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J'irai marcher par-delà les nuages
15 juillet 2005

Les Oies Sauvages......

Pour S.

Maintenant ils roulent. Il fait nuit. Et ils roule vers….Il faut reprendre un peu plus tôt. C’est un voyage qui s’est décidé très vite. Dans une sorte d’urgence. Parce que l’amour a ses brasiers et ses trous d’ombres, et ses espaces creux. L’amour est une perpétuelle question. Alors ils ont décidé de faire ce voyage. Un peu absurde. Mais il fallait faire quelque chose. Là tout de suite. Prendre un sac, le remplir de vêtements pris un peu au hasard. Et partir. Ils ont pensé à Venise. Mais ils ont éclaté de rire. Non, pas Venise. Pas le sud. Toutes les directions du sud sont impossibles. Alors il a dit, le Nord. Elle a dit pourquoi pas. Le Nord pour lui c’était d’abord un souvenir de chanson. Une chanson triste que chantaient les marins ou les soldats perdus. En roulant il se remémorait les paroles :
" Les oies sauvages vers le Nord
Leurs cris dans la nuit montent
Gare aux voyages car la mort
Les guettent par le monde. "
Il le savait ce voyage serait le point de fin, ou le premier élan. Il savait qu’ils n’en reviendraient pas indemne. Elle aussi le savait. Et tous les deux le voulait ainsi.
" Au bord de la nuit qui descend
Voyage grise escadre
L’orage gronde et l’on entend
La rumeur des batailles."

L’amour à besoin de s’arracher du temps et des autres et des mots. L’amour a besoin d’une mer de silence pour trouver ses marques.

Ici, lui, on l’appellera Lui, et elle, on l’appellera Elle. Leurs noms n’ont pas d’importance. Ils ont tous les noms. Ou ils n’en ont aucun.
Elle lui a dit : " Si l’on va vers le Nord, alors on va au bout du nord, jusqu’à la dernière terre. " Elle avait rajouté : " Tu es d’accord… ? ". Lui il avait compris ce que cela voulait dire. La dernière terre. Le bout. La fin. Ou la renaissance.
Dans l’amour, on ne dit pas tous les mots. C’est d’ailleurs à ça que l’on reconnaît l’amour. A ces trous dans la parole. Plus que des trous. Combien d’amants se sont perdus, là, dans ses gouffres. Les amants parlent par ellipse. L’important c’est toujours ce qui n’est pas dit. Tous les deux le savent. C’est pour cela qu’ils sont ici, ensembles, sur cette route vers le Nord, vers la Norvège. Vers le bout de la terre. Ils savent qu’ils ne sont pas partis vers une géographie, mais plutôt vers un lieu du cœur. Lui, il aurait dit de l’âme. Mais elle n’emploie pas ce mot. Il y a des mots comme ça qu’elle n’emploie pas. Des choses qu’elle ne fait pas. Tous les deux savaient que ce voyage décidé n’importe comment était le voyage le plus important de leur vie. C’est pour cela qu’il était absurde. Rien de préparé, simplement les passeports, et une carte routière achetée sur l’autoroute. Lui, il avait jeté dans le coffre quelques couvertures, une petite tente, les sacs de couchage. On ne sait jamais.
" Au bord de la nuit qui descend
Voyage grise escadre
L’orage gronde et l’on entend
La rumeur des batailles."

