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J'irai marcher par-delà les nuages
31 octobre 2021

Oublier…

 

C’est souvent le même rituel. J’allume l’écran puis je rentre dans la salle d’attente du texte. La salle d’attente du texte est un lieu, et un temps. Le lieu du temps. Un univers. Une vie. On est là et l’on sait que personne ne viendra vous chercher. Personne d’autre que vous n’attend. Vous êtes seul, vous attendez. Il n’y a pas d’impatience. Simplement l’attente. Le flottement du désir. C’est une urgence douce. Une urgence qui n’appelle aucun soin, aucun recours. C’est un temps paradoxal dans un lieu de conscience paradoxal. Tout y est plus vrai, sans pourtant y être tout à fait réel. Comme le danger. Ce sentiment, cette sensation d’être en danger. Pourtant, là, rien ne me menace, mon corps ne risque rien hormis un tremblement de terre peu probable. De l’extérieur, je dois donner l’image d’un homme paisible, concentré, ou perdu dans ses rêveries. Mais je sens un danger. Un danger qui ne menacerait pas ma vie réelle, mais quelque chose d’encore plus important que ma vie réelle. Je n’arrive pas définir ce que c’est. Personne ne peut définir ce que c’est. C’est la chose la plus importante et personne ne peut dire cette chose. Elle est là, on est construit autour, on ne sait rien d’elle. Alors, on écrit en décrivant de grands cercles de parole. Pour ne pas tomber. Tomber dans cette chose que l’on ne sait nommer, qui pourtant est nous.
Je ne sens ce danger que lorsque je suis dans la salle d’attente du texte. Comme si le texte nous inquiétait dans son approche lente et diffuse. Comme si le texte sortait de la chose inconnue de nous. L’inquiétude. Le danger. Quelque chose qui pourrait nous réduire à rien. Nous renvoyer à une sorte de néant. Des limbes.
Le texte s’avance, il nous sait mieux que nous-mêmes. Il rentrera par la porte la plus faible. Au départ, il rôde au loin. On ne l’entend pas, on ne voit rien, à part quelques ombres furtives. Il n’a pas de forme. Il cherche. Il cherche l’endroit de mélancolie, l’endroit de tristesse en nous.
Il y en a toujours. La chair est nostalgique par nature. Alors, il rôde, nous affame. Comme une ombre qui traverserait nos temps, nos passés, nos futurs. Car le texte connait notre destinée, c’est pour cela qu’il « est » le texte. Ce texte, surtout pas un autre. Ces mots seuls, surtout pas d’autres mots. Il sait l’impossible lien qui tisse nos heures, il en connait la couleur, la substance, la destinée. Le texte tient dans sa main l’origine et la fin, il nous les tend sans que l’on sache les reconnaitre, comme dans un jeu de courte paille, où l’on ne gagne jamais.
Les règles du jeu changent en permanence. Nous ne savons rien. Le texte, lui, sait. Il a traversé plusieurs vies, plusieurs siècles, il cherche en nous le plus faible, le plus désespéré.
On est dans la salle d’attente du texte, peu à peu  il se rapproche. On le sait à ce brassage des chairs molles de notre pensée. Car au départ le texte n’est pas construit de mots, du moins on ne les voit pas. On ne discerne rien, hormis une rumeur de marée, hormis une présence qui nous afflige et nous met en joie en même temps. On reconnait sa présence à ce mélange, à cette confusion, comme un horizon qui s’inquièterait, comme le bruit d’une bataille, un galop lourd au-dessus des nuages.
Alors les choses se précisent. Les premiers mots nous guident vers d’autres endroits. Ils tombent, là, avec leur consistance indécente, une nudité presque obscène. Toujours, au début, il existe ce sentiment d’une réalité inacceptable des mots. Toujours. Un couloir. Un couloir sombre. Un couloir sans fin. Un couloir qui traverse notre vie. Le texte choisit toujours les lieux étranges de notre vie. Les chemins cabossés, les landes sauvages, ou les couloirs sombres. Les lieux de passage déserts, nos lieux d’errances. Nos lieux inhabitables. Nos lieux d’inquiétudes. À l’intérieur, notre géographie est tourmentée. Paysage lunaire. Paysage de fantômes. Alors, commence la longue traversée. Mot après mot. C’est comme s’il y avait un trou d’où les mots s’échappaient, un à un. Il faut simplement maintenir les bords de la plaie ouverte. Car c’est une plaie. Enfin, cela y ressemble. Souvent, on dit que c’est une douleur, mais ce n’est pas exactement cela. C’est une difficulté. C’est se sentir dans une terrible fragilité. Il faut rester ouvert. Maintenir l’être à vif, à vif de sa vie comme si les mots étaient attirés par le sang, par la chair à nu.
Après  la salle d’attente du texte,  le temps se déploie, avec une sorte de majesté lente, de gravité exigeante. C’est le temps du long couloir. C’est une énigme, comme si le texte proposait chaque fois des mystères, des secrets. Comme si le texte était fait de dévoilements incomplets. Comme s’il chuchotait et que l’on n’entende qu’une partie de ce qu’il nous souffle. Des morceaux, des bribes. Comme si l’on ne pouvait pas tout recevoir, comme si l’on était toujours en deçà de son vouloir, de son appétit. Il y a là quelque chose d’écrasant. D’éreintant. Parfois, pas toujours, j’ai des larmes qui montent aux yeux. Mais ce n’est pas de la tristesse. C’est l’eau du texte. Son fleuve. Elles viennent. C’est tout.
On ne voudrait pas se trouver là et pourtant, c’est bien la seule nécessité qui s’impose, être là. À cet instant précis de notre vie, être là et nulle part ailleurs. Être présent à cette bataille. Assister à cette défaite, ce démembrement.
Le texte s’agrippe aux parois intérieures du corps. Plus il avance, plus son poids s’alourdit. Le geste racle un peu plus, avec le temps. Les mots résistent à se donner. À pénétrer la densité de la chair.
Le temps du couloir demeure un temps déraciné. Il ne compte pour rien dans nos âges. C’est un temps dérobé aux dieux. Nous sommes sans patrie, la seule qui vaut, la seule qui compte, c’est nos temps d’exil. Lorsque nous sommes assez loin de nous pour accueillir la solitude que le texte exige.
Puis vient le temps où le texte se défait de lui-même, où la bataille a été livrée. Puis vient le temps de la paix, où le monde revient dans nos veines, où le soleil reprend sa couleur. Tout s’efface peu à peu, comme si rien n’avait existé. Pauvre et glorieux ! Le texte se retire. Devant moi les restes d’une mélancolie somptueuse, d’une tristesse décomposée. Devant moi, l’éclatement des saisons et l’univers que, l’espace d’une seconde,  j’ai tenu serré contre ma poitrine. Le souvenir de quelques larmes.
L’écriture n’est pas une occupation, elle ne peut réconforter de l’ennui, puisqu’elle est la forme ultime de l’ennui. Elle ne peut consoler de nos échecs, puisqu’elle les sacre tous, jusqu’au dernier. L’écriture ne nous lave de rien, ne nous rend ni pires ni meilleurs. Elle n’est qu’une affirmation portée à ébullition, qu’un fer rougit fiché dans le cœur. Un surcroit de désir éparpillé sur les chemins de croix de nos vies. Un écho. Un tintement de l’âme. Une trace. Elle est le miroir de nos défaites, l’horizon crevé de nos rêves. Un espace creusé qui appelle la vie à l’état brut. La vie sans formes. La palpitation originelle. La pulsation. Elle est notre nuit religieuse. Elle n’est que ce cri que nous retenons. Ce long hurlement dans les étoiles.
Au bout du texte, on ne sait rien de plus sur nos peurs, sur les dangers qui nous guettent. Au bout du texte, tout reste à refaire. Au bout du texte, rien n’a vraiment changé. Pourtant… On est toujours une énigme pour nous, et pourtant… et pourtant…

