Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
1 décembre 2007

Les marées blanches......

Rester dans l'axe. L'axe de tension. Ne pas dévier. Se faire sourd aux rumeurs du monde. A la fois ne pas être dans le mouvement, et être dans le mouvement. Le perdu nous borde. Et le temps vieillit en nous.

C'est l'heure des marées qui montent avec leurs souffles de nuit. C'est l'heure des marées lancinantes, des marées blanches et bouillonnantes, c'est l'heure de l'eau souveraine.
Un autre mouvement.
Comme la mer.
Comme le perdu.
La mer et la perdition dans l'immense. Dans le même. Ce même jamais pareil. Du même qui se change en même. Du même qui s'enroule en vague à lame successif. L'infini ruissellement du même. Comme si la tension de se survivre était là. Dans cette répétition qui se dépasse un peu plus à chaque fois. Cette sursomption des actes et des jours, et des conséquences. Totalisation.

 

 

 

La marée n'est pas grosse, avant.
Avant, elle est une simple écume, un reste de houle. A peine l'ébauche d'une vague. Elle est un souvenir ancien qui s'est épuisé, elle est une mémoire fatigué. Au bout du rouleau.
Avant, c'est une simple écume blanche. Blanche. Pas encore une dentelle bouillonnante. Blanche. Simplement l'idée du blanc, avant qu'il soit blanc.

 

 

 

Au départ il y a tout un ciel étalé sur la mer avec les étoiles qui scintillent et qui flottent. Noces de la transparence, qui fait le blanc de l'écume, comme après la mort. Le corps saigné à blanc. Bercement infini du ciel dans les bras de la mer. Berceuse du temps qui passe « Do-din, do-dan, il est mort Bertrand, qui lo tùa c'est lo limaço, quo faï sa caisso, c'est l'homo d'aixe, son tro lou maigro, sa prièra quatre bergèra... do-din, do-dan.... » Dors petit bonhomme. Dors dans le blanc de la mère. Dors dans sa berceuse triste et blanche. Et Blanche. Comme l'écume de l'océan. Dors de ton sommeil d'écume. Dors dans le sein blanc et la parole blanche du lait. Dors dans l'écume des heures, dors. Dans le lait de la mer. Infiniment naissante, infiniment mourante. Comme la mère. Mourante et blanche. Posée comme Ophélie dans le lit blanc. Blanc de mort. Dors... Avant, elle est une simple écume. Après, c'est un tonnerre, la mer. Et qui s'offre l'abondance illimitée des possibles. Toujours identique et jamais pareil. Ne pas dévier, rester dans l'axe de la marée. Ne pas dévier de l'axe du désir. Comme lorsqu'on marche sur les eaux. Irréfutable et fragile. Comme l'enfant qui dors. Là, dans le bruit des vagues. Sur la peau blanche de la mère morte.

Je suis la source qui rêve d'océan, un océan qui s'essoufflerait à tirer ses marées. Je suis dans le mouvement de l'eau. Je flotte. Je me noie. Je dérive. Je déluge. Je cascade de mots. Je déferle. Je reflux. Je larme. Même ma terre est de l'eau. Même mon sable s'écoule. Je suis une île entouré d'îles. Je suis une eau entourée d'eau. Je vague, imprécise et confuse. Vague comme une brume lascive. Et je pluie, et j'orage, et je source. Ruisselant, coulant, ravinant. Mon univers c'est l'eau, mon ciel est d'averses, mes nuages sont gorgés de torrents de tristesses et mes jours s'évaporent comme l'eau des étangs. Je suis un océan dans l'axe de mes marées, en mon centre une source. Si mes rêves se condensent, c'est l'Amazone qui passe saturé de boues grasses et fertiles où l'opaque et l'obscur s'accouplent aux puissances invincibles du courant.
Monte ta marée, petit bonhomme. ! Une de plus. Courage ! Vas donc chercher ces rouleaux de mémoire, et déploie-les, va plus profond racler le fond de l'océan, vas, n'hésites pas, prends les plus lourds s'il le faut ! Prends les plus tristes, n'oublie pas les plus beaux ! Vas chercher ta marée dans le fond de ton ventre ! Dans le fond de son ventre. Vas ! Tu es l'infiniment vivant, l'infiniment mourant, tu es dans le bercement des mers qui se disent et se redisent jusqu'à l'ultime bord où le ciel agonise dans les flots.

