane, de cette inquiétude. Ecriture du ventre. Ecriture intestinale. Ecriture ouverte, béante. Ecriture qui n'a pas d'autre issue qu'elle-même. Ecriture de viscères et d'ombres. Ecriture du premier mouvement, qui s'exagère pour se survivre qui s’excède pour s’épuiser.

Car juste après le chaos, il y a le premier mouvement, le premier mot, le seul, celui qui nous nomme, celui qui nous sacre, celui qu'on ne sait pas dire, celui qu'on cherchera tout au long du jour, celui qui s'effacera de nos encres. Mot trou. Mot néant. Mot nuit. Mot d'avant le silence. Mot creusé, excavé, évidé de son sens. Mot océan, au destin de marées infatigables. L'écriture vient de l'impossibilité de dire ce mot, de l'inventer même. Il est pourtant là, gisant dans le sang des veines, à l'affût de nos renoncements et de nos abandons. L'écriture est ce retour incessant au ventre de la mère, ce retour à cette première nuit sans forme. A cette première solitude débordante, comme un engloutissement. Et c'est un désastre. Et c'est une exaltation. Et c'est le seul chemin. De nuit. Toujours de nuit. Puisque c'est là que tout s'élabore. Puisque que c'est là que tout macère. Nuit, avec son suintement d'aurore. Nuit où les mots se dépeuplent ; du cœur au sang, et du sang aux premières lueurs du jour. Là où le rien s'effondre un peu plus pour laisser la place à la plus faible des lumières, à la plus fragile des paroles, la plus précaire, la plus vulnérable, celle née de sa propre impuissance à se dire, et de cette douleur qui accompagne les résurrections, et de ces chagrins accablants, et de ces souvenirs gluants.

Ecriture du néant posée sur la nuit, avec juste la peau d'un rêve autour des mots. Juste une membrane frissonnante dans la chair de la langue, juste ce désir comme la première étoile dans le tout premier ciel.

Franck.

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