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J'irai marcher par-delà les nuages
13 septembre 2005

Il est des nuits.....

On arrive à Gao comme si l’on quittait l’océan. Toujours harassé d’une traversée. Lourd d’un voyage. Lourd d’une fin. Les yeux brûlés par les éclats du soleil, par le reste des rêves et le reste des nuits. On arrive à Gao couvert d’un linceul de sable poisseux, collé comme une peau sur la peau. On arrive à Gao toujours à la tombée du soir. Presque en cachette. On arrive à Gao sans tristesse, sans joie. Seulement une immense fatigue. Arriver à Gao c’est arriver de loin, c’est venir d’un désert, d’au-delà d’un désert. C’est avoir franchi sa vie dans une étendue de poussière, dans l’étendue sans fin de nos questions vaines, de nos réponses craintives et faciles. C’est d’avoir mesuré la pauvreté de nos prières, l’étroitesse de nos désirs. Et nos misérables souffrances. Arriver à Gao c’est être un naufragé, puisque là-bas, plus au nord, quelque chose de nous est resté. Peut-être le meilleur. Peut-être le pire. C’est cela qui épuise, ne jamais savoir, même après un désert, même en arrivant à Gao.

Cela faisait plusieurs jours que le marabout voyageait avec nous sur les sacs de dates que le M.A.N. diesel transportait. Il était silencieux. La vitesse du camion faisait flotter son chèche qu’il enroulait comme les gens du sud du Sahara, comme les Touaregs. Ce n’était pas un touareg. Il portait une sorte de grande djellaba bleu clair, qui couvrait un large pantalon de toile légère et blanche, et qui masquait à peine une ceinture où était accroché un poignard ouvragé au bout recourbé. Il avait la peau mate, très foncée, mais pas noire. Il était grand et maigre, des yeux clairs perdus au fond d’un visage sans âge, usé de soleil et de contemplation. Un visage tout en angle. Tout en avancée. Tout en tension calme et sereine. Sur le camion il ne bougeait pas. Il gardait tout au long du jour la même position. Accroupi, les genoux au nivaux des épaules sur lesquels il appuyait ses bras. Depuis des siècles il avait cette position. Depuis des siècles il fixait l’horizon des sables, sans attendre rien. Sans rien espérer, que de pourvoir regarder cet horizon des sables pendant des siècles encore. Il avait fait un trou dans un sac de jute, et de temps à autre il prenait une datte, et la mâchait longtemps, et il suçait le noyau. Longtemps. Ca veut dire quoi longtemps ? Là-bas longtemps ce n’est pas du temps, c’est une distance, c’est une direction, c’est une légende, c’est un mystère. Longtemps. C’est la vie d’un homme, son histoire, ses rêves. Longtemps, c’est un ciel, ou une source, ou les yeux de la reine de Saba, ou la mort et son cortège de djinn.

Il nous a dit : a Gao vous viendrez dans ma maison. Son Français était approximatif. Mais on se comprenait. Pour lui s’était important qu’on vienne chez lui. Sa voix était grave, profonde, traînante. Il accompagnait souvent la fin de ses phrases d’un geste ample de la main, le bras tendu, comme pour désigner au loin le reste d’une signification que les mots sont impuissants à dire. Il hochait la tête, et tout était dit.

Gao, c’est la fin des sables et c’est le début du fleuve. Nous sommes arrivés à Gao, il faisait presque nuit. Nous n’avons pas vu le fleuve, mais nous l’avons senti. Un souffle obscur dans la nuit. Une présence. Un épanchement de vie nouveau. Presque incongrue. Quelque chose était là. En plus. A l’entré de la nuit Gao ce sont des musiques de balafons et de quelque tambours improvisés. La ville est plate sans étage, presque sans éclairage. On s’oriente toujours aux étoiles, et au souffle du fleuve et aux odeurs, et a l’inclinaison de son cœur, à sa nonchalance. A son abandon.

Nous l’avons suivi.  Comme des ombres sans ombres. Sa maison état là. Grand cube de un étage, en terre séchée, sorte de pisé. Un grand cube vide de meuble, vide d’âme. Avec seulement un escalier de terre qui montait sur une terrasse. Une terrasse qui ouvrait sur la nuit. Nous nous sommes installés dans une pièce vide. Il nous fit comprendre que le repas arriverait bientôt. Et qu’il nous attendait sur la terrasse pour boire de thé, le temps que le feu soit allumé.

Et puis sorti de nulle part, une sorte d’agitation calme. Des ombres. Des ombres silencieuses sont arrivées. Un homme squelettique fit le feu à l’air libre sur la terrasse. Il prépara la théière. Sorti des verres d’un sac de toile. Brisa les restes d’un pain de sucre, fit couler de l’eau dans la théière et y rajouta les graines noire du thé. Le marabout était là, assis. Depuis des siècles assit, sur cette terrasse de nuit et de désert. Silencieux. Il y eut un premier cérémonial de thé. Puis l’attente. Puis le silence. Puis la nuit qui s’intensifie. Une femme voilée est arrivée. Elle a posée une bassine en émail au centre du cercle que nous formions, et puis a disparu. Une ombre dans l’ombre de la nuit. Dans la bassine il y avait du mil cuit et au-dessus quelques maigres poissons bouillis. En silence nous avons mangé, récupérant avec le bout des doigts cette pâte de mil brûlante. Chacun creusant un cratère devant lui. En silence.

A la fin, la femme est revenue, sortie de nul part. elle à repris, la bassine de nourriture vide. Puis elle a disparu à nouveau. Sans bruit. Sans mot. Depuis des siècles sans mots.

