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J'irai marcher par-delà les nuages
23 juillet 2005

L'infini pour toi et pour celle qui viendra...

Difficile de rester centré sur son écriture. De lui donner la consistance voulue. Parfois on passe à coté. Comme hier. Mon texte. Sans doute écrit trop vite. J’étais mal assis dans mes mots. J’avais du mam à suivre la ligne mélodique. En écrivant j’entendais des couacs.
Il arrive qu’on soit trop profond, ou au contraire qu’on soit trop à la surface. En fait, pas à la bonne distance de la langue. Les mots qui viennent sont alors trop épais, ou trop léger. Ils n’ont pas le poids juste. A force de vouloir signifier, ils ne disent rien de l’essentiel.
En réalité hier je voulais parler de Lionel. Dans toute l’histoire c’est lui le plus important. Les mots ont un juste poids. On ne le sait pas assez. Pour le comprendre, il suffit de les lancer au plus loin de soi et de les regarder retomber. Trop lourds, ils se cassent. Trop légers ils se retrouvent dans tous les sens.
Les justes, reste en l’air et s’inscrivent sur la ligne d’horizon. Les mots justes on les aperçoit en transparence dans le soleil levant. Pour écrire juste il faut disposer son âme dans l’alignement du soleil et d’une étoile. Pour écrire juste il faut faire entrer le sens dans le son. Quand sa vibre, c’est bon.

Mais c’est Lionel qui est important. C’est quoi le courage Lionel ? Tu n’en sais rien ? Tu as raison… Toi tu étais une étoile brûlée tombée sur une terre d’absence. J’ai lu ta mort dans le journal. Au téléphone ta femme m’a dit : " Ca faisait huit jours que je lui disais : appelle Franck. " Elle pleurait ta femme.
Tu savais que tu étais arrivé au bout, alors tu n’as pas appelé. Pour dire quoi. Que tu étais au bout.
On avait la même chambre. C’est là qu’on s’est connu. En l’espace de deux jours on a fait rentrer le soleil dans cette chambre. Le courant est passé. On a commencé à rire. A rire de nous. Les infirmières aimaient venir dans notre chambre. Nous étions les enfants terribles du pavillon. On nous appelait les intellectuels. Cela devait être à cause de toi. Toi tu étais docteur. Un vrai docteur. Pas comme Clooney dans Urgence. Un vrai docteur alcoolique. C’était ta troisième cure. Le courant est passé tout de suite. On riait. On parlait beaucoup. Un peu de l’alcool. Très peu, question de pudeur. On peut être alcoolique et avoir de la pudeur. Parfois elles étaient trois dans la chambre, même la "chef" venait ; avec toi elles parlaient médecine, avec moi astrologie.
Tu t’en souviens, nous faisions de longues promenades dans le parc. Tu parlais des livres que tu aimais, Tolkien, avant que tout le monde en parle. Le seigneur des anneaux c’était toi. Nous parlions même du Petit Prince. C’était moi le petit Prince. Parce qu’il faut dire que tu étais un surdoué. Un vrai. A plus de cent soixante de QI, tu avais fait médecine, parce qu’il fallait faire quelque chose. Toi tu aimais le rêve. Ta passion c’était la photo. Marcher dans la nature et surprendre un trou de lumière, la forme d’un ange. Et puis tes filles. Adorable. Tu te souviens quand elles sont venues te voir. Deux têtes blondes papillonnant dans la chambre. Tu peux dire qu’elles l’aimaient leur papa alcoolique. Toi aussi tu les aimais, tu m’en parlais souvent. Ta femme, plus tard me racontera quand tu tombais dans l’escalier devant elles. Et qu’elles de soignaient comme deux petits infirmières dévoué. Dans nos promenades on ne parlait que du beau, que des choses que l’on aime, tu adorais que je te parle d’astrologie. Tu étais scientifique, mais tu aimais cette façon que j’avais de mettre du rêve un peu partout. Et de raconter des histoires de la mythologie. Tu étais Poisson, et je te parlais de la mer et de son mouvement. Et de l’infini. Je connais deux être pour qui l’infini n’est pas un mot creux, pour qui l’infini veut réellement dire " infini ". Toi et Celle qui viendra. Alors dans le monde tu étouffais. Le monde te faisait souffrir. Une souffrance qui s’apaisait qu’avec de l’alcool. On se ressemblait, nous partagions une douleur indicible. Mais nous n'en parlions pas. A cause de la pudeur. Les autres qui t’avaient dénoncé au Conseil de l’ordre, disaient que s’était une honte, un docteur, vous comprenez, un docteur. Il a tout pour être heureux, une si gentille femme, et des petites si mignonnes. Alors on riait, tous les deux, comme des enfants turbulents.

