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J'irai marcher par-delà les nuages
12 septembre 2005

Comme un soleil qui monte......

Je l’ai vu arriver de loin. Un point dans perspective du chemin. Un point sans forme précise. Un point qui se rapproche. J’étais assis dans un creux d’existence. Et j’ai vu une silhouette de feu, qui avançait avec une détermination de tonnerre, sur ce chemin pavé de silences et de mots, ce chemin de désordre. Je l’ai vu arriver de loin. Comme de derrière ma mémoire. Nue, habillée de sa seule parole. J’ai vu la poussière que soulevait ses mots à chacun de ses pas, j’ai bien vu la poussière se transformer en poudre d’or à chacun de ses mots. J’ai bien vu dans son approche souveraine mille ans d’histoire s’effriter sous ses pas, trente siècles se répandre comme une rosée de cristal. J’ai vu au loin les dieux fermer les yeux et se mettre à genoux, et prier, et pleurer, et les saintes arracher des soupirs aux cendres noirs des cloîtres, j’ai vu le criminel embrasser la victime, et le bourreau se pendre à sa corde, j’ai vu le sage perdre sa raison et le fou enseigner aux enfants, j’ai vu les mères offrir leurs seins pour sauver les malades, et les vierge chanter dans le vent les prières du matin. J’ai vu les saisons défiler et les heures danser, et les guerriers brandir leurs cœurs ensanglantés empalés sur leur glaives. Oui, je l’ai vu approcher comme un tonnerre de dieu, même son ombre l’avait désertée, seul le soleil pouvait la protéger.

Quand elle fut près de moi elle n’a pas ralenti, elle a simplement tendue la main, pour montrer le chemin. Et je me suis levé. Moi aussi j’ai marché. Quand elle fut près de moi j’ai vu sur son visage le souvenirs des pages blanches, la trace des paroles écrites à l’encre rouge et celles à inventer à l’encre bleue, j’ai vu la forme que prend les rêves brisés, j’ai senti dans son souffle la profondeur des exils, sur le bord de ses lèvres le murmure des aveux. Et sa voix sonnait comme un cor blessé. Un cor immense et profond et lourd. Et blessé.

Sur sa peau dénudée se dessinaient les mondes engloutis, les mers déchaînées, les naufrages humains. Chaque cassure du temps était transcrite à l’endroit de douleur, à l’endroit du mystère, à l’endroit meurtri, fracturé, éventré, gravé en lettre blanchie à la chaux, en lettres pleurées, en lettre hurlantes.

Elle marchait vite et droit. Droit et longtemps. Et j’ai suivi un temps. L’espace d’un printemps. A chaque étape un pays. A chaque pays une misère. A chaque misère un soleil. Et demain, et toujours, et sans cesse refaire le même souvenir avec des mots nouveaux, venus de la même chair, sortis du même sang, du même cri. Elle marchait comme une guerrière, sans se retourner puisque le passé était là, devant, comme un baiser mortel, comme une urgence impossible. Là. Seulement là. Et ce goût de la vie et ce goût de la mort et ce rire étranglé. Et cet or sur la route à chacun de ses pas. Et les morts à convaincre de respirer encore, une dernière fois. Et l’amour qui gueulait, qui gueulait, qui gueulait. Elle marchait vite et droit, sans baisser son regard, sans trembler. Mot après mot. Mort après mort. Nuit après nuit. Des sanglots dans les rires. Oui, je l’ai vu traîner l’univers pour le faire plier et l’obliger à rendre l’âme des hommes, des femmes, des enfants, des errants, des perdus. Les âmes volés. Les âmes souillées. Les âmes oubliées. Oui, j’ai vu l’écriture s’engendrer pour désigner plus fort chaque lâcheté. Pour éclairer et dire autrement les parures du vrai. J’ai vu les Galaxie à l’envers, s’excuser pour leurs indifférences. Et les puissants rougir de leurs indécences. J’ai vu les riches brûler leurs richesses. Et les pauvres embrasser son sourire.

Elle marchait vite et droit. Je l’ai vu s’éloigner sur le chemin des mots. Comme une guerrière, sans se retourner. Simplement l’amour qui gueulait, qui gueulait, qui gueulait. Laissant tomber son or, d’une langue souveraine. Offrant, sa chair carbonisée, son sang calciné, sa mémoire embrasée, même aux morts. Surtout aux morts. Pour leur donner la force de sortir de leurs cendres.

Elle n’est plus qu’un point au bout du chemin. Il n’y a plus que l’or au bout du chemin. Et ce point si proche du ciel, qu’on le croirait dans le ciel. Comme un soleil qui monte à l’horizon. Étincelant d’une infinie miséricorde.

Franck

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Commentaires
T
Je n'ai pas l'impression de m'être trompée de porte, ici. <br /> Merci Franck pour celui-là aussi.<br /> Je ne sais rien d'Angeline, mais je sais en ce qui me concerne, de moi.<br /> Comme quoi l'écriture va bien au-delà des signifiants qu'on aurait voulu y glisser.<br /> <br /> Je ne connais pas Angeline, sauf une rencontre brêve... Mais, chacun son histoire et sa route, la mienne est celle d'une guerrière dont le passé est souvent devant, et dont la détermination à aller de l'avant n'a d'égale que l'horreur qu'elle a vécu, afin que de toute mort jaillisse la vie, que toute cendre devienne tison puis flamme, que toute offense obtienne miséricorde, que tout charnier se transforme en jardin luxuriant d'où paix et miel coulent à nouveau sans fin.<br /> <br /> Il y a aussi ces stigmates sur la peau et dans la chair, de chaque nauffrage, de chaque exil, cela ne s'invente pas, cela n'est pas fréquent, en moi c'est la réalité clinique.<br /> Quant à l'Etoile, Patricia...<br /> <br /> Bref, je suis heureuse d'avoir vu et lu ce texte et ces coms, malgré l'envie de déconnecter assez rapidement ce soir.<br /> <br /> Merci Franck
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F
Les paroles, Charlotte, à l'insu de nous, travaillent nos chairs, les broient ou les font renaître c'est selon....<br /> A bientôt<br /> Franck
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C
"Au commencement était Le Verbe..."Début de la bonne nouvelle de l'évangéliste Jean.<br /> Curieusement, en lisant ton texte ,Franck, j'avais une impression d'apocalypse et j'étais bouleversée outre mesure.Je le suis encore.Charlotte.
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F
Merci Amélie, d'avoir laissé une petit trace ici...<br /> moi aussi j'aime bien quand tu entre-ouvres la porte...<br /> Bises<br /> Franck
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A
tu retrouves tes mots ... j aime, merci Franck<br /> Bises,<br /> Amélie
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