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J'irai marcher par-delà les nuages
25 septembre 2005

Un papillon.....

C’était un temps comme aujourd’hui. Un temps d’inlassable pluie. Comme si le ciel avait brusquement décidé de brusquer le ton. D’arracher les derniers lambeaux de l’été. De lessiver le bleu. Mais pour que gris tienne il faut du froid. Alors ce matin il fait froid. Et la pluie traverse la mémoire. Et les souvenir arrivent par ce coté glacé du cœur. Parce qu’on n’y va pas assez souvent. C’est un coin de jachère et d’éloignement. Coin de misère. Large lande battue par l’oubli. C’était un temps comme aujourd’hui, un dimanche, comme aujourd’hui. Un dimanche d’automne. Nous habitions encore Limoges avec Isabelle. Je n’ai jamais aimé Limoges. Pourtant j’y suis né. A cause de ça peut-être. Toutes les saisons lui allaient à Isabelle et l’automne redonnait à peau sa pâleur, sa transparence et son regard se couvrait d’un voile de lointain. Ses yeux brillaient moins, mais vous regardaient mieux. Plus proche. Plus chaud. Plus tendre. Elle a voulue sortir dans la campagne. Prendre la voiture et aller au hasard. Rouler un peu, s’arrêter, et marcher. Cette pluie faisait flotter son âme. Elle avait besoin d’un peu de terre pour ne pas se perdre dans cette journée d’inlassable pluie. L’odeur de terre humide. Alors on est parti. Elle voulait simplement marcher. Un peu. Et on a vu le panneau Oradour. Elle a seulement pose sa main sur mon bras. Alors j’ai suivi la direction du panneau. Sans un mot. On est arrivé devant le petit parking juste avant les grilles. Il y avait peu de monde. La ville fantôme était rendue à ses fantômes. Et puis on a emprunté la rue principale qui monte. Me revenait, les histoires que ma grand-mère racontait. Claire, la femme de Georges. Il tenait un restaurant à l’époque de la guerre à Limoges. Rue du Maupas. Ca s’appelait « Chez Catherine ». Alors tout le monde appelait ma grand-mère Cathy. Elle disait : « Avec le débarquement on croyait que tout allait s’arrêter, mais c’était pire. Les Allemands s’agitaient dans tous les sens. » Claire aimait raconter les histoires. « Ils sont rentrés dans le restaurant… c’étaient des jeunes…. Ils avaient des regards de fous. Y’en a qui disent qu’il y avait des Alsaciens. Ils aboyaient. Ils hurlaient. Dans la rue il y avait tout un convoi qui attendait. Ils sont passés derrière le bar pour prendre des bouteilles d’alcool. Et puis ils ont ouverts les frigos et ils pris tout ce qui pouvait se manger. J’étais seule. J’ai eu peur. Ils étaient fous. Et si jeunes. Je ne comprenais rien de ce qu’ils disaient. Mais c’était des SS. Il y avait l’insigne. Ils n’étaient pas d’ici. Ils venaient d’ailleurs. Du Sud. » « Quand il sont passé chez nous on savait pas encore ce qu’ils faisaient à Oradour. C’est le lendemain qu’on a su. Et pour Tulles aussi. Peut-être que ceux qui sont passés ont participé… Nous on a su que le lendemain… De Limoges on voyait la fumée. » Souvent, Claire pleurait quand elle racontait. Ils ont tout brûlé. Ils les ont tous tués. Et les femmes et les enfants dans l’église. Les hommes dans les granges ».

Nous montions la rue principale pavée. Et je racontais à Isabelle les mots de Claire. « Ils ont décidé de garder la ville en l’état ». En l’état de brûlure et d’incendie. En l’état de mort. Ils n’ont rien changé. Aujourd’hui c’est les mêmes ruines. Le même silence d’après. Parce qu’il y a toujours un silence après. Carcasse de voiture. L’église éventrée. Les maisons écroulée. Les traces de suie sur les murs. Isabelle se tait. Elle est au bord. Je le vois. Elle est au bout de quelque chose. Elle a vingt ans, et là, brusquement, elle est à un bout de l’humanité. Il bruine. Il fait froid dans cet automne. Il fait seul. Les petites rue de village. Là, la maison ouverte comme un poitrail déchiré. Plus de toit. Comme une béance. Alors je l’ai vu s’agenouiller. Dans l’herbe mouillé de pluie. Devant cette maison. Je l’ai vu joindre ses mains. Fermer les yeux. Alors j’ai vu les larmes couler. Elle était dans un silence inattaquable. A qui parle-tu Isabelle ? Où crois-tu que tes prières vont ? Je voudrais quelles restent ici mes prières. Là. Juste là. Sur cette pierre luisante de pluie. Dans cette journée. Dans cet automne. Elle me montre une petite roue de poussette d’enfant toute rouillée, toute tordue. « Il y avait un enfant ici…. C’est lui qui prie pour moi….moi je ne fais que recueillir…. » Et l’église à nouveau. Et la place. Et le monument avec tous les noms. Le petit musée. Avec les photos. Les restes. La dérision des restes. Où es-tu Isabelle ? Elle marche les deux mains plantées dans son manteau. Elle est loin.