Ils n’avaient pas l’intention de faire du tourisme. Non, ils devaient simplement aller loin, très loin, ensemble. User leur présence. User leur silence. Ils en en avaient l’habitude du silence. Ils se connaissait bien. La vie de chacun était déposée sur la main de l’autre. Et dans leurs yeux ils se parlaient.
L’amour n’aime pas le bruit, et parfois les silences sont bruyants. Ils n’aimaient pas les paroles inutiles, le caquètement de la bouche qui ne dit rien, sinon la peur du silence. Mais quel est le mot qui convient après un très long silence. Le mot à la hauteur d’un silence. Pas évident. En fait ce voyage devait servir à cela. Trouver ce mot. Lui il avait dans sa tête cette chanson.
" En avant vole les armées
Et cingle aux mers lointaines
Tu reviendras mais nous qui sait
Où le destin nous mène. "

Il fait nuit, ils roulent, la nuit est chaude. Ils ont passé la Belgique presque s’en rendre compte. A part ces lumières sur l’autoroute. Maintenant ils sont en Allemagne. Lui, il s’arrête de temps à autre pour fumer une cigarette. Elle n’aime qu’il fume dans la voiture. Elle a raison, elle voudrait qu’il s’arrête de fumer. On est au début du voyage. Elle met de la musique. C’est toujours elle qui met la musique. Elle a plus de goût que lui pour ces choses là. Il fait nuit. Il sait qu’elle aime ça, rouler de nuit. Il la regarde du coin de l’œil. Il l’a trouve belle. Il l’a toujours trouvé belle. Ses cheveux sont défaits, ils flottent légèrement dans l’air qui rentre par la vitre entrouverte. Elle a gardé ses lunettes de soleil. Elle aime être cette ténébreuse qui traverse la nuit. Elle a posé son pied droit nu sur le dessus de la boite a gants. Elle a une pose impudique. Pas tout a fait. Elle n’aime pas l’impudeur. Mais là, il fait nuit, ils roulent. Il peut voir ses cuisses au-dessus des genoux. Elle est belle.

L’amour est un voyage impossible. Parfois il lui prend la main pour y déposer un baiser. Elle sourit.
Dans ce voyage ils sont trois. Derrière, invisible il y a un ange. On appelle ça un ange. Mais contrairement à ce que l’on croit il n’est ni bon, ni mauvais, il ne protège pas vraiment. Il est là c’est tout. A un moment donné du temps il y a comme un tintement. Seuls les anges les entendent. Alors le plus proche se déplace pour voir ce qu’il en est. C’est comme ça que le troisième passager de la voiture est arrivé. Il a entendu tinter. Et il est arrivé. Il les regarde. Ils sait tout d’eux. Mais il est ronchon. Lui il aurait aimé une mission plus au sud. Les plages l’été, tous ces corps presque nus, toutes ces sueurs qui s’échangent, les boites, la musique à fond. Il aurait préféré. Là, c’est le silence. Ses " clients " ne parlent pas. La musique est bonne. Mais s’est loin d’être Ibiza. Et puis la Norvège, quelle idée ! Il sent d’instinct que c’est une mission sérieuse, grave. Il ne sait pas s’il sera à la hauteur. Mais si le ciel a tinté c’est que sa présence était requise. Toutes les choses importantes sont inscrites dans le ciel. Ca tout le monde le sait, ou presque. C’est pour cela, qu’avant, les dieux plaçaient dans les cieux les âmes des humains valeureux. Chaque étoile est une âme. Mais les âmes pures sont des constellations. Peut-être que ces deux là en deviendront une. C’est bien pour un ange de promouvoir une constellation, ça lui donne du galon. Là, il les regarde. Elle, elle est belle. Il voit sont cœur en feu. Et sa jambe, et sa cuisse. Il n’a pas de sexe, les anges n’en ont pas, mais cela ne l’empêche pas d’aimer les belles choses. Il voit sont cœur en feu, et l’infini qui l’habite. Cela fait longtemps qu’il n’avait pas vu un infini si profond. Presque angoissant tellement il est profond. Lui, il lui fait une drôle d’impression. Décidément ils ne vont pas ensembles, pourtant il ressent comme une évidence. Les anges sentent bien cela. Les évidences. Lui aussi il est dans le feu. Mais ce n’est pas le même qu’elle. Plus contenu.

