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J'irai marcher par-delà les nuages
4 août 2017

- 96 - Cartographier....

Texte après texte, je tente de cartographier un pays inconnu, inconnaissable sans doute. J’en sais la vacuité, mais j’en ressens l’impérieuse nécessité. Cartographier, c’est dessiner des lieux. Des lieux exacts, des lieux réels. Tracer des séparations là où il n’y avait que du blanc, que des terra incognita. Délimiter. Tracer des routes, des chemins, des possibles. Nommer, surtout. Donner des noms. Un lieu qui n’a pas de nom n’existe pas, ou bien il n’est qu’un rêve. Nommer, c’est faire sortir du néant. Sur la carte, on place des signes, des symboles que l’on arrache au néant. Dans un coin de la carte, on fabrique un petit rectangle, on l’appelle « légende ». Tout tient dans ce mot : légende. On ne peut pas lire une carte sans la légende. Cartographier, c’est écrire une légende. Traduire l’impénétrable. Dire du sens, créer un lien, donner une forme au rêve. C’est inscrire le temps dans l’espace. Raconter.
Texte après texte, je tente de cartographier un pays de légende. Je dessine les plaines, les mers, les déserts, les fleuves, les iles. Je trace avec précaution les frontières, les passages. J’indique les puits, les labyrinthes de la langue. J’inscris l’illimité dans l’infime du signe.
Au départ, il a fallu arpenter la mémoire, puis aller au-delà de la mémoire, placer des jalons sur les lieux archaïques, sur les restes, les ruines, il a fallu marcher, errer dans ses joies, ses douleurs, recueillir un à un les mots de la légende comme autant de trésors cachés.
Arpenter s’exécute avec une chaine d’arpenteur. Là, c’est le mot chaine qui est important : la chaine, c’est ce qui tient deux choses solidement, les rendant inséparables, le réel et l’irréel, l’espace et le temps, la vie et la mort.
Lorsque l’on arpente, on est toujours dans un au-delà, on est toujours dans le lieu d’après, alourdi de tous les lieux déjà traversés. Car il faudra enfanter le langage oublié de la légende. Comme si les mots étaient des enfants perdus. La chaine est là qui tient la parole, l’empêche de s’effondrer.
Arpenter, c’est charger un navire, tracer un horizon, c’est dessiner les lignes du temps, là où elles s’égarent dans les méandres des souvenirs, c’est espérer ne plus s’oublier dans les angles du renoncement, de la fatigue. Arpenter, c’est écrire un lieu où la nuit aurait déserté les jours, mais dont l’ombre serait encore là, toujours menaçante, fascinante, comme l’ultime tentation.
Après, demeure la carte. Où l’on reporte chaque mot, chaque signe. On écrit la légende.
Dans chaque carte, se trouve l’appel d’une autre carte à venir, chaque légende appelle une autre légende, le connu appelle toujours la menace d’un inconnu. C’est souvent cette menace qui nous sauve. Puisque les cartes sont sans fin. Les cartes nous disent toujours celles qui manquent.
Les légendes ne disent pas tout.
Les terra incognita sont des terres voilées. Sous le blanc, demeure la nuit. Cartographier, c’est entrer peu à peu dans la nuit. C’est la faire entrer dans la légende. Dévoiler une nuit, c’est en dire une autre plus profonde encore.
La nuit est immobile, c’est ce qui permet au rêve de se déployer, le songe est le seul mouvement qui s’oppose à la fatalité des jours. Ce qui nous relie à la carte, c’est le rêve.
Le voyageur n’utilise jamais de cartes. Les cartes sont des rouleaux de papier donnés à une humanité lointaine, indifférente. Parfois inquiète. Les cartes sont toujours inutiles, vaines, pourtant nécessaires.
Les légendes sont entre la vie et la mort. Elles sont à la frontière. Elles ont déjà le langage de la mort. C’est cela qui nous attire dans les contes. Comme si, entre le déjà mort et l’encore vivant, il n’y avait que l’épaisseur d’une ombre, que là se tiendrait la légende, dans cette langue qui va vers la nuit et qui peut-être, s’y trouverait déjà.
Cartographier, c’est refaire un voyage silencieusement, en accepter la métamorphose. Les signes que l’on inscrit sont toujours illisibles. C’est pourquoi on les raconte sans cesse, comme les légendes. Comme si rien n’avait vraiment existé. Comme si le sens n’avait pas d’importance. Comme si rien n’avait vraiment d’importance. Hormis la patience à transcrire le long silence languissant qui accompagne les légendes.

Franck.

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3 août 2017

- 95 - Danse...

Avant la parole, il y a la danse. Au bout de l’écriture, il y a la danse. De la danse, à la danse. Entre les deux, la chute dans le verbe. Écrire, c’est épuiser l’immobilité. Lentement. Après l’épuisement, le corps peut se mettre en mouvement. La langue du corps tente un au-delà des mots, ceux-ci ont toujours raté leur cible. Au bout du silence, il y a la danse. La vie renait d’un mouvement inapproprié, mais vital, qui poursuit une parole mourante qui s’efforce dans le silence. La danse parle lorsqu’il n’y a plus de mot. Elle est la dérision de la langue. Sa survie. Sa trace. Sa trace intraduisible.
Avant l’amour, il y a la danse. Après l’amour, il y a l’écriture, avec son écroulement. L’immobilité de la langue, le rêve, son mouvement impossible. Après l’écriture…

Franck.

1 août 2017

- 94 - L'innocence...

L’innocence ne cesse de nous rappeler son effacement.
Je suis sans savoir. Le geste se déploie, je ne sais rien de lui, je me suis défait des raisons, des causes, des paroles ou des pensées inutiles. Je me dénoue de moi, de mes histoires, de mes intrigues, de mes doutes, de mes certitudes. J’avance dans un geste dépouillé, nu, incompréhensible. Seulement la phrase, les mots, les sons, la cadence, le surgissement, toute cette folie de l’écriture.
Il y a dans toute innocence la puissance d’un diable qui veille.
L’innocence est peut-être cette marche infinie vers un lieu jamais atteint, un long chemin de purification, chaotique, dangereux, une longue mise à nu jamais achevée, une tentation plus qu’une tentative.
Nous n’écrivons que pour cela, pour cette folie qui nous fait croire que dans l’oubli de soi, dans la déraison, dans cette soif de l’impossible, dans le renoncement, une once de pureté nous serait rendue, qu’une once d’innocence pourrait être cueillie, nous ne sommes jamais assez fous pour être vraiment innocents.
L’innocence n’est pas un pays perdu. C’est un pays oublié, en contrepoint du réel.
Écrire en est la trace, l’empreinte, ou le point de fuite.
L’innocence ne cesse de nous rappeler son effacement. Sans doute, la raison pour laquelle écrire s’obstine pour en revivre le souvenir. Un souvenir absent ; son absence même, donnant au geste d’écrire son sens de pureté déchue.
Il y a dans toute innocence la puissance d’un diable qui veille.

Franck.

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