Je vais éteindre l’écran. Je vais oublier la salle d’attente du texte, je vais oublier le couloir, ses ombres, je vais oublier… Je vais oublier… Mon dieu, faites que j’oublie tout, pour qu’à chaque fois mon désir soit plus neuf, soit plus pur ! Oublier…
On est riche d’un épuisement et d’un oubli. On est riche d’un cri silencieux, d’un feu qui brule le sang, d’une solitude qui ne craint plus son ombre.
Je vais aller marcher dans la ville. Juste marcher. Puis oublier… et attendre l’aube…

Franck.

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24 octobre 2021

L’étreinte…

 

L’excitation est trompeuse. Cet afflux avant d’écrire nous éloigne d’écrire. Cet enfièvrement qui exalte la parole. Cette maladie de l’avant d’écrire.
Il faut savoir accueillir le bon temps. Le temps pauvre. L’intention de l’avant compte pour rien. Le texte tient du seul instant qui meurt et qui voudrait survivre dans un après jamais atteint. Combien de textes s’effondrent parce qu’ils sont trop chargés d’intention ? Combien de textes s’épuisent de trop de vouloir, de l’excès de présence ? D’un trépignement de la parole ?
Écrire c’est l’intention sans intention. La volonté sans volonté. C’est un désir avant que le désir s’incarne. Écrire nous vient de l’après, de ce retournement des chairs, d’un futur qui n’a pas de nom, que seul le texte désigne. D’un possible.
Arriver les mains vides dans une sorte d’agonie vigilante. Attendre. Arriver au pied d’une éclipse et encore attendre. C’est une ignorance solennelle qui nous fait longer les flancs de l’abime. Toujours attendre.
Écrire, c’est aller vers l’étreinte, c’est recomposer les corps de l’étreinte. Derrière chaque attente, il y a une étreinte, l’étreinte est un au-delà de deux corps. C’est recomposer le corps des dieux.
Écrire, c’est l’étreinte des cieux.
Assez de vie dans la mort qui vient.
Assez d’amour dans la vie qui reste.
Assez de joie dans la peur qui s’efface.