Lui, il pense à tout cela en conduisant. A l’urgence du voyage. A l’urgence de l’amour. A la gravité. Pourtant cela ne fait pas si longtemps qu’ils sont ensembles. Mais c’est cette histoire d’infini, d’absolu qui le taraude. Comment éviter la banalité des heures, des jours, des saisons ? Comment éviter l’effondrement des corps après l’amour ou l’usure des chairs ? Comment réussir à inventer cette langue toujours nouvelle pour dire la beauté de ses yeux, la douceur de son souffle ? Il la regarde. Il sait que ce voyage est une épreuve. Qu’au bout, plus rien ne sera comme avant. Parce qu’il ne vont pas vers une géographie, mais vers ce lieu de l’âme insensé. Ce lieu qui ressemble à la folie, puisqu’il est sans raison, qu’il est tout en tremblement, puisqu’il est tout en abandon. Au bout il faudra bien arracher son cœur, arracher sa chair. Il le sait. Et il sait qu’elle le sait aussi.

Il fait chaud, ils montent vers le nord, vers le bout de la terre. Il a peur. Et même si elle paraît nonchalante dans cette pose impudique, il sait qu’elle a peur aussi. Elle a peur parce qu'elle a toujours eu peur dans sa vie. Il avait découvert quelqu'un d'étrange : terrorisée par sa famille. Elle n'aimait pas sa mère ni son père qui passaient leur temps à boire et à regarder des émissions pathétiques à la télévision. Elle faisait tout dans la maison. Elle faisait tout, la vaisselle, le ménage, la cuisine. Son père était étrange avec Lui. Lorsqu'elle a commencé à vouloir le présenter à ces parents indignes. Il a pensé : cet endroit ressemble à la folie : la fille a pris la place de la mère et la mère a pris la place du chien. Le chien a pris la place d'un arbre, dehors. Les enfants dehors lui jettent des cailloux. Attaché constamment, il mord. Depuis que les gosses ont essayé de le brûler, il était méchant, très méchant, sauf avec elle. Elle savait le prendre. Elle ne le caressait pas car la bête ne supportait plus qu'on la touche. Elle lui donnait à manger et elle voyait dans l'oeil qui lui restait : quelque chose comme de la gratitude. Dans l'oeil d'une bête.

Ils avaient peur parce que à la radio, ils parlaient de nouveaux soldats, envoyés au front. Pour très bientôt. Ella couchait avec son père depuis l'âge de quatorze ans. Personne ne le savait mais les gens lui renvoyaient sa détresse à la figure. Ils devaient le sentir. Les gens avec leurs égos flexibles. Luis lui avait dit en écrasant une cigarette dans sa paume, nu sur le lit, après l'amour, tandis qu'elle nue devant le miroir coiffait ses cheveux longs, qu'il voulait l'emmener. Loin de son père. Une fille ne fait pas l'amour avec son père. C'est n'est pas une chose naturelle, c'est une invention. Lui disait-elle. Elle souriait, les yeux pleins de larmes. Lorsqu'ils faisaient l'amour, elle n'avait plus de problème, le plaisir n'était plus coupable. Allongé, nu, il lui tendait la main, en souriant, elle lui prenait, en lui rendant ce sourire si gentiment donné. Elle l'aimait dans ces moments-là.

Son père à Luis, lui qui aimait elle, Ella, voulait l'envoyer en Irak, combattre. Le Nord était loin, sur la route ils avaient peur. Ils étaient heureux mais la peur était aussi heureuse pour eux. Le père de Luis était très autoritaire et avait dit à son fils un jour : "tu seras un militaire ou tu ne seras pas". Il ne rigolait pas, cet homme. Luis avait eu l'apparition de l'ange un jour, alors qu'il sortait de la douche. Ruisselant, nu, il avait vu l'ange lui redonner espoir : c'est vrai qu'à cette époque il pleurait seul dans sa chambre. Il était comme ça. Dans un coin de la salle de bains, comme ça. Comme un cadeau. Et puis il n'aimait pas les bars de militaire. Il était allé dans les toilettes une fois, il avait surpris une poupée Barbie style années 40 comme Veronika Lake, coiffée de la même façon faire une fellation à un marine musclé comme l'incroyable Hulk. Il avait pleuré en fumant une cigarette dehors, en regardant son reflet et celui de la lune derrière le sien dans une flaque d'essence ou de liquide réfléchissant.

