Du ciel, je vous dis...!
On a tous des enfances blessées, des adolescences trouées, des vies chaotiques, décousues, disloquées. Pour la plus part d’entre nous. Cette semaine, dans le métro. Quelque chose s’acharne, insiste, ponctue, scande, martèle, quelque chose bat la mesure. Ce n’est pas le cœur qui bat. Plutôt nos chairs qui viennent cogner contre la vitre du monde. Là, dans les secousses du wagon. Je vois mon reflet dans la vitre du monde. Entre deux stations. Dans ces tunnels à répétition. Je vois trop de gens en ce moment. Des foules. Des visages. Des centaines, des milliers. On regarde et on ne voit rien. Personne, sinon son propre reflet dans la vitre, entre les stations. Image de soi, transparente. Presque rien. En fait, rien. Un rien qui glisse dans la lumière des jours. Des riens qui se heurtent à l’épaisseur de nos néants. Elle a le regard froid, dur, fermé, lui est trop raide dans son costume froissé, celle-ci bouge la tête avec son baladeur sur les oreilles, l’autre est pressé, celle-ci s’est trop parfumée, lui s’endort, l’autre lit le journal à coté de celle qui lit un roman d’amour, lui est assis sur sa valise, ils sont de toutes les couleurs, blancs, jaunes, noirs, bruns. De toutes les couleurs et pourtant le même silence. L’absence est de toutes les races. L’exil à la même saveur amère. Eux, sont ensemble et se taisent, lui, regarde la jeune fille, l’autre se croit déjà au bureau, celle-là est encore dans son lit. Toutes ces faces absentes qui ne disent rien. Puisque se taire est la règle. Puisque rien, est la règle. Celle-ci révise ses cours, lui relit son rapport, l’autre lève les yeux au ciel cherchant un prince hypothétique, lui regarde ses pieds. Toute une humanité en marche. En transit. En absence. Les regards se cherchent pour mieux se fuir. Ne pas e voir. Ne pas se reconnaître. Comme si nous étions honteux, d’être ici, d’être ensemble, là. Celui-ci entre et débite son message à haute voix, presque dans un seul souffle, presque dans un cri. Pour s’en débarrasser, du message, de la honte, de la notre. L’autre a une guitare et des paroles de dérisions, sur sa vie, sur la notre, il fait vite pour passer ensuite dans l’autre wagon. Il a des trous dans le vacarme. Pas des silences. Des trous.
Et au plafond tous les rêves collés. Ca fait comme une pellicule de sang brun. Ca fait comme un grand chagrin. Sans forme, sans odeur, sans bruit. Quelque chose s’acharne, insiste, ponctue, scande, martèle, quelque chose bat la mesure. Presque huit jours sans écrire. Sinon des notes. Quelques mots arrachés ici ou là. Le wagon secoue les chairs, les os. Presque huit jours sans écrire. Avec du manque et de l’épuisement Pas de la souffrance. Du manque, seulement. Ma bulle résiste et ça fait comme un trouble. Une sensation étrange. Comme si je repartais de rien, et cette idée me convient. Repartir, c’est ne jamais arriver. C’est puéril. Entre deux stations. Et mon reflet dans la vitre, un reflet qui ne me dit rien. Ici ou là j’ai lu dans les blogs des désarrois d’écritures. Des blogs en suspends, certains qui reprennent, d’autres qui se posent, se reposent, d’autres encore qui voudraient arrêter. Lieu mouvant d’écriture. Lieux émouvant d’écriture. Petites maisons de douleur et de joie. Quotidien des souffrances et des espérances ponctuées par des mots, des petits paquets de mots lancés dans la mer, derrière l’écran. Expiation dérisoire. Exorcisme vain. Des mots cent fois usés, cent fois jetés. Dans la vitre il y a mon reflet, et pas de mots. Je suis dans un lieu sans parole sans langage. Sinon celui des corps muets. U espace sans issue. Même ma rêverie est plombée, noircie. Les portes s’ouvrent, il y a ceux qui descendent, et ceux qui montent. Comme dans la vie. Se croiser et ne rien dire. Surtout ne rien dire. Se croiser dans nos peurs, nos délires. Se serrer dans ce cortège d’ombres errantes. Grand écoulement d’humanité en marche vers où ? Grand flot inassouvi. Il n’y a pas de fin, dans ces faces effarées, belles ou moches, ou maquillées, ou apprêtées, ou banales. Faces posées dans le repli et la distance de ces mondes clos. Celle-là a les yeux rougis par des larmes, et ces deux là qui se bécotent, leurs bouchent qui se cherchent dans les secousses du wagon. Foule serrée, vidée. Foule sans colère, sans haine, seulement épuisée d’elle-même. Las d’elle-même. Foule serrée dans ses humeurs. Sans rage. Et sans espoir, et sans révolte. Seulement secouée en cadence, penchée du même coté du virage, cramponnée à la même barre, vidée de la même vie. Bruit des roues sur les aiguillages, qui n’aiguillent vers aucune destination, sinon celle du soir, de retour, de l’éternel retour à la même place. A la même vie.
Ses paquets sont encombrants et lui, tient bêtement son bouquet de fleurs. Mains qui se touchent et s’excusent de se toucher, corps dandinés, ballottés, regards chaussures, regards plafonds, regards fenêtres. Vies de pluies et d’imperméables. Agitation silencieuse et pressée. Aller vite, surtout vite. Les portes s’ouvrent. Courir. S’échapper vite au plus loin. Et ne jamais se retourner sur cette désespérance. Courir vers d’autres accablements, d’autres battements, d’autres affaissements. Au bout des couloirs il y a toujours des wagons qui attendent les âmes ombreuses qui embarquent comme sur la barge de Charon, sans mémoire, sans demain. Et pour ponctuer la dérision ce violon qui jouait Brahms, un solo du concerto pour violon. La musique résonnait sous la voûte des couloirs. Un morceau qui m’arrache des frissons à chaque fois que l’entends. Musique du ciel. Du ciel, je vous dis ! ! C’est un monde ou les larmes n’existent pas. Pourtant ce violon, qui parlait du ciel au fond de ces catacombes. Du ciel, je vous dis ! !
Franck