Et puis la lumière a baissée. Puis on est reparti, toujours en silence. Dans le village reconstruit d’Oradour, on a but un chocolat chaud. C’est là qu’elle m’a regardé. Elle avait une figure défaite.

Et le mal s’empile sur le mal depuis des siècles. Et la seule chose à y opposer, c’est une petite prière, à genoux, dans une rue d’histoire dévastée. C’est quoi la mémoire Isabelle ? C’est quoi le bonheur ? C’est quoi ces journées d’automne ? Quand nous sommes enfin arrivé chez nous, il faisait nuit. La pluie avait cessée. Elle n’a pas voulue qu’on allume la lumière. On c’est assis sur le tapis. Et là elle s’est blottie. Là dans cette nuit du limousin elle s’est blottie. Nous sommes restés longtemps enlacés en silence. Nos baisers. Nos corps. Cette chaleur de l’amour des corps. Là, dans le silence. Et ses cris. Et sa joie. Et ses larmes d’amour. L’abandon de ses chairs. Et la rage du corps quand il arrache sa jouissance au désespoir. Et les coups de ventre en forme d’oublis. « Nous aurons un enfant et nous l’appellerons Oradour ». « Chut ! Isabelle…demain il faudra encore se souvenir… demain et tous les autres jours….jusqu’à la fin… » « Comment fait-on pour se souvenir ? » « Il faut transformer la haine en amour, Comme Antigone : je suis venue pour partager l’amour et pas la haine. » « Mais elle meurt, à la fin… Antigone. » « C’est le prix de l’amour… c’est pour cela que peu aime, ou si mal… » « C’est quoi demain ? » « Demain c’est d’abord ce soir, cette nuit, demain c’est l’amour que l’on vient de se donner, c’est peut-être un enfant qui s’appellera Oradour…. Demain c’est la prière que tu as faite… elle peuple le ciel désormais. »

Il faisait le même temps qu’aujourd’hui. Un temps pluvieux d’automne. Je viens de finir mes valises. Demain mon errance reprend. Demain je serais à nouveau à Paris…. Mais après-demain je la verrais…Ce n’est pas un ange, c’est un papillon. Un papillon aux mille couleurs. Après-demain je la verrais, je lui parlerais et elle dépliera ses ailes. Mais il ne faut rien en dire. Les mots peuvent abîmer les plus belles choses. Il faut attendre après-demain. Attendre ses yeux, son sourire, l’énergie de sa parole. Il faut attendre notre marche, bavarde ou silencieuse. Le partage des heures. Je suis dans une errance nouvelle. Je suis arrivé seul et je repars innombrable. Un papillon posé sur la bouche. Sur les rêves. Sur demain.

Franck

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Commentaires
T
Oradour cet enfant...<br /> Je prie avec elle, je reçois la prière de l'enfant, celui qui a péri par fureur humaine..<br /> Parle, oui parle avec elle.<br /> <br /> Bonne nuit, et bonne arrivée à Paris
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L
Alors pas de mots, juste un silence comme d'habitude, rempli des bruits de la vie...
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C
Tu vas me manquer...qui va me prêter son épaule pendant que tu ne seras pas là? :'(<br /> <br /> Reviens vite.<br /> <br /> Et ton texte fait mal dans le coeur, moi ça me fait mal la guerre même si je ne l'ai pas faite, ni subie. Heureusement qu'il y a des papillons...<br /> <br /> Tendresse Chris
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C
Elles sont belles les couleurs du papillon, Franck, elles sont vraiment belles :)
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