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J'irai marcher par-delà les nuages
16 mars 2006

Gris...Rouge....

C’est cyclique. Je reviens buter sur une parole dure, impossible, parole de pierre, de marbre froid. L’énergie manque à dire. C’est une hémorragie des forces du dire. Presque. Comme mes saignements de nez, enfant. L’énergie qui partait en fleuve rouge et chaud. Fleuve intarissable. Pourtant, là, je ne saigne plus. Depuis longtemps. Mais l’énergie s’écoule toujours emportant ma parole, mes mots, ma mémoire. Pourtant  je sais qu’il faut s’efforcer ici. Dans cet instant du plus rien. Du dégout. Suivre la ligne. La ligne imaginaire, celle qui monte et qui nous arrache du sol. Celle des promesses, des aurores. Celle qui tend vers le plus clair de notre solitude. Solitude. J’ai appris à lui donner des couleurs à celle-là. La première était grise. Grise, lorsqu’elle me mordait au ventre, lorsqu’elle m’épuisait de son brouillard vain. Gris les jours, les heures. Gris la face blafarde des autres croisés ici ou là. Gris le soleil, gris la nuit. Gris le poids qui pèse sur les paupières, sur les membres, sur le dos, sur les gestes. Gris la saveur de l’eau. Gris la rêverie qui ne sait plus où aller, qui s’écroule de son propre poids, qui fait des boucles sur elle-même, qui s’empile dans l’épaisseur du gris. Gris comme un tunnel qui n’en fini pas de traverser un monde indifférent.
Mon enfance fut grise. Quand j’y repense c’est d’abord cette couleur qui s’impose. Un long couloir d’années peint en gris. En gris fade, légèrement nauséeux. Aucune vraie couleur. Seulement quelques ombres. Mais surtout le gris.
Cendres d’enfance, cendres de solitude d’enfance. Enfance, à faire rouler des billes sur le tapis, parce que sur le carrelage ça faisait du bruit. Mais sur le tapis elles roulaient mal, les billes. Alors je les donnais, les billes. C’est bien de donner ses billes. Il y avait beaucoup de pauvreté dans ce quartier de Marseille à cette époque. J’aimais bien donner mes billes. Malgré le vent qui balayait le ciel pour éclabousser la ville de lumière comme les agates et les billes que je donnais, je n’étais que dans le gris. Toujours. Ce n’était pas une prison, le gris, parce qu’il n’y avait pas de mur. En fait, c’était pareil, sans les murs. Les murs. Mon expérience des murs s’est bornée à huit jours de cachot chez les curés, plus tard. Ils ne savaient pas que le gris je l’avais à l’intérieur. Un grand désert gris recouvrant l’intérieur des chairs. Immense, fabuleusement gris. Sauf mon sang écarlate en interminables hémorragies. J’aurais pu y rester indéfiniment dans leur putain de cachot. Au bout de huit jours ils sont venus me rechercher. Cachot, c’était le nom, en réalité une pièce fermée à clé. Petite pièce : un banc, une table en bois, et une fenêtre en hauteur. La table était gravée des noms de tous ceux qui m’avaient précédé. Ca remontait au siècle passé. Enfin, à celui d’avant. Le dix-neuvième. Je n’ai même pas inscrit le mien. Déjà la postérité ne m’intéressait pas. Ni les fausses glorioles. Et puis il aurait fallut que je l’incruste d’abord dans ma peau pour me souvenir de qui j’étais. Qui j’étais. Quoi j’étais. Bref, le gris. Les murs de ma chambre étaient gris. C’est sans doute pour cela, cette impression de gris. Parfois, au bout de l’ennui, après les billes, je faisais de la peinture. De la peinture d’enfant, sur des feuilles de papier Canson. Et je peignais des ciels. Je m’en souviens. Des ciels gris, sur une mer grise. Je ne me rappelle pas avoir peint un soleil jaune, ou bleu, ou vert. Les tubes de blancs et de noir manquaient toujours. Le rouge, le vert, le bleu, les tubes étaient toujours neuf. Moi, je faisais du gris. Comme un naufrage de cendre.

Voilà, la première couleur de ma solitude ce fut le gris.

