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J'irai marcher par-delà les nuages
8 février 2006

Comme le premier jour....

Il arrive un moment où c’est le bout. La fin. Même le corps ne veut plus. Elle me questionnait sur ces instants. Et ma mémoire refluait. Je voyais des images. La chambre. Et je n’arrivais pas à lui expliquer clairement. La journée où je suis mort. Depuis dimanche, j’y repense. J’essaye de retrouver la chronologie. Je ne vois que la chambre. Verte. C’est l’été. Par la fenêtre la masse de la verdure, les bois brûlants de vert. Le ciel. Bleu. Et la rivière en bas. Je l’entends à peine. C’est l’été les eaux sont basses. La fenêtre est ouverte. C’est l’été, il fait chaud. Je ne sais plus vraiment la chronologie. Trois quatre jours d’alcool absolu. Je ne me souviens que de la rage. La rage à boire. Aller au bout. Les grandes rasades de whisky bues au goulot qui arrachent une grimace à la déglutition. La brûlure de la gorge et le sang qui s’enflamme. Trois ou quatre jours impossibles. Sans chronologie. La seule compulsion du geste comme fil rouge. Et le dégoût, et la grimace, et la cigarette qui cautérise la plaie. Simplement la rage d’en finir. Deux, trois bouteilles de whisky dans la journée. Et ce train bleu de tristesse foudroyante, comme des éclairs. Je n’ai plus de pensée. Rien. Hormis des sensations, des impressions. Il n’y a pas de temps, pas d’espace. Je bois un marais amer aux herbes filandreuses. Haut-le-cœur, vomissement qui ne vomissent rient. Je revois ma main qui tient la bouteille, je dévisse le bouchon métallique du plat de l’autre main. Scansion. Répétions du geste qui tue. Stridence de la brûlure dans le sang. Jusqu’où le corps peut tenir. Trois, quatre jours. Je ne sais plus. Déjà je sens le rétrécissement. L’accélération et le rétrécissement. Chaque mouvement traverse un coton grattant, chaque regard sort d’une pâte lourde. Les jours sont une longue gorgée qui n’en finie pas. Aucune exaltation. Il n’y a plus que la rage, qui livre son dernier combat contre désespoir infini. Infini, est le mot qui convient le mieux. Sans borne. Aller au plus droit, au plus vite. Remplir au plus vite. Plein. Déborder même. Pour être sûr d’être plein. Sans vide.
Je tombe. J’ai du tomber. Je ne m’en rappelle plus. Au bout de trois ou quatre jours j’ai du tomber. Ma tante me dit que le docteur arrive. Je ne veux pas le voir. Portant il est là. Un jeune. C’est un remplaçant. Je ne le connais pas. J’ai du mal à tenir debout. Il m’entraine le long de l’étang. Il parle. J’aime sa voix. Alors j’écoute. Un peu. Je voudrais lui dire Mais qu’y a-t-il à dire ? Rien. Il faudrait tout reprendre depuis le début. Quel début ? Où ça commence tout ça ? Avant Jésus Christ ? Et puis mes jambes ne me portent plus. Il m’ausculte. Il est inquiet. Je le vois, il ne dit rien, mais il est inquiet. Il se fait aider, on me rentre à l’intérieur. Il s’agité. Je l’entends il téléphone « Hôpital… Ambulance… urgence… ». Il dit qui rappellera. Il revient me voir. Je lui dis que je ne bougerai plus d’ici. Pas d’ambulance, pas d’hôpital. Rien. Ici, simplement ici. Sur ce lit. Il est inquiet. Perfusion. Toutes les heures il revient me voir. La tension chute. Il a peur, je sens sa peur. Dans le couloir j’entends des bribes de conversations.
Je suis allongé dans la chambre verte. C’est l’été. Je ne bouge plus. Je sens le poids les couvertures sur mon corps de gisant. C’est ce moment-là que j’ai senti que ça partait. Petit à petit, quelque chose c’est mis à quitter mon corps. Plus ça quittait mon corps et plus je sentais une pesanteur. Ca ressemblait à un fluide qui quitte le corps. Les jambes, les bras, les mains, les doigts. Le bout des doigts. Surtout le bout des doigts. La vie qui fuit un corps percé. Epanchement. Ecoulement. Cela dure longtemps. Il ne sent plus mon pouls. Piqûre. Le soir tombe. La fraicheur entre dans la chambre. Et c’est la nuit. La lampe de chevet est allumée. Je sais qu’il ne faut pas que je m’endorme. Je