Franck.

17 octobre 2021

Où ?...

 

« Où vas-tu ? »
« Droit devant, je vais droit devant. »
« Devant n’est qu’une illusion. Devant n’existe pas. Il n’y a que l’ailleurs qui existe. L’ailleurs, c’est l’exil. Une géographie déboussolée. C’est le lieu de l’écriture. Un lieu démembré. Traversé d’un temps à rebours. Incertain. L’ailleurs se définit par sa résistance à l’ici. Par le départ, par la débâcle qui s’ensuit. Il faut se presser de se mettre en route, sinon on ne part jamais. Devant n’existe pas. Nulle part est ton pays.
Si tu écris, tu n’auras ni lieu, ni maison, ni saison. Si tu as cette honnêteté folle d’écrire avec les yeux désorbités de l’enfance. »
« Où vas-tu ? »
« Je vais m’allonger un instant sur ma tombe. »
« Prends garde aux théologies du bonheur. Va ailleurs. Seul. L’ailleurs est toujours le lieu de la séparation, de l’abandon. Bienheureuse déréliction.
Pleurer dans l’océan est la seule distraction sensuelle, comme écrire avec la semence des saints.
Regarde derrière toi. L’origine est un abime. Plus loin, se trouve une passerelle. Elle s’appelle l’extase. Non ! Elle s’appelle l’écriture. Ou la mort, c’est pareil… »

Franck.

10 octobre 2021

L’orage…

 

Entre l’éclair et le tonnerre git un espace de temps. Quelque chose est suspendu. L’attente urgente. L’imminence. La menace. La fatalité.

L’image éclate à la vue. Le temps se tord, le vacarme arrive, comme s’il arrivait d’une autre dimension.

D’abord, le bruit du ciel est sourd, lent, invisible, le roulement est lointain. L’oreille s’alerte, l’œil ne voit rien. Le corps se met à l’affut. Après, l’orage est là, et les choses s’inversent. D’abord, la vue, après le craquement. Les sens se perdent dans cette désynchronisation.

Entre les deux phénomènes, l’un auditif, l’autre spéculaire, quelque chose se passe en nous. Quelque chose nous rassemble, nous retient, nous brule. Au bout du compte, nous augmente. La conscience s’aiguise. Nous savons, en même temps nous ne savons pas. L’immédiateté fait défaut, il subsiste un écart, alors cela nous plonge dans la stupeur. Ce temps d’écart n’est pas un temps vide. C’est un temps d’extrême agitation, parfois de peur, pas toujours. L’univers fait un pas de côté. Il nous requiert, et pourtant, dans cet écart même, nous ne sommes pas là. Nous nous absentons.

C’est le temps de l’écriture. Le juste avant, le juste après, l’entrebâillement du temps. Le passage entre deux dangers, entre deux catastrophes. Il n’y a pas de nom pour ce passage. Pas de nom pour cet espace de temps. Le monde défusionne. Il se sépare. Ce trou dans la langue, ce manque à dire permet à l’écriture de passer. C’est le temps du surgissement. Le coin dans le bois qu’il déchire.

L’écriture nous vient de cette désynchronisation des sens, du défaut de la langue pour nommer ce temps singulier. Quelque chose est à dire. Nous ne savons pas quel mot convient, alors on tente de les dire tous. Il y a un espace pour réordonner l’univers : c’est ce temps chaotique, silencieux, stupéfiant, toujours entre deux désastres.

Franck.

3 octobre 2021

Trébuchement…

 

Trébuchement. Avec le sursaut pour éviter la chute. Rien du poème n’est prémédité. Quelle que soit la constance mise à la table d’écriture, quelle que soit la patience, le travail. Rien du poème n’est prémédité. Il y a toujours un trébuchement, un sursaut, une contorsion de la parole pour éviter la mort. Encore un peu. Juste un peu. La métaphore ouvre sa corole pour récupérer dans sa vasque les mots dans leurs déroutes. On se croirait sauvé. Pourtant, on se trompe. Mais c’est la seule chose que l’on sait faire. Le poème nait d’un échec.

Au commencement était la perte. Après ce fut le manque. L’attente. Écrire, c’était tenter d’échapper à la perte, au manque, à l’attente, y échapper tout en y revenant toujours. L’écriture reste mon seul présent encombré. La possibilité d’une présence à soi-même. Un évènement imprévisible. Advenir, là, dans cet instant, qui ne vient jamais.

Franck.

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