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J'irai marcher par-delà les nuages
21 février 2021

Il n’y a plus de lieu…

 

L’écriture est l’autre nom de la mort.
Vivre, c’est se savoir mourant. Écrire, c’est l’être déjà.
Je relis mes derniers textes, avec une sensation d’accablement. Écrire sur l’écriture. Comme une mise en abime dérisoire. Vaine. Le signe, comme s’il en fallait un supplémentaire, qu’il n’y a plus de lieu d’écriture. Comme si j’accompagnais un mouvement de déclin, qui dépasse ma personne, mon geste, ne faisant de moi que le symptôme d’un temps défait, d’une époque où le livre a fini d’épuiser la langue.
Nous sommes d’un temps de bruit, où la nuit n’est jamais vraiment la nuit, nous sommes d’un temps de vacarme fracassé d’images, comme si l’envahissement des sens défaisait notre humanité, nous sommes d’un temps sans peur. Nous sommes pris dans l’ivresse des jours. Nous sommes d’un temps sans épaisseur. Nous sommes d’un monde éviscéré, comme curé, vidé, de sa substance.
Nous venons d’un temps où les mots, ou la langue, racontaient l’excellence et la singularité d’une humanité. Dans la langue s’exprimait la lumière de chacun, les livres étaient objets de culte mémoriel, sacré, ils portaient en eux la voix des siècles passés et à venir…
En perdant les lieux, nous perdons le regard, en perdant le regard, nous perdons la voix, en perdant la voix, nous perdons la grâce… Écrire ne peut dire que la défaite de l’écriture, sous peine de complicité. Écrire n’apparait que dans une sorte de renoncement, dans un refus orgueilleux, solitaire et vaincu.
Aujourd’hui chacun de nos sens est submergé, saturé.
Les voix sont désormais muettes à force de n’être plus silencieuses.
Le livre ne dit plus nos destins singuliers, mais la vague ininterrompue et monstrueuse des faits-divers indécents.
Un univers envahi d’histoires, où raconter n’a plus de sens, comme si le roman, dans sa profusion, était condamné à ne plus rien signifier, déserté qu’il est par les voix devenues inaudibles… Les personnages… La psychologie… L’action… Il n’y a plus d’espace, plus de lieu : le cinéma, la psychanalyse ont tout dévoré. Quant à l’action ? Plus aucun destin ne la porte sinon l’air du temps et les mouvements erratiques d’une histoire envahissante servie à heures régulières dans un flot d’images sordides, de bruits, qui sont devenues incompréhensibles, inassimilables, jusqu’à l’écœurement.
Nos indignations successives, multipliées à l’infini, parcellisées, sont encore une façon d’échapper, par de multiples révoltes inabouties, à la seule qui vaille, qui donne à l’homme sa face tragique, sa beauté, celle de la mort.
Il n’est plus temps de dire nos détestations ou nos adorations. Écrire, c’est entrer dans un lieu où rien du monde n’est dit, où le « je » s’effrite comme une ruine des temps passés, où il ne reste que la trame osseuse du désespoir. Écrire, c’est éteindre chaque lumière, afin que la nuit revienne, dans l’impossible silence.
Alors, il nous faut accueillir la malédiction, l’épouvante, et l’effroi, dans ce qui nous reste de joie. La joie invincible de l’enfant, faite d’éclats de lumière, joie de l’innocence de la lumière qui ne sait pas qu’elle éclaire, qui brille simplement, parce qu’elle ne sait que briller, comme le feu dans l’instant de la flamme.

Franck.

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Commentaires
F
Celui qui écrit ne s’appartient plus, celui qui lit ne s’appartient plus aussi. Tous deux sont dans un au-delà d’eux-mêmes. Dans des temps sans chronologie, dans des espaces inconnus, ou impossibles. Tout converge. Lire, écrire nous place au plus intime de notre singularité, pourtant de ce singulier si intime, quelque chose de plus universel se manifeste ; tout ce qui n’est pas soi, et qui nous bouleverse et nous sacre. Franck
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C
Faut-il parfois aller jusqu’à la trame des mots...les user jusqu’au dévoilement de la lumière. Qu’est ce qui fait votre écriture, qu’est ce qui fait ma lecture...une reconnaissance d’au-delà des mots , une communion, un tango où, unité et unicité dansent sur la musique de l’instant...quel est celui qui parle, celui qui écoute...les deux ne font plus qu’un. Cela entends où Cela parle. Katy
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