Dialogue de l’ange et de l’enfant…
Le texte est le labyrinthe obscur de la voix qui tente de le dire.
Le lieu du combat. Le lieu du serment et des dettes. Le lieu des ébranlements, des chaos.
Entre la voix et le texte, il existe toujours une distance. Une résistance définitive. Des temps antagoniques. Des univers irréductibles. La confrontation des points cardinaux.
La parole est une errance qui n’atteint jamais sa cible.
Le destin de l’écriture est un voyage sans fin. Traversée des sables ou des mers. Elle est sans chemin. Elle est en pure perte. C’est ce qui la rend invincible.
Parfois, le silence forme des iles, des portes dans l’océan infranchissable.
Parfois, persévère un reste, un surcroit qui déborde du texte. Parfois seulement. Des mots se décrochent, tombent, comme s’ils avaient trompé la vigilance du porteur de voix. Des mots débordés. Comme le coolie qui renverse l’eau du seau dans son transport. C’est l’eau rare. L’eau fertile. L’eau détournée. L’eau qui ne sera jamais bue. L’eau du retour. L’eau évadée. L’eau libre. L’eau qui fait fleurir les talus, celle qui inventera les routes futures. Des mots perdus. Comme de l’eau renversée.
Parfois, il y a un reste, un surcroit qui déborde du texte.
Parfois seulement.
Cela s’appelle la poésie.
Y a-t-il des paroles qui ne soient pas destinées ? Y a-t-il des paroles qui n’aient pas de direction ? Des paroles évadées, débarrassées des illusions, des sortilèges aussi bien que des grâces. Des paroles sans intention. Existe-t-il des paroles assez égarées, assez perdues ? Existe-t-il des paroles assez pures pour être assez pauvres ?
Coquelicot dans les chaumes d’un champ de blé.
Parole affranchie de la voix des moissons.
La voix se perd dans des paroles jamais assez nues. Toujours impudiques.
Écrire bien au-delà des marges. Dans la pliure. Dans le givre. Dans le désir dessaisi. Écrire dans l’affaissement. Le retrait. La défaite. Voilà, la défaite, jusqu’à l’excès, jusqu’à l’étourdissement. C’est sans doute cela la perte. L’excès, la saturation, le vertige, l’ivresse. Dans la voix suspendue ou dans le silence cent fois enduré. Peut-être que la poésie est aussi, cette transpiration de la voix. Cette sudation. Un excès de fatigue sous le soleil.
Le murmure d’un gisant.
Comme un suintement. L’exhalaison d’un soupir.
Le poème, c’est ce qui sépare la nostalgie du désespoir.
Il y a du fracas là-dedans, comme un éclat de verre qui retient une part de soleil. Coupure du réel. Les vérités sortent de cette coupure. C’est pour cela qu’elles sont rouges.
Il n’y a pas de savoir. Uniquement une voix qui erre dans le labyrinthe sombre du texte. Aucune connaissance ne nous sauve, hormis de pauvres révélations, ce fragile tremblement, qui ne signifient rien de plus qu’un fragile tremblement. Rouge. Nostalgique et rouge et mélancolique. Tremblant.
Une parole dans la pliure de l’univers. Une parole d’angle mort. Un puits abandonné dans le désert, qui s’offre au temps. À la solitude. Au mystère de la soif et de l’attente.
Aux épousailles de l’oubli et du vent.
Alors, seulement commence la parole du ventre, le dialogue de l’ange et de l’enfant.
Franck.