Qu’y a-t-il sous les eaux des mères mourantes si ce n'est de grands pans de ciel ornés de quelques étoiles ?
Qu’y a-t-il au fond des mères si ce n'est le sommeil d'un enfant ?
Qu’y a-t-il dans mon balancement si ce n'est un appel ou un cri, le triste mouvement, infiniment vivant, infiniment mourant, infiniment pleurant dans les os de sa mère ? C'est l'heure de la marée blanche et écumante. C'est l'heure d'appeler la nuit et ses mystères, c'est l'heure de vouloir un peu plus fort, un peu plus loin. C'est l'heure blanche des marées. Blanche comme les ailes déchirées d'un grand cygne mourant. Blanche comme les flammes qui brûlent ma prière. Blanche comme l'aveu d'un aveu. Blanche comme la peau avant l'amour dans le silence à peine froissé des caresses. Blanches caresses, et lentes houle des chairs qui s'offrent au blanc du désir blanc. Montes-la ta marée ! Un peu plus de courage ! Dans chaque mouvement, c'est du temps qui déferle, dans chaque éclatement c'est l'amour qui se dresse, dans chaque écoulement c'est ton corps qui réclame, dans chaque déchaînement c'est des liens que tu brises. Et se dire, oui se dire, tout au bout, tout au bout des marées, je suis un homme vivant qui montent ses marées, infiniment vivant, infiniment mourant, et qui le soir venu, pose son front au sol et peut dormir en paix.

 

 

 

Le plus souvent nous ne parlions pas. Il y avait comme un rituel des visites dans sa chambre. Nous nous succédions. Un par un. Il y avait la chaise à coté du lit, pour ma grand-mère. Sa mère. La chaise des larmes sèches. Et puis il y avait le fauteuil, pour l'autre grand-mère. Le fauteuil des histoires. Elle disait « Maman, racontez moi une histoire.... ». Elle appelait sa belle-mère « maman ». Ca se faisait, avant. Claire savait raconter les histoires. Une conteuse sans le savoir. Claire avait la voix haut-perchée et le rire éclatant. Et le sens de la dérision, comme celui de la fatalité. L'arthrose lui avait tordu toutes les articulations, les pieds, les genoux, les hanches, les doigts. Pas le cœur. Et puis elle avait Georges, comme si sa croix n'était pas assez lourde. Georges le fantasque, l'iconoclaste, Georges le poète des arbres et des animaux. Et Claire comptait plus sur sa canne, que sur Georges. Alors le fauteuil c'était mieux pour elle. Et Claire avait toujours une anecdote à raconter, dans une auberge il se passe toujours quelque chose. Toute une humanité défile dans une auberge. Alors Claire racontait. Maman écoutait. Souvent quand elle riait cela déclenchait des quintes de toux. Heureusement elle ne riait pas souvent, sauf avec Claire. Les autres s'asseyaient sur le lit. Elle ne tenait plus beaucoup de place dans ce grand lit. Elle ne froissait même plus les draps. Elle n'avait déjà plus de pesanteur dans ce monde. Il neigeait. Dehors il neigeait. Sans joie, l'effritement lent du ciel qui arracherait ses dernières peaux. Confettis de silences glacés. Presque trop lourds au regard. Noël approchait. Il neigeait. Dans sa chambre la chaleur était étouffante. Les carreaux étaient recouverts de condensation, comme un voile de petites perles opaques et tristes. Parfois je passais ma main sur la vitre et je voyais la neige, et l'immense tilleul. Et derrière, les ronflements, les raclements de sa respiration. Je sentais son regard sur moi. Mais souvent nous ne parlions pas. Parler l'épuisait. Alors il fallait choisir les bonnes paroles à dire. Ne pas se perdre dans les détails. Pour le reste, les regards devaient suffire.
Sa main était posée sur le drap. Sa main. Ce qui reste d'une main, une fois que la chair, et le sang l'ont quitté. Ce qui reste d'os et de craquement. Avant ses mains étaient magnifique, plus jeune elle avait été manucure, et après, esthéticienne. Alors les mains, elle connaissait. L'entretient des ongles. Limage, ponçage, gommage. La petite navette de daim qui me fascinait tant enfant, et qu'elle utilisait pour faire briller les ongles. Le petit bâtonnet de bois, pour repousser les peaux, les pinces en tous genres. Les vernis, les couleurs, les odeurs d’acétone. Elle s'appliquait sur chaque doigt, à colorer, à peindre sans déborder sur la lunule. Sa main était posée sur le drap. Et je n'osais pas la prendre. Elle semblait si fragile cette main. Il fallait la pommader pour que les os ne crèvent pas la peau froissée, fripée. Et les veines gorgées d'un sang noir et lent et brûlant. Et noir. Tes pauvres mains maman. Qui ne savent même plus prier, sinon être là encore un peu. Il neigeait. Et la neige en tombant recouvrait l'immense coupole chauve de l'immense tilleul. Et notre immense tristesse. Silencieuse.