A la sortie nous avons décidé de suivre ensemble des séances de gestalt-thérapie. Là nous avons appris à nous connaître de l’intérieur. Des séances difficiles. Souvent on finit en larmes. Parce qu’on visite des endroits sordides de la mémoire. Quand on parlait, je te disais comment se passait ma psychanalyse. Ma jubilation à rentrer dans les mécanismes du néant. Toi, tu ne pouvais pas. Tu as arrêté toutes les analyses que tu as commencées. Dans ta vie il y avait des choses qui ne pouvaient pas se dire. A l’intérieur tu saignais. C’est tout. Alors on riait parfois. Et parfois on était en silence. Ta femme était autour de toi, avec un désespoir aussi grand que l’espoir. Elle t’aimait ta femme. Je peux te le dire. Je l’ai vu après. Comment elle a fait face, aux paroles de fiel qui on accompagné ton cercueil. Vous étiez rencontré en Inde, parce que tu faisais ce que les gens appellent de l’Humanitaire, elle, elle était infirmière. Après vous êtes rentés en France. Tu es devenu un grand spécialiste. Angiologue. Avec tes cent soixante et plus, s’était facile pour toi. Tu avais déjà appris à lire tout seul. Mais sans le montrer, tu imaginais que tes parents ne comprendraient pas. Et tu avais raison. Ils n’ont jamais rien compris. Une fois par an, tu allais a Paris pour des congrès, c’est toi qui parlais, et ils venaient des amériques pour t’écouter. Mais toi, ça te faisait rire tout ça. Le social, la reconnaissance. Toi ce qui t’intéressait c’était la photographie. Les ciels, les fleurs, tu cherchais toujours des formes à l’intérieur d’autres forme, des lumières à l’intérieur de la lumière. Alors les congrès. Un jour tu as même était leur parler bourré. Mais bien bourré. Tu riais en me le racontant. Le monde n’était pas fait pour toi. Tu t’y ennuyais. Et puis cette douleur qui ne passait pas. L’indicible. L’impossible a dire. Un jour on en a parler de l’indicible. Parce que le paradoxe, moi, je ne t’ai jamais vu ivre. Donc on parlait de l’intime de nos vies. Pas souvent. Tu m’as dis que le jour où c’est arrivé s’était une belle journée. Tu traversait les champs pour aller à la pêche. Tu étais dans l’insouciance de tes huit ans. Culottes courte et canne à pêche sur l’épaule. Et puis le ciel s’est assombri pour toujours. L’homme t’a attrapé, il t’a déshabillé et il ta violé. Là, dans le champs. Huit ans. A un age où l’on sait pas ces choses là. Par derrière, il t’a fait mal. Si mal que ça résonne encore. Le temps à blanchi d’un seul coup. Il était dedans. Dedans toi. Il n’y a pas de mot pour le dire. Alors tu ne l’as pas dit. Quitte à être rempli, tu t’es bourré. Tu sais comme font les psy avec les mots. Tu étais devenu le saigneur de l’anneau. Tu comprends, Lionel, j’aimais lorsque nous marchions ensemble. Je te parlais poésie, astrologie et toi tu me disais la lumière, le ciel, les étoiles. Et les anges. Souvent on aurait dit que tu les voyais, les anges.

Tu es mort à ton bureau. Une nuit. Le sang saturé d’alcool. J’ai écris à ta femme pour lui dire de quoi il était saturé ton sang, ton vrai sang. Je lui ai parlé de ton rêve prométhéen, celui de libérer les anges du ciel pour en peupler la terre. Je lui ai dit que tu étais mon ami. Non, pas à cause de l’alcool, mais à cause de la lumière et des anges. Tout le monde t’a rejeté : tes parents, tes collègues, tes amis… jamais ta femme n’a dit un mot qui aurait pu froisser tes ailes de géant. Et tes filles elles étaient la lumière que tu cherchais. Les cheveux couleur de sable et des rires plein la gorge.

Tu vois Lionel, il m’arrive de penser à toi. Et ce qui me revient en premier c’est nos fous rires dans la chambre d’hôpital.

Dans cette histoire qui n’a rien à voir avec une histoire d’alcool, il faut retenir, les promenades, les rires, et les anges qui se cachent dans les replis de la lumière, ou qui jouent à saute mouton sur le bord des nuages. Le reste n’a aucune importance.

Franck

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Commentaires
F
Merci à toutes de vos commentaires... j'ai ai fait un bouquet en pensant à Lionel<br /> Merci<br /> Franck
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N
Dire l'indicible... rêve de poète, rêve d'enfant, de naïf aux yeux clairs ?<br /> Lionel et le vide, Lionel et l'immonde qu'il a subi et ce pourquoi il s'enivre... <br /> <br /> Terrible narration Franck, terrible même si tes mots-lumière l'éclairent de joies, de complicité, d'amitié et d'enfance et d'amour...<br /> <br /> A toi, mon amitié
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A
Les mots...L'émo-tion est là, encore, toujours...
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A
Même les textes qui passent à côté sont très intéressants. Peut-être même...
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F
Promis, Chris, je prendrais soin de moi...Ton amitié m'y aide.<br /> Franck
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