Il savait lui tendre la main dans des moments comme celui-là. A la radio, des explosions, des meurtres, des viols et des 14 juillet triomphales.

  • En avant marchent les armées

  • Au loin la mer déjà s'est retirée

  • Il reviendra vers nous qui sait

  • Avec courage et force au-delà des Ardennes

Ils se sont arrêtés. Quelque part dans un endroit désert. Il s'arrête souvent dans des choses désertes, elle dit. Ils se font un sourire. Ils donneraient envie à l'âme la plus impersonnelle, la plus froide. La plus imperméable aux sentiments. Comme si on pouvait négocier avec les sentiments. Comme si nous pouvions négocier avec l'amour. C'est plutôt l'inverse. La station était grande. Elle était restée dans la voiture, prostrée. Je serais restée prostrée comme elle si j'avais été Ella. Elle écoutait à la radio les chants de militaires qui partaient dans des pays où les contrôles à l'aéroport étaient moins importants que dans les leurs pour aller anéantir cette menace pesante qu'était le terrorisme. Il a demandé qu'on lui mette de l'essence. Ils avaient oublié le Nord. Ils étaient ensemble, ils attendaient de l'essence. La voiture allait caler dans quelques kilomètres sinon. Et il fallait absolument la remplir. Ils étaient ensemble de toute façon. Mais l'endroit ressemblait à un désert. A un désert d'Irak. Il a pensé : je dois être déserteur maintenant. Elle a regardé la station-essence et lui qui faisait le tour, au même moment elle a pensé : il doit être considéré déserteur maintenant. Ils étaient faits pour se rencontrer décidément.

Il a vu dans un enclos des chevaux. Des familles. Bruns, Purs Sangs, Racés, Noirs, Mouchetés. Un homme âgé est descendu tout sourire vers la voiture. Il a regardé les chevaux de toutes les couleurs en trouvant qu'ils étaient beaux. Comme Elle. Ella a dit bonjour au vieux monsieur. Qui sur son visage avait l'expérience de sa vie. Il lui a fait le plein. En attendant, Luis regardait les chevaux. Il avait envie de pleurer. Tout allait bien, ça le rendait triste. Les militaires allaient l'attaquer en justice maintenant, c'était sûr. Car lorsqu'ils n'attaquent pas, ils défendent, et lorsqu'il n'y a personne à attaquer, ni même personne à défendre, ils attaquent en justice.

L'homme demanda à Ella si elle n'avait pas soif. Elle lui dit : "non". "On va vers le Nord". "Par la route ? Vous auriez dû prendre l'avion".

Elle avait croisé ses doigts, elle avait regardé la route qui semblait n'avoir jamais de fin. Devant eux.

Franck & Angéline

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Commentaires
F
Le difficile Alix, est de savoir où continuer le voyage....c'st toujours les mêmes questions...<br /> Bises<br /> Franck
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F
Moi, aussi Simone,.... je préfère les géographies intérieurs...<br /> Franck
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S
En 70 , je préparais le voyage . Je soulignais le nom des lacs , des villages de Norvège , dans le livre de Selma Lagerloff , vous savez Nils holgersen . Je faisais ça très sérieusement . Sur d'autres cartes je n'aurais pas pu . J'ai horreur de la géographie . Puis je suis partie vers le sud , face au soleil, Seule .
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A
On aurait envie de connaître la suite du voyage, on sent que c'est tellement important ce qui se passe là.<br /> Alix
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S
De très beaux passages
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