De la mort blanche qui avance à pas mesuré, certaine de sa victoire, lent traineau sur la neige. Elle a déjà pris tes mains et ton visage. Sauf tes yeux maman. Sauf tes yeux. A pas mesurés sur cette plaine blanche, ou chaque jour fait la trace plus profonde comme des veines vidées de leur sang.

Pendant nos instants, je restais assis sur le lit à coté de toi. Et nous nous regardions, vidés de nos paroles, vidés de la langue qui aurait pu les dire. Il est des pays trop froids pour que les mots adviennent, il est des heures trop fragiles pour porter la voix. Il est des instants trop blancs. Alors il restait le regard dans lequel on serrait chaque seconde comme des fruits, qui déjà, auraient donnés tous leurs jus. On était dans ce pays lisse et froid, sans borne, sans lendemain, sans attente. Sans rien. Lisse et froid, comme du métal. Quand l'attente à déjà rendu l'âme. Il neigeait maman, et cette neige nous la mangions en silence à nous en faire casser les dents. Mais en silence, puisque ce pays de la chambre où nous étions, était inhabitable.
Parfois je t'aidais à t'asseoir. Mais tu ne tenais plus. Chaque articulation semblait se disloquer, j'en profitais pour prendre tes oreillers et je tapais pour les regonfler. Et ton corps se déposait, à nouveau sur eux, sans les déformer. Et ta main d'os se posait sur ma figure, que tu touchais comme pour la reconnaître une nouvelle fois, et je sentais les tremblements de ta vie, et je sentais les tremblements de la mienne, maman. Nous n'étions rien de plus que ces tremblements. Et ces soupirs à peine soufflés, dans ce temps arraché, calciné, dévasté. Car chaque seconde nous était volé et il fallait en gagner d'autres, et il fallait en trouver d'autre pour avoir la force de trembler encore. Il neigeait, maman. Et la blancheur se dessinait sur ta peau comme en transparence. Tu étais ce vaste champ de neige au-delà de la mort. Et je voulais mourir de ta mort, aussi. Tu comprends, maman. Mourir avec toi, dans la blancheur de cette neige qui tombait comme un sacre. Le plus souvent nous ne parlions pas. Tu voulais simplement que j'approche ma tête pour que tu puisses poser tes lèvres sur mon front. Tu voulais ma chaleur, et je prenais la tienne. Combien de fois nous avons fait ces gestes pour se dire sauvé, un tout petit instant, de nos déchirements ? Ma tête bercée entre tes os, ma tête sur ta poitrine essoufflée et pantelante. Ma tête posée sur cette horreur sublime. Sur cette neige épuisée, qui n'en fini plus de tomber sur nos vies. Dans le délabrement silencieux du ciel, et de cette chambre surchauffée par la fièvre du temps dans ses ultimes bruissements. Il neigeait, et dans le grincement du parquet on entendait les clameurs d'une autre rive ou les foules vont en cortège se perdre dans les champs d'asphodèles. Chaque regard était un froissement de plus, et la pâleur des sourires disaient de long gémissements, ceux qui vont en glissant sur les étendues neigeuses, au-delà des fleuves, au-delà des déserts, bien après nos vies et nos lamentations, comme les longues supplications qui tombent dans l'oubli.

