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J'irai marcher par-delà les nuages
14 juillet 2005

Petite princesse de sable.....

Après Tessalit on arrive au Mali. On passe à travers des montagnes de roches noires. C’est du désert de pierre. Dans les pierres la sérénité a du mal à trouver son chemin. Le sable c’est du temps, c’est de l’eau, c’est vivant. Les pierres exigent plus. Les pierres savent des choses, souvent elles vous accusent ou se moquent de vous, certaines vous défient. C’est pour cela qu’on les casse ou qu’on les escalade. Ou qu’elles vous cassent. Les pierres c’est une pensée toute faite ou presque, le sable c’est le rêve. Après Tessalit, bien après, on retrouve du sable. Ce n’est pas le même. La couleur. Ou peut-être le parfum, parce que le désert a aussi des parfums, mais ce sont des parfums impossibles, on ne peut pas les raconter. C’est plat, infiniment plat, et puis quelques végétations. D’où vient cette vie, et, est-ce de la vie ? Ou l’idée qu’on s’en fait. L’écorce. L’os. Sur le sable des os, des squelettes d’animaux. La vie quoi. Des épineux qui ressemble à des os, des squelettes qui font la pantomime. Des signes qui sont incompréhensible pour des humains. Même les dieux ont renoncé à comprendre. Bien après, cela fait des petites touffes. Rares et pourtant innombrables. Parce qu’on est dans le désert. Tout est sans fin.

Le soir tombe. Le camion roule à une allure régulière à travers cette végétation rare et squelettique. Le camion c’est un vaisseau. La preuve, la nuit il se sert des étoiles pour rouler. Il y a le capitaine, s’est le propriétaire du camion. Il est dans la cabine avec le chauffeur et le cuisinier. Et au-dessus de la cargaison, derrière, il y a le graisseur et les passagers. Nous étions trois à ce moment du désert. Nous deux et un marabout. Le marabout est un vrai personnage. Nous deviendrons amis, plus tard (ami n’est pas le mot, un ami c’est autre chose, une amie aussi c’est autre chose). Il nous invitera dans sa maison de terre battue à Gao. Il nous parlera la nuit sous les étoiles. Il nous racontera la bible et le coran. Et toujours les étoiles. Et le thé. Sa voix était grave, profonde, il levait toujours ses yeux au ciel avec un mouvement de la main, comme pour nous montrer que tout y était inscrit. A ce moment là je ne savais pas qu’il avait raison. Là, nous étions sur le camion. Il était assis sur un sac de dattes, son chèche légèrement défait qui flottait au vent. Le soir tombait. Et puis le camion quitta la piste et direction du soleil couchant. Quand on est arrivé au campement il faisait presque nuit.
C’était un village touaregs. Quelques tentes, trois dromadaires faméliques. Il y avait un petit feu qui donnait un peu de lumière et des ombres autours. Des ombres immobiles. Le capitaine se dirigea vers les ombres et quand il revint tout le monde s’agita. Nous dormirions ici. On s’est approché des ombres. Des femmes. Que des femmes. Une dizaine. Les hommes étaient partis avec les troupeaux chercher des pâturages. Là autour du feu il n’y avait que des femmes touaregs. Les anciens étaient sans doute sous les tentes, on ne les voyait pas. J’ai rarement vu beauté plus évidente que les femmes touaregs. Si vous vouliez savoir ce qu’est la dignité, la majesté, l’élégance regardez le visage et les yeux des touaregs. Nous faisions un large cercle autour de ce petit feu, qu’une femme entretenait avec précision. Et puis on a entendu des cris déchirants. Le marabout était penché sur une chèvre. Sacrifice. Dans des règles. Le couteau sacré du marabout fut rapide. La bête dépecée sur-le-champ. Ouverte. Vidée. Là, à cet endroit de la terre on ne peut pas faire de sensiblerie. Les pierres vous l’on dit. Parce que les pierres savent beaucoup de choses. Elles nous ont dit : " …et tu t’assoiras, et tu te tairas. ". Le marabout se rapprocha du feu. Il tenait dans la main le foie sanglant de l’animal. Avec son couteau il coupa quelques morceaux, qu'il piqua dans de fines branches d’épineux. Et il nous tendit un de ces bâtonnets sanguinolents.
Le foie cuit m’est assez insupportable. Le foie cru, n’en parlons pas. Nous avons mangé ce morceau de chair rouge et tiède. C’est le cuisinier du camion qui s’occupa de préparer la nourriture du soir. Pour tout le monde.
A coté de moi était assise un jeune touaregs. Dans la nuit, le blanc de ses yeux était éclatant de mystères. Dans la danse des flammes son visage était d’une pureté magique. Je n’ai jamais su son âge. Treize, quatorze ans. Elle me parlait. Je ne comprenais pas. Elle savait quelques mots de français. Nous avons mangé cote à cote dans la gamelle commune. Les femmes et l’équipage du camion avaient des discussions animé. Pour eux, cet arrêt, était une halte habituelle. Le marabout entouré de deux femmes semblait aux anges.