Maintenant nous étions autour du feu. Un autre thé se préparait. Puis ils sont arrivés. Un à un. Des hommes jeunes. Trois. Aux regards éclatants. Avec une immense déférence il ont salués le marabout, puis nous, les invités. Ils ont prit place autour du feu. Le thé a circulé. Le marabout nous a expliqué que ces jeunes gens étaient ses élèves. Et que ce soir il allait les enseigner. C’était un temps où les barbes ne couvraient pas la religion musulmane d’un voile sombre. C’était un temps de l’Afrique pauvre mais sereine. C’était un temps où l’on parlait aux étoiles, la nuit, au bord du fleuve Niger, aux portes de l’océan saharien. C’était un temps sans peur.

Alors il a parlé. Longtemps. Il parlait une langue que nous ne comprenions pas. Mais il s’arrêtait parfois pour se lancer dans une traduction hasardeuse. Qu’importe, sa voix était belle et profonde, elle venait de si loin, d’un désert et du fond des siècles. Toujours avec cette voix de ventre, cette voix grave qui montait dans la nuit. Et sa main qui désignait les étoiles pour les prendre à témoin. Il parla de religion, il expliqua Le Prophète, et Jésus, et le roi Salomon. Il expliqua la reine de Saba, et le berceau de nos fois communes. Il disait qu’on avait le même dieu, et la même espérance. Il disait la Bible et le Coran, en montrant les étoile, en les appelant de leur noms, en expliquant les pays qu’elles désignaient. « Là, dans la direction de cette étoile, si tu voyages quarante lunes tu arrives au pays de Salomon. » « Il faut donner à Dieu, tes mains, ton cœur, et il s’occupera de tes rêves et de ton âme. » « Il faut prier ton Dieu et abandonner ta colère et il te conduira à la source. » « Va dans le désert, cueille un silence et revient. » C’était une nuit du monde, sous les étoiles brûlantes du désert, une nuit de passion dénudée. Pauvre et infiniment abondante.

Sa voix semblait chanter une mélopée lancinante. Seuls ses yeux brillaient. Seule son âme embrasait le ciel. Cette nuit lui répondait, comme chaque nuit de désert répond à celui qui s’est longtemps tu.

Les trois jeunes hommes l’écoutaient en silence, avec seulement quelques mouvements de têtes. « Nos dieux sont des frères, ils viennent du même sable, et regarde le même ciel et s’éclaire du même soleil. » « Chaque homme est un pays, conduit-le à ta source, donne lui de ton eau, et vos pays seront un royaume. Tends lui cette fleur et vous élèverez un temple. Tends lui la main et Dieu priera pour toi. »

Il est des nuits qui prennent naissance hors d’un temps connu. Il faut avoir traversé sa vie comme un long désert pour les contempler. Il est des nuits perdues où dans la voix d’un vieux marabout, un ciel entier s’illumine. Il est des nuits sans peur, puisque tout est là. Dans l’instant. Dans le souffle du fleuve. Dans un thé arachide. « Brûles ton désir aux feux du soleil du désert et une reine embrassera ta main. » « Fais-toi un rêve à la mesure du ciel, et ton cœur sera un jardin aux fleurs éternelles. »

Franck.

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Commentaires
F
Merci Patricia pour ces mots splendides...qui font écho dans ma mémoire....<br /> "les tambours de l’exil éveillent aux frontières <br /> l’éternité qui bâille sur les sables."<br /> Le désert nous regarde... c'est après, plus tard, qu'il nous arrache... mon coeur est de sable.. poussière et infini recommencement<br /> Je t'embrasse<br /> Franck
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P
Pour le jeune Franck des routes, un fragment d'Anabase :<br /> <br /> … Or je hantais la ville de vos songes et j’arrêtais sur les marchés déserts ce pur commerce de mon âme, parmi vous <br /> invisible et fréquente ainsi qu’un feu d’épines en plein vent. <br /> Puissance, tu chantais sur nos routes splendides !… <br /> « Au délice du sel sont toutes lances de l’esprit… J’aviserai du sel les bouches mortes du désir ! <br /> « Qui n’a, louant la soif, bu l’eau des sables dans un casque, <br /> « je lui fais peu crédit au commerce de l’âme… » (Et le soleil n’est point nommé, mais sa puissance est parmi nous.) <br /> <br /> Hommes, gens de poussière et de toutes façons, gens de négoce et de loisir, gens des confins et gens d’ailleurs, ô gens de peu de poids dans la mémoire de ces lieux ; gens des vallées et des plateaux et des plus hautes pentes de ce monde à l’échéance de nos rives ; flaireurs de signes, de semences, et confesseurs de souffles en Ouest ; suiveurs de pistes, de saisons, leveurs de campements dans le petit vent de l’aube ; ô chercheurs de points d’eau sur l’écorce du monde ; ô chercheurs, ô trouveurs de raisons pour s’en aller ailleurs, <br /> vous ne trafiquez pas d’un sel plus fort quand, au matin, dans un présage de royaumes et d’eaux mortes hautement suspendues sur les fumées du monde, les tambours de l’exil éveillent aux frontières <br /> l’éternité qui bâille sur les sables.
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F
Merci de ton compliment Chris, J'essaye toujours, (souvent) de mettre la voix dans mes textes, parce que c'est elle qui me guide, tu sais la vois de ventre, celle qui échappe à la tête...<br /> Je t'embrasse<br /> Franck
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F
Merci Pant, de ton passage, en fait je dois avouer que je ne connais pas (ou si peu) Hugo Pratt...Un voyageur de rêves ?...<br /> A bientôt<br /> Franck
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F
tgtgtgtg, merci pour ce très beau commentaire. Si doux, si profond... tu n'es pas sans royaume, puisque ton Empire s'appelle miséricorde, et que ton chemin s'appelle rémission...<br /> Je t'embrasse<br /> Franck
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