Lettre à la tristesse......
Pourtant elle était pudique. Timide. Un rien la faisait rosir. Quand je suis rentré il y avait ce petit mot : je suis à la rivière. Elle avait posé à coté du papier, un de ses petits bouquets dont elle avait le secret. Trois, quatre fleurs des champs minuscules liées par un brin d’herbe. J’ai dis ici combien ces bouquets étaient émouvants. Elle n’aimait pas les grandes fleurs prétentieuses des fleuristes. Elle, elle disait que les petites, les fragiles, celles que personne ne voulait, étaient encore plus jolie. Justement parce que personne n’en voulait. Elle me disait, regarde celle-ci, la jaune, regarde là, comme elle petite, fine, regarde tous les détails, sa tige, ses feuilles si petite. Et bien, tu vois, elle contient autant d’amour qu’une grosse. Je suis à la rivière. Elle avait rajouté : je t’aime et signé : Isabelle. Et puis, je l’ai aperçu. De loin. Je me suis arrêté. Mon cœur battait fort. Elle était dans la rivière. De l’eau jusqu’aux mollets. Nue. Entièrement nue. D’abord cette nudité, dans ce paysage m’est apparue incongrue. Je n’ai pas bougé. Je l’ai regardé. Comme un voleur. Comme une extase. Comme une offrande. Elle était dans un mélange d’ombres et de clartés. Elle semblait ne se soucier de rien. Elle se penchait de temps en temps pour s’asperger d’eau, qu’elle étalait avec douceur sur tout son corps. Tout son corps. Son corps si blanc dans cette verdure et cette eau d’ocre brun. Même lorsqu’elle passait ses mains sur ses seins, ses gestes gardaient leur innocence, même lorsqu’elle caressait ses cuisses. Peu à peu elle avançait dans le courant. Je pouvais voir les faibles remous autour de ses cuisses. Et puis elle s’est allonger entièrement dans l’eau. Elle se laissait porter par le courrant. Et puis elle s’est assise sur un rocher. L’eau venait s’écraser en douceur sur son ventre. Elle avait écarté les jambes comme si elle voulait que la rivière la pénètre, de sa vigueur fraîche. Elle était étonnante. Dans ces attitudes que je ne lui connaissais pas. Elle débordait d’une sensualité inconnue, nouvelle. Dans cette eau tendre, elle avait une grâce étincelante. Elle est sortie. S’est essuyé avec sa robe. Et s’est allongée au soleil. Elle passait ses mains sur sa poitrine. Elle caressait son ventre.. Elle s’attardait sur sa toison, la peignant de ses doigts légers. Rien ne pouvait l’atteindre. Il émanait d’elle une sérénité absolue. Même nue, au bout de ce champ, elle restait pudique. Même avec ses mains qui frôlaient son entrecuisse, elle restait pudique. Elle a fermé les yeux. Elle, s’est assoupie. J’ai appelé, elle s’est lever. Elle n’a même pas essayé de cacher sa nudité. Elle m’a fait un signe de la main. Voilà, c’est tout ce que j’ai pu dire sur la tristesse. Tout à l’heure avant de commencer à écrire, nous parlions en messages instantanés. Je n’aime pas trop les messages instantanés. J’écris trop lentement pour ce truc. Un doigt. Un doigt, borgne qui plus est. Plus les touches de mon ordinateur qui répondent de plus en plus mal à mes sollicitations, plus ma dyslexie, plus ma dysorthographie (je cumul, oui). Et puis ma pensée se condense mal. Mais, bon… c’est mieux que rien. On parlait, je lui disais que je me sentais mal avec mon écriture, que souvent, trop souvent je n’étais pas entendu, dans ce que je disais. Et que cela me rendait triste. Elle, l’Ange :" C'est ce que j'essaie de faire. En fait, c'est quelqu'un qui prend la parole, les autres ont horreur de quelqu'un qui prend LEUR parole. " Et puis avant de partir elle me dit : " Et attend que la tristesse sorte. A moi de lui faire un sourire : l'accepter c'est mieux que de faire comme si on ne l'entendait pas. Et en tant qu'artiste, tu peux l'écrire, tu as le droit d'être TOUT dedans. L'écriture. Tu devrais lui écrire une lettre, à la tristesse. Peu de