La jeune touareg restait assise à coté de moi. Elle a pris ma main. Et elle m’a parlé. Elle a touché le petit anneau doré que j’avais au doigt. Je ne comprenais toujours pas. Elle faisait des efforts, elle était d’une beauté pure et éclatante dans son voile sombre, et dans cette nuit du bout du monde je ne voyais que la lumière qu’elle transmettait. " Donne…donne ça…… et mariage toute la nuit…ici…. Mariage…toi…moi…mariage. Donne ça à moi… ".
J’ai donc compris. Drôle de halte cet arrêt touaregs.
Je regardais celle qui voulait se marier toute la nuit avec moi. Je la regardais avec cette infinie tristesse qui vous prend quand vous entendez une étoile rendre l’âme. Elle était belle. Et brusquement j’étais tellement triste. Brusquement il y a quelque chose du monde qui vous rattrape là. Dans cet endroit. Vous avez beau vous dire que cela se passe depuis la nuit des temps, vous ne vous y faite pas. Elle a treize ans Franck ! Tu es belle princesse de nul part, tu es peut-être la plus belle que je n’ai jamais vu et que je ne verrais jamais. Tu es belle, mais tu comprends….. Non, tu ne comprends pas ? Je ne sais pas te dire princesse…. Pas comme ça, pas ici, pas pour ça… et puis tu comprends, tu as….non, l’âge, pourtant si, l’âge…. Je ne sais même pas ton nom petite princesse du désert. Je disais, non. Alors elle a pris ma main et nous avons regardé le feu. Longtemps. Très longtemps. Et toi tu tenais ma main. Pour que je ne me perde pas dans la nuit. Pourtant j’étais perdu princesse. A un moment ,elle est partie s’allonger sur une sorte de natte, elle s’est enroulée dans une couverture. Un dernier regard vers moi. Puis ses yeux diamants se sont fermés.

J’ai eu du mal à dormir. Les hommes partent, sur une terre insensée, chercher une herbe improbable, de puis des siècles ils font cela. Les femmes attendent. Et d’autres hommes arrivent, avec quelques billets, ou des anneaux dorés. Et les femmes se marient toute la nuit. Drôle de monde Franck. Pourtant je la trouvais belle. Tout le monde aimerait serrer dans ses bras une princesse du désert. Allongé dans mon sac je voyais les étoiles. Elles n’avaient pas la même couleur. Et le désert n’avait pas le même parfum.