sais que si je le fait ça sera la dernière. Ce sont des choses que l’on sait. Que le corps sait. C’est la nuit, et tout ce que j’ai de force continue de s’écouler de moi. Quelque chose de l’abandon. Ca n’en finit pas. Je ne peux faire aucun geste. La tension continue de baisser encore un peu. Je n’ai plus peur. Je suis arrivé. Le bout. Il faut simplement laisser. Laisser aller. Il revient en pleine nuit. Quelle heure est-il ? Mon endroit n’a plus besoin d’heure. Qu’importe. Il est là en pleine nuit. Il s’est assis à coté du fauteuil, près du lit. Il parle. Au début, je ne comprends pas ce qu’il dit. Sa vois est très loin. Ou c’est moi qui ne suis déjà plus ici. Où suis-je ? Dans quel pays ?
C’est l’Afrique ? Là aussi je suis allongé sur une couchette. Ca fait trois jour que je me vide. La dysenterie. Trois jours de douleur, de contraction, de spasme. Dans cette cabine, il doit faire plus de cinquante degrés. La déshydratation vient vite. La transpiration et les spasmes permanent qui vous font chier de l’eau et après, plus rien. Quand il n’y a plus rien, il n’y a plus rien. L’intérieur du corps de tord, se presse, se convulse… et rien… après c’est le sang, qui vient. Il coule le long de ma cuisse. Mopti, sur le Niger. A la période de basses eaux les grands bateaux à fond plat servent d’hôtel. La cabine est exiguë. L’air est irrespirable. Trois jours et quatre nuits de spasmes ininterrompus. Il y a un point de chaleur où l’on ne pense plus. Comme un seuil de douleur qui empêche toute réaction salutaire. On me traînera au dispensaire des pères blancs.
Là, c’est la nuit. Le jeune docteur parle au loin de ma vie. C’est un murmure. Sa voix semble traverser les siècles. Il veille un mort qu’il voudrait ressusciter. Il ne se sert que de sa voix. Et de la parole blanche. D’instinct il a choisit la parole du lait. Celle de l’aveu, celle de la prière. La parole qui s’adresse à l’absence pour révéler plus que pour manifester. C’est une voix de cierge tremblant. Une voix de catacombe. De Crypte voûtée. Voix de chair qui parle à la chair. D’ombre qui glisse sur l’ombre. Froissements du silence comme un léger éclat de lumière dans une nuit sans lune. Chemin de voix et de paroles obscures sorties du seul désir de se survivre à elle-même. Il faut imaginer… il est très près de moi. Mais sa voix, au départ vient d’un autre pays. Pourtant j’entends sa respiration. Son souffle. Ses silences. Parfois il se tait. Et c’est la nuit. Et je parts. Dans ce coton noir. Velours de ténèbres. Ce n’est qu’un son monocorde, mélopée lancinante de la voix humaine. Qui appelle. Depuis des siècles qui appelle au-delà des membranes de la mort. On n’apprend pas la voix dans les écoles de médecine. On n’apprend pas le chant de la voix sous la lampe écrasé d’une nuit d’été. Qu’apprend-t-on dans les écoles de médecine ? Non, on n’apprend pas le murmure de la vie quand il faut le mêler au souffle du mourant. Non, on n’apprend pas la flamme bleu et rouge qui colore chaque mot venu du ventre comme un râle, comme une plainte, comme une complainte obstinée, entêtante, démesurément humane et vivante. Vivante. Il faut que la voix soit faible, si faible pour passer dans les couloirs du vide, de la mort. Il faut qu’elle soit si puissante pour porter une respiration si éteinte.
Je ne dors pas. Pourtant c’est la nuit. Peut-être la dernière. Et ces morceaux de souvenirs. Le fleuve. Le Niger. La nuit du fleuve. Cette douleur qui n’en finie pas. Avec les spasmes. La nuit, je me traine à travers les coursives pour accéder au pont A l’air libre. La chaleur de ce bateau ferraille me sortir.  La nuit il semble régurgiter tous les feux du soleil. Chaleur étouffante qui surgit en bouffée d’enfer des entrailles même du bateau. La nuit je me traine sur le pont pour respirer. Je suis recroquevillé dans un coin de nuit, plié sur cette douleur, et ces contractions. Je me cache dans la nuit, tordu par des douleurs de parturiente. Je n’accouche de rien. Rien. Pourtant…