gens le font réellement. " Alors voilà je devais faire une lettre à la tristesse. Et voilà ce que j’ai écrit. Ce souvenir de lumière et de sensualité douce, tendre, sucrés, délicieuse. C’est peut-être ça écrire à la tristesse, c’est lui dire la beauté des éclats du soleil sur un corps qui s’offre à lui. C’est l’eau d’une rivière sur les seins d’une Ophélie improvisée. Ecrire à la tristesse, c’est fermer les yeux et essayer de se souvenir de l’odeur de ce corps, de cette peau, de cette chair de poule, quand mon souffle l’effleurait. C’est cette poitrine large aux pointes durcies, ces fesses tendue vers ma main qui les frôle, et ce sexe broussailleux dévoilé à la bouche qui le boit. Ecrire à la tristesse…. C’est lui dire, aujourd’hui tu ne peux pas m’atteindre, parce que mon ange me protège, et que ma mémoire possède encore des coins d’ illuminations fulgurantes. Faits d’odeurs, de couleurs, de rivières et de chairs offertes sans l’ombre d’une impudeur. Comme un cadeau oublié sur le rebord d’une journée. Non, tu ne peux pas m’atteindre puisque dans mon âme gît une espérance irrésistible. Ecrire à la tristesse, c’est lui dire qu’elle ne peut pas tout broyer, puisque j’ai mes mots, comme des oriflammes. Et des rêves pour deux. Alors oui, TOUT peut se dire, ici. Parce qu’on a ce pouvoir de dire, même la joie pour la tristesse. Oui, je suis triste, mon Ange, mais quelle joie de l’être si près de toi. Franck.
Derrière notre petite maison il y avait un grand champ d’herbe à fourrage. Au bout, la rivière, la Creuse, et quelques arbres. C’était l’été. Le début de l’été. Les premières grosses chaleurs. L’herbe du champ n’était pas trop haute. J’ai vu la trace de son passage, comme une sorte de coulée ombreuse et légère, qui avait juste froissé la prairie. J’ai préféré la rejoindre en passant derrière la haie, pour lui faire la surprise. Doucement, pour lui faire la surprise. Souvent elle me laissait des petits mots. Je suis passée voir untel ou unetelle…elle avait ses œuvres, les gens seuls. Ces vieux seuls. Qui épuise leurs derniers souffles dans une solitude écrasante. Nos campagnes en regorgent. Nos villes aussi. Elle, elle passait de temps à autre visiter celles qu’elle connaissait. J’ai été porter une part de gâteau à madame machin. Parfois sur le mot je lisais : je suis dans le salon, je t’attends, chut ! La misère lui perçait le cœur. Tu sais, ça fait deux ans que personne n’est venu la voir, même le boulanger ne passe plus pour lui amener du pain. Quand elle revenait, je voyais bien qu’elle avait pleuré. Alors elle se serrait contre moi, comme un oiseau blessé. Elle de disait rien. Je la sentais frémir, presque trembler. La misère lui perçait le cœur, la tendresse le lui faisait battre, la lumière éclairait ses yeux.
Ce n’était pas une sainte. Elle n’aimait pas cette idée. D’ailleurs les idées en générale, elle ne les aimait pas. Elle était toute en vibrations, en vacillements. Elle préférait les petits bouquets, et les part de gâteaux qu’elle offrait.
Pourtant elle était pudique. Il faisait derrière cette haie. J’avançais en faisant attention aux vipères, qui adoraient ces endroits. Elle ne pouvait pas me voir arriver.
Tu sais, je t’ai vu dans la rivière. Elle a rougi. Tu étais si belle. Je ne pouvais pas rompre le charme. Alors, vient retournons-y ! Attends ! J’ai posé ma tête sur son ventre. Il était chaud. Vivant. Comme si jamais je n’avais senti quelque chose d’aussi vivant. Elle m’a dit : chut, pas ici, pas maintenant, tout à l’heure, chez-nous. Comme si mon désir était impudique. Oui, elle savait ces choses d’instinct.
Mon Ange, aujourd’hui tu m’as fait à nouveau un présent, comme souvent. Cette tristesse flamboyante, qui ne peut plus se dire vraiment, puis que les mots même la trahisse. Et puisque je ne savais plus si je parlais d’elle ou de toi.