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J'irai marcher par-delà les nuages
8 juillet 2005

Six mois.....

Estelle m’a appelé hier pour me dire « Ca y est… c’est fait… il est parti hier au soir à neuf heures quarante… » Lui c’est Daniel. Le cancer a fini par lui bouffer le cerveau. Estelle je la connais depuis longtemps, c’est moi qui lui ai présenté Daniel. Estelle je l’aime bien avec ses allures de titi parisien. Estelle elle n’a jamais eu de chance avec ses mecs. Le premier la faisait travailler comme une esclave dans son magasin, mais Estelle s’en foutait, parce qu’elle l’aimait. Et puis, il commença à la tromper. Elle l’aimait toujours, mais souffrait, se sentait humilié dans son amour. Blessée. Alors elle a divorcé. Mais elle l’aimait encore. Le deuxième était un bidochon prétentieux, sans envergure, il aimait jouer à l’homme en humiliant Estelle. Mais elle est restée sept ans avec lui. « Vas me chercher une bière… », « t’es bien trop conne… », « tu vas pas sortir comme ça on dirait une pute… » Sept ans, lui aussi elle l’aimait et elle s’en voulait de l’aimer parce qu’il l’humiliait en public. Estelle, pour ne pas déplaire à ses mecs a pris l’habitude de s’habiller comme un garçon, et de ne pas se maquiller. Estelle c’est une optimiste, j’adore quand elle rit, elle rit souvent, malgré sa vie triste. Estelle se bat, pour ses deux garçons, pour bouffer, pour se loger, mais elle rit. Au bout de sept ans elle a eu le courage de partir. Souvent elle me téléphonait parce qu’elle souffrait de cette séparation. « C’est un con, un vrai con, mais je l’aime… » qu’elle disait. Alors on parlait des heures au téléphone. Estelle je l’ai connu dans mon travail, j’avais besoin d’une commerciale. Son coté direct, m’a plu. C’était une bosseuse. Bosseuse et intelligente. Elle comprenait par instinct ce qui se passait sur « le terrain ». Quand j’avais un rapport à rédiger pour un client je faisais venir Estelle et je lui disais : « Raconter moi…. » Elle savait ce que cela voulait dire. Pendant qu’elle parlait je prenais des notes et au bout d’une heure j’avais de quoi faire un dossier de trente pages, avec toutes les anecdotes adéquates. Cela fait presque vingt ans que je connais Estelle, et l’on s’est toujours vouvoyé. Bizarre. On est devenu ami. Pourtant il n’y a jamais rien eu d’ambiguë entre nous. L’un comme l’autre nous savions qu’il n’existerait jamais rien d’autre qu’une amitié entre nous. Le vouvoiement est resté, cela nous fait sourire parfois. Nos routes se sont souvent écartées mais le contact persiste. Nous nous racontons nos histoires, nos échecs, c’est sans doute la seule personne avec laquelle je me sens libre de tout dire. Sans fard. Estelle aime employer des mots crus. Et Estelle est bavarde, quant elle commence à raconter une histoire vous êtes sûr d’avoir droit à tous les détails et toutes les digressions. C’est exaspérant. Et elle adore m’exaspérer. « Au fait, Estelle, au fait !… » « Oui, mais je vous explique, c’est pour que vous compreniez… ». Estelle veut être précise. Dans sa vie c’est tout le temps la révolution, mais dans ses explications c’est précision et minutie. A paris nous habitions le même quartier quand elle a été seule souvent elle m’invitait à manger. Nous avions toute la soirée pour parler de tout, le travail, les amours, les enfants. Chez elle s’est tout petit mais c’est agréable, chaud, rassurant. Au mur elle a collé toutes sortes de petits objets, des boites surtout, boites de cigarettes, de bonbons, de savon, et puis des photos. Venise. Elle adore Venise pourtant elle sait qu’elle n’ira jamais. Estelle a fait un tas de petits jobs, elle aurait pu faire une carrière, mais ce qu’elle aime par-dessus tout c’est la rue, le contact direct avec les clients, parler, bavasser comme elle dit. Chez elle adorait me montrer son rayon de livres érotiques. C’est son côté provocant. Estelle est pudique dans sa vie, dans ses gestes, mais dans ses mots et dans ses pensées c’est autre chose. Alors, parfois elle me racontait ses histoires de « cul ». Oui, parce qu’après le benêt buveur de bière, elle à galérée, de mauvaises histoires en mauvaises histoires. Un jour, je lui ai présenté Daniel. Il était dans mon équipe de commerciaux. Je l’aimait bien Daniel. Un peu bourru, mais avec un large cœur. Daniel n’a jamais voulu passer cadre. Il voulait que sur sa feuille de paye il y ai le mot « ouvrier ». Alors il a gardé pendant quinze ans la même qualification, même si son travail avait évolué. Il avait l’honneur de sa