Maintenant la voix remonte le fleuve. La voix a pris le chemin du fleuve d’Afrique. La voix suit les lentes courbes du fleuve. Peu à peu j’entends la voix de la nuit qui traverse les membranes de la mort. Qui suit la veine du fleuve. Le sang du fleuve.
Il est à coté de moi et sa voix s’est accrochée à ce souvenir, et elle remonte lentement mes veines. Le fleuve de mon corps. Je sens la fraîcheur douce des eaux du fleuve prendre possession de mes chairs. Centimètre par centimètre. Et sa voix devient de plus en plus claire. Audible. Comme si le souffle du lait se transformait en eau cristalline. Avec lenteur. Ca commence par les extrémités, les bouts des doigts, les mains, les pieds, les bras, les jambes. Le fleuve de sa voix me recouvre peu à peu rendant plus pesant le poids des couvertures. Avec ce picotement d’eau claire sous la peau. Quelque chose remonte. Je le sens. Je le sang. Ca vient de sa voix et d’un souvenir d’Afrique. Ca vient du fleuve. Du grand fleuve qui traverse mon corps. De ce fleuve qui traverse tous les Sahara pour chercher l’océan. Simplement porté par la voix de ce si peu docteur.

Sous les draps, j’ai bougé.
Un peu.
Il me reprend la tension.
« Putain, elle remonte… ». C’est alors que je vois briller ses yeux. Je vois ces petites gouttes de larmes de fleuve sur le bord de ses yeux.
Les eaux remontent, comme une grande marée sortie du néant.

Je vois son sourire. Il paraît épuisé.
Qu’as-tu-dit petit docteur pendant toutes ses heures ? Qu’as-tu-dit ? Quelles sont tes incantations de sorciers ? Où es-tu allé me chercher ?
Tu as ouvert la fenêtre, la fraîcheur de la nuit d’été est rentrée dans cette chambre verte. Tu as éteins la lumière pour éviter de faire entrer les insectes. Je voyais un morceau de ciel étoilé. Etoilé. Et ce fut mon premier consentement. Il m’a dit « Dormez… maintenant. » Et j’ai dormi. Calme. Bercé simplement par un chant mystérieux. Qui avait brassé mes eaux, mes chairs.

La route fut longue. Mais elle a commencé là. Sur les contreforts de cette nuit étoilée. Avec ce premier consentement au fleuve, et à la voix insensée qui a su glisser sur ses eaux. Voix de cierge vacillant, comme le premier lait, comme le premier jour.

Franck.