Des trous ? J’en ai parlé, des trous. Oui, des trous il y en a eu. Mais si peu. Mais si noirs. Des spirales qui m’ont absorbé où le gris se déchirait laissant voir la faille, la déchirure, avec ce débordement de lande froide. De cendres froides. Cendres grises et froides de mon père en poussière de mort, que le vent rabat sur ma figure. Gris, le goût des cendres sur ma langue, dans ma gorge. Avec l’impossible essor de la parole. Parole grise des cendres du mort. Et toutes ces années à être gris. Ivre de l’alcool trop fort, bu trop vite. Gris d’ivresse sauvage et désespérée. Gris pour mettre des couleurs qui ne tenaient jamais, dans les aubes blafardes, délavées. Parfum maussade des matins mornes dans ces dégringolades d’arpèges sombres et moroses. La tête prise dans l’étau du néant. Ah, je peux dire que j’en ai bouffé du gris. Au sens propre et au sens défiguré. A vivre à la lumière électrique pour échapper au gris pâle des automnes, au gris sombres des hivers. Claquemuré à l’intérieur de cette épaisseur opaque où aucun chemin ne se dessine. Où tous les chemins se perdent. Œdipe aveuglé d’épaisseurs nuageuses, avec cet épuisement lent et continuel de l’hémorragie du sang dans le gris des jours. Interminable brume filandreuse et mortelle. Tellement gris qu’on en oubli les chagrins, puisque la tristesse est dans l’air qu’on respire et que les larmes restent collées aux yeux comme une buée fuligineuse. Ah oui, il a fallut en traverser de ces journées méandreuses ! A attendre ce qui ne viendra jamais. Et pourtant qui sera là. Un jour. Enfant on ne sait pas que c’est la mort qu’on attend, et plus vieux on oubli pourquoi on est là, en fait, on l’a jamais su, on ne le saura jamais. C’est pour cela qu’on saigne sans raison. Et l’énergie s’en va dans cette inondation sans fin. Dégoulinade sans saveur, sans promesse. Abandon de soi, comme ces rats gris qui quittent le navire sans attendre l’avalanche des tempêtes. Baudruche percée qui fuit, qui se vide de son rien pour n’être plus que peau de chagrin. Il a bien fallut l’user ce vide, et le rabot avait sa lame émoussée. La pellicule des jours collait à l’ennui, au gris, à la solitude. Effacement lent et taciturne du vivant. Rétraction des chairs dans un reniement de soi. Capitulation du vouloir  avant la lutte, puisqu’il n’y a pas d’ennemi. Sans élan, jamais, puisqu’il fallait se taire, ne pas rire, ne pas pleurer, puisqu’il fallait ne pas faire de bruit, et que les billes font du bruit sur le carrelage. Puisqu’il fallait rester dans cette insignifiance du gris perpétuel, dans cette discrétion qui confinait à l’absence. N’être que l’ombre. Naître sans poumons, sans respiration. Alors je me vidais de mon sang pour enlever la couleur, pour qu’il ne reste que le gris, l’informe, l’infirme. J’arpentais le silence en tout les sens pour m’y effondrer épuisé. Vidé.

Alors il faut comprendre, c’est cyclique. Je reviens buter sur une parole dure, impossible, parole de pierre, de marbre froid. L’énergie manque à dire. C’est une hémorragie des forces du dire. Et tout ce gris d’enfance m’éclate à la gueule comme un sortilège. Une malédiction. Une vielle maîtresse dont je me suis habitué aux déchéances, à la déliquescence, aux souillures. Une maîtresse aux baisers rances et corrompus qui me laisse un goût fade en arrière de l’âme. Il suffit qu’elle pose ses grosses fesses sur ma poitrine et un siècle d’enfance me remonte au gosier dans une sorte de haut le cœur. Avec cette sensation qu’aucun mot ne peut dire ce nettoyage, cette vidange de l’âme, ce temps dépeuplé de ses instants et cette usure qui continue de creuser comme si elle n’avait pas déjà atteint l’os de la vie. Comme si je n’étais pas déjà étripé.

Depuis combien d’heures je suis sur ces mots que j’arrache un à un ?  Combien de ratures, d’effacements, comme si je sarclais ma mémoire pour exorciser cette couleur grise qui n’est même pas une vraie couleur. Certains jour, comme aujourd’hui mon sang est gris couleur d’étain et mon encre est rouge comme une hémorragie.

Depuis combien d’heure j’essaye de déraciner chaque mots comme si je déterrais des morts ? Avec cette envie de tout arrêter. Et de pleurer pour me sentir encore enfant. Pour qu’il vive un peu, même maintenant, même trop tard, même si cela ne sert à rien.

Il faut que j’arrête, il faut que j’aille acheter des billes pour jouer encore une fois sur le carrelage gris, même si ça fait du bruit….même si ça fait du bruit….

Franck. 

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Commentaires
L
j'ai le sable qu'il faut, va donc chercher tes billes. nul doute qu'ainsi, les billes soient vacarme.<br /> j'ai même un bic quatre couleurs, de celui qui peint les rêves quand le gris est trop lourd...il est planqué quelque part dans un coin de ma mémoire chez feu mon grand-père...il sortait le mercredi du placard, seul jour parmi le gris hebdomadaire, où il s'essayait à quelques libertés sur mon cahier de songes d'enfant.
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L
J'ai mal là...ces mots tordent, éructent, vocifèrent, déchirent, écrasent...<br /> J'ai mal là<br /> Ces mots sont cruellement beaux de colère...<br /> J'ai mal là...à entendre ces maux, foutus mots miroir...<br /> bon sang , Franck, ce texte est terriblement beau, dans sa vérité qui nous claque à la face...<br /> je ressens tout au point d'en avoir la nausée.
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F
Je vous remercie tous de votre passage sous ce texte... Pardonnez-moi de ne pas être plus locace, il y a des jours où c'est plus difficile que d'autres....<br /> A très bientôt
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B
courage Franck! il y a tant de nuances de gris qu'un jour l'un deux te paraitra soudain plus irisé que l'autre...
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P
Tu sais moi je l'aime bien, ce texte avec qui tu t'es battu. Etonnamment tenu, vu la bagarre, et beaucoup de richesse dans l'image... Une belle tête de boxeur !
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