classe Daniel. Il ne voulait pas la trahir. Sa classe. Daniel n’était pas utopiste, mais il croyait encore au « grand soir ». Il pensait que les pauvres un jour à force d’être humiliés se lèverait pour le grand partage. Daniel n’avait pas lu Marx, d’ailleurs il ne lisait pas, mais il avait un grand cœur. L’injustice le mettait en colère, et quand il se mettait en colère, Daniel, cela faisait du bruit. Daniel avait le sens de l’équité et de la dignité. Entre tous les deux le courant a passé tout de suite. Daniel et Estelle. Bizarre ? Non, au font il allait bien ensemble. Du jour au lendemain ils sont redevenus comme des enfants, ils se sont fait une cour maladroite et touchante. J’ai servi d’intermédiaire, de boites aux lettres, de confident à l’un et à l’autre. Daniel amoureux.. c’est comme si un barrage cédait. Il était dans sa nouvelle révolution, moins assidu à son travail, mais brillant dans lumière du jour. Estelle redevenait coquette… et puis les choses se sont concrétisées. Daniel a tout quitté, trente ans de mariage et d’ennui t de petit pavillon de banlieue, pour venir s’installer à Paris dans le petit appartement d’Estelle. Cela a duré six mois, six mois où je n’ai plus eu aucune nouvelles d’eux. Lui il partait tôt du boulot, il arrivait en retard, il avait la mine réjouie. Six mois. Et le cancer est arrivé. Il n’ont eu que six mois de répit, de jeunesse, d’amour fou à un âge où l’on pense à marier ses enfants. Eux ils allaient manger des glaces aux Champs Elysées, ils montaient à Montmartre, ils allaient à Honfleur, ils allaient au cinéma, au restaurant, le soir ils faisaient des promenades à pied dans les rues de Paris. Six mois. Et puis le diagnostique. Cancer. Un an de souffrances. Estelle a vécu cela dans une folie complète. Ne comprenant plus rien à sa vie. Elle l’a soigné, chaque jour un peu mieux, chaque jour un peu plus. Tout le monde sait comment ça fait un cancer, la chimio, les rayons et puis la douleur, l’incompréhension. La stupeur aussi. Très vite il a arrête de parler. Très vite sa colère est tombée sur Estelle. Estelle s’en foutait, elle savait qu’il l’aimait. Et que c’est la façon des mourant pour dire qu’ils aiment. Comment dire qu’on aime la vie, qu’on aime Estelle, quand on va mourir demain, dans trois jours, dans un mois. Il n’y a pas de mot. Il n’y a que la colère. Estelle me téléphonait régulièrement, parce qu’elle n’en pouvait plus, elle ne comprenait rien. Alors elle a appris tous les gestes, pour dire l’amour autrement qu’avec des rires. Elle a appris le silence, elle si bavarde, elle a appris à ne pas pleurer, à rester là, à côté de lui, dans la pénombre du petit appartement. Elle me disait, « je n’en peux plus… je ne sais plus quoi faire…. » « J’ai pas de bol avec mes mecs, les deux premiers c’étaient deux connards, et le troisième, qui est bien… il meure » Elle disait ça avec un ricanement de défit. Hier, elle m’a dit « C’est fini… voilà… c’est fini… il est mort dans mes bras. Son cœur s’est emballé, il a eu trois sursauts, et au troisième….. » Estelle est toujours précise quand elle explique. Elle ne pleurait pas au téléphone. Il fallait qu’elle s’occupe de tout. Elle m’a dit « Je vous rappelle… », parce qu’avec Estelle on se vouvoie toujours. Six mois. Seulement six mois de bonheur, d’insouciance, de tempêtes chaudes… Six mois. Franck
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Commentaires
A
Qu'il est donc supplice le prix à payer pour 6 petits mois de bonheur..Tes mots touchent loin sous la peau...pourtant..elle referait non ? Si elle savait..je suis sure qu'elle referait.
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F
Oui, Alix, la vie est injuste et c'est pourquoi la supporte.... et s'est pourquoi on pleure parfois.... et s'est pour ça qu'on écrit aussi, pour redresser cesmorceaux de vie tordus...<br /> Bises<br /> Franck
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F
Aujourd'hui je dédie tes larmes à Estelle... je sais qu'elle lui ferons du bien...<br /> Bises<br /> Franck
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F
Oui, Le chant du pain.... en plus la vie continue... en plus il faut la trouver belle... etparfois nous y arrivons<br /> parfois...<br /> A bientôt Le chant du pain<br /> Franck
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F
Tu vois Chris se qui me console dans cette histoire, c'est que je sais qu'Estelle va continuer à croire , à expérer, et a se battre<br /> Bises à toi<br /> Franck
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