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Commentaires
F
sans doute des expériences différentes, Nanou... non, pas de tunel de lumière... l'alcool m'avait épuisé... je me souviens seulement de ces instants fragiles où quelque chose en moi décidait...se laisser glisser ou pas...je crois n'avoir rien fait, rien décidé, à part avoir entendu, puis écouté cette voix, celle du toubib, comme s'il avait décidé pour moi... j'ai encore cette sensation d'être tiré, comme extirpé...<br /> Alors le fleuve de lumière...peut-être pour la prochaine fois....<br /> Merci de ton passage....
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N
Très beau texte...Sauf que tu sembles à côté de la plaque. Car personnellement je suis mort cliniquement, et ce que j'ai vu ne peut pas se raconter... MAis, tu verras, le moment venu, c'est d'une telle douceur, d'une telle beauté...On m'a ramené de force parmi vous avec des electro-chocs.Mais comme j'étais bien dans ce tullen, si près d'entrer daun fleuve de lumière liquide.
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D
Toujours difficile pour moi de m'exprimer après t'avoir lu…<br /> <br /> Une étoile présente pour ta Renaissance, quelle belle amie !<br /> <br /> Merci petite étoile de nous avoir guidé vers ce lieu de lumière<br /> Merci Franck d’éclairer ce monde de tant de sentiments, de dignité, de courage aussi, et de tellement d’amour !!<br /> Bises affectueuses
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F
Secrètement j’espérai ton commentaire, sous ce texte Fugitive. Il est là, alors ça va. Tout est bien ? Non. Non, rien est bien… le monde, toi, moi, les autres, rien de tout cela ne fonctionne. Mais ton commentaire est là. Alors pour ce soir, ça va. <br /> Ce texte est une réponse à Patricia qui m’interrogeait sur ce jour « de - ma - mort  » Et en l’écrivant je pensais à toi. <br /> Ce jour-là, cette nuit précisément, mon corps n’a pas voulu… je n’ai fait que consentir, timidement. Consentir à ne pas mourir. Mais c’était le premier pas…. <br /> Quand au désir de vivre c’est autre chose encore…je ne suis pas certain de l’avoir en permanence chevillé au corps.<br /> Dans ces régions-là, Fugitive, tu sais très bien qu’il n’y a pas de vérité, et la lucidité que l’on a sur nous-même nous piège plus encore que les mensonges. Je voudrais te dire plein de choses, très vaines, et très bêtes, mais je ne les dirais pas….<br /> La Seule voix que tu peux attendre, L’UNIQUE voix, c’est la tienne, et elle est là, c’est elle qui t’attend… et elle est belle, ta voix, pour nous qui te lisons, et qui l’entendons. Elle est triste parfois, mais toujours elle nous oblige, nous pousse, nous affermi. Ta voix t’attend, elle est patiente, alors elle t’attendra le temps qu’il faut.<br /> Il faut simplement lui dire que tu viendras….et elle te croira, puisqu’elle ne croit que toi…. Lui dire une fois, une seule fois, même tout bas, même murmuré…<br /> Consentir, Fugitive, ce n’est pas être humble, au contraire, c’est changer de planète, c’est quitter Pluton pour Mars, c’est abandonner Saturne pour Jupiter et c’est laisser tomber Neptune pour Vénus. Consentir c’est jouer sur les octaves humaines, car les octaves divines ne valent que pour les dieux. En fait c’est se rapprocher. L’orgueil, c’est bien cela qui nous fait accepter notre incomplétude. Je ne suis pas un dieu, mais je vaux autant que lui… sans quoi il ne serait rien, j’ai dans mon cœur son univers, et dans le creux de mes mains la trace de ses clous….<br /> <br /> Merci d’être passée Fugitive, et ceux qui viennent ici, et qui te lisent te savent très occupée en ce moment, bien sûr ils t’excuseront…. mieux, ils continueront à t’aimer…..<br /> Franck
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F
Je t'envie presque...<br /> En y repensant, je crois qu'il y en a eu et il y en a plein de "petits toubibs" qui tissent leur voix dans mon abyssale noirceur.<br /> Tu en fais partie. Patricia aussi. Et d'autres.<br /> Mais ça ne m'a jamais été suffisant.<br /> Cette incroyable prétention à attendre LA voix, l'UNIQUE, celle sur laquelle je m'acharne et m'entête (en bon Bélier, je sais !).<br /> <br /> Tu as su attraper l'échelle de verre, même au fond du trou.<br /> Je n'ai jamais su faire ça.<br /> Et je suis certaine que c'est une part d'orgueil, une part de déni, une part d'entêtement, une part d'infatuation qui font le quatre-quart peu goûtu de ma vie de ratée.<br /> Tu me diras... j'en ai au moins conscience !<br /> Mais la lucidité sur soi n'induit pas le désir de vivre...<br /> <br /> PS : à nos lecteurs communs, je présente mes excuses pour mon peu de réactivité à leur présence afeectueuse, publique comme privée... j'ai un peu de mal à sortir la tête de l'eau, là !<br /> Il est même probable que je m'en excuse et m'en explique publiquement (ce qui n'est pas une bonne raison mais c'est la seule que j'ai !) quand les touches de mon clavier ne me paraîtront plus des hiéroglyphes à la mâchoire garmie de dents très très pointues...
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