Au matin, nous repartions. Les préparatifs furent rapides. Le marabout est sorti d’une des tentes. Le capitaine également. Ils firent leurs ablutions de sable et de pierres, et leurs prières. Nous bûmes le thé brûlant. Un de ces thés qui vous vient du fond des âges. Parce que la théière vient, elle aussi, du fond des âges. Une théière qui a fait autant de thé qu’il y a d’astres dans le ciel. Et chaque étoile a rajouté son goût. Thé d’amertume et de réglisse, et de miel. Thé de la parole donnée et du silence échangé. Ce premier thé du matin m’a toujours émerveillé. On rajoute un peut d’eau, et de nouvelles saveurs apparaissent. La couleur est plus claire, et la tendresse plus évidente. Encore un peu d’eau et c’est un thé de sucre d’or. Alors nous bûmes le thé. Et bientôt il fallut partir. La petite princesse de la nuit s’affairait autour d’une tente. De temps à autre nos regards se croisaient. Je suis allé vers elle. Je lui ai souri. Elle aussi a souri. Alors j’ai enlevé l’anaux doré de mon doigt et je lui ai tendu. Elle a hésité. Elle s’est approchée. Je l’ai encouragé à le prendre. Elle a tendu sa main. J’ai glissé l’anaux à un de ses doigts. S’était un grand silence, dans le désert. Plus rien ne respirait à cet instant dans le désert. Voile petite princesse. On est marié, maintenant. Tu es ma première épouse petite princesse.

Nous sommes montés sur le camion. Elle était à quelques mètres. Nous nous regardions. Le camion commença à avancer. Ma petite princesse touareg le suivait, pieds nus, en protégeant l’anneau de son autre main. Elle levait la tête vers moi. Il y avait dans son expression une joie indescriptible, parce qu’on y voyait aussi de la douleur.

Petite princesse tu es celle qui la première me demanda en mariage, et nous nous sommes marié au petit matin d’un désert. Tu portais mon anneau. Et de ce matin là, personne ne pourra nous faire divorcer. Tu as été ma première épouse, et tu seras la dernière. C’est les étoiles qui le disent. Et le désert. Et les pierres. Je ne sais ce que tu as pu devenir, petite princesse, peut-être as-tu perdu l’anneau, peut-être l’as-tu vendu, mais peut-être que tu l’as encore, et qu’il t’arrive de raconter notre histoire si simple à tes enfants. L’histoire de ton premier mari.

Le camion s’éloignait, et j’apercevais encore ta silhouette qui le suivait. Longtemps j’ai vu ton bras se lever dans le ciel.

Où es-tu ma petite princesse aux pieds nus ? J’ai encore ton visage devant moi quand je t’ais tendu l’anneau, et je ne peux toujours pas décrire ce mélange de joie de fierté et de tristesse. Et ta course derrière le camion, et cette main qui s’agite et ta voix éraillée dans ce matin du désert. On ne s’est pas touchés petite princesse sinon du bout des doigts, du bout des yeux et pourtant devant le ciel nous nous appartenons… je ne sais pas ton nom, qu’importe, tu les a tous. L’amour c’est ça petite princesse, c’est ton regard de joie effondrée, sur une terre plate et sous un ciel lisse et ce pincement au cœur quand je repense à toi.

Franck

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Commentaires
F
En effet, Alix c'est un récit doux amer,... Quand j'y repense je me dis que les circonstances auraient put être différente.... Et je me dis : combien de convois se sont arrêtes, avant, après.... il faut attraper les instants au vol...<br /> Bises<br /> Franck
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F
Oui, Chris, ... mais au fond les souvenirs...ou ce qu'il en reste... qu'est-ce que c'est ?<br /> Bises<br /> Franck
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A
C'est un récit d'une grande beauté et d'une infinie tristesse.<br /> Je pense à toutes ces petites filles de par le monde qui n'auront jamais l'occasion de trouver l'élan pour courrir derrière un camion le coeur emplit de reconnaissance...<br /> Alix
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C
Alors tu as été marié deux fois?? *sourire* "jamais deux sans trois". Bonne chance!! Sais-tu que tu as des souvenirs fabuleux Franck? Et quel bonheur d'en profiter.<br /> <br /> bises mon ami élégant :))<br /> <br /> Chris
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