Il neigeait et nous étions dans cette intimité silencieuse et brûlante, à veiller sur nos morts inlassables, nos morts en infusion dans chaque grain de lumière, dans chaque bouffée d'air qui te manquait peu à peu. Respirer, une fois sur deux, une fois sur trois, une fois sur moi, respirer de temps en temps, de moins en moins souvent, jusqu'à très rarement, jusqu'à ces instants où le feu de tes yeux vacillait, proche du noir, avant de repartir avec l'hésitation d'un animal blessé. Les étoiles aussi, respirent mal, maman. Je le sais, je les ai vu. La nuit, on les entend hurler, on entend leurs souffles rauques, et chuintants. Respire encore, maman... encore... encore une fois.
Il neigeait, sous nos peaux, il neigeait sur cet immense tilleul aux milliers de ramures noires, noires comme un immense poumon mort, soufflant encore son sang et ce qui reste de vie dans cet instant du soir.
Il neigeait, pour adoucir la chute que fait l'âme en tombant au fond du corps. Il nous fallait aller à l'essentiel, au plus direct, bien après toutes les questions. Et rassembler le tout de la vie, en des mots de rien.
Tu aimais ma lecture, parfois hachée, des poésies que je te lisais. Et ma voix chevrotait légèrement, et tes yeux embrasait cette chambre, et cette chambre allumée jour et nuit, éclairait cet immense tilleul, et la neige qui tombait.
« Pardonne-moi... pardonne-moi mon grand... » Ce sont les derniers mots que tu m'as adressé. Et j'ai serré l'os qui caressait ma joue comme le trésor le plus fragile qui n'est jamais existé. Il faut porter le pardon des morts. C'est lourd. Mais c'est plein de lumière. C'est lourd comme la neige qui tombait et qui au loin faisait un bruit d'enfer.
Comme la neige, qui tombait.... Qui tombait... Dessinant dans la nuit, pour ton corps si étroit, un si grand escalier, qui montait... qui montait...comme la dernière prière que je n'ai pas su bien faire.... Tout là-haut... par delà les nuages....
Derrière la nuit.

 

 

 

Il faut porter le pardon des morts. Le porter en silence sous les grands tilleuls et les déposer sur la neige blanche pour que vienne le printemps.

 

 

 

Qu’y a-t-il sous les eaux des mères mourantes si ce n'est de grands pans de ciel ornés de quelques étoiles ?
Qu’y a-t-il au fond des mères si ce n'est le sommeil d'un enfant ?
Qu’y a-t-il dans mon balancement si ce n'est un appel ou un cri, le triste mouvement, infiniment vivant, infiniment mourant, infiniment pleurant dans les os de sa mère ? C'est l'heure de la marée blanche et écumante. C'est l'heure d'appeler la nuit et ses mystères, c'est l'heure de vouloir un peu plus fort, un peu plus loin. C'est l'heure blanche des marées. Blanche comme les ailes déchirées d'un grand cygne mourant. Blanche comme les flammes qui brûlent mon oraison. Blanche comme l'aveu d'un aveu. Blanche comme la peau avant l'amour dans le silence à peine froissé des caresses. Blanches caresses, et lentes houle des chairs qui s'offrent au blanc du désir blanc. Montes-la ta marée ! Un peu plus de courage ! Dans chaque mouvement, c'est du temps qui déferle, dans chaque éclatement c'est l'amour qui se dresse, dans chaque écoulement c'est ton corps qui réclame, dans chaque déchaînement c'est des liens que tu brises.

Et se dire, oui se dire, tout au bout, tout au bout des marées, je suis un homme vivant qui montent ses marées, infiniment vivant, infiniment mourant, et qui le soir venu, pose son front au sol et peut dormir en paix.

 

Franck.

Publicité
Publicité
Commentaires
J
Une fenêtre sur la vie...sur la mort...un frisson de tant d'émotions...des étoiles.... à la mère tes mots sont autant de constellations qui brouillent mes yeux de larmes...Ton texte est poignant dans sa limpidité.<br /> je t'embrasse
Répondre
S
C'est un texte impossible à commenter...<br /> Impossible l'écho, tant la vérité, l'humanité, la nudité de la plume m'arrache d'émotions.<br /> <br /> C'est un texte, pourtant, qui ranime la mort... dont la beauté nous rends, un peu moins vains.
Répondre
O
Dans chaque geste, chaque mot écrit, craché dans la vague, on se refait, on se défait. Merci pour cette évocation à la fois si trouble et si limpide.
Répondre
L
"Qu’y a-t-il au fond des mères si ce n'est le sommeil d'un enfant ?"<br /> <br /> et tant d'autres choses qui font que l'enfant élève la mère, je voulais parler de la mère qui se trouve en terre et ciel portée par son enfant.<br /> <br /> J'ai aimé te lire.
Répondre
E
Te lire ici me laisse avec le coeur chancelant et une poignée de mots suspendus entre ciel et terre. Te lire ne me rendra pas mes mots noyés dans une passion suicidaire. Mais tes mots m'accompagneront toujours sur mes nouveaux chemins de traverse.
Répondre
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
J'irai marcher par-delà les nuages
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 167 992
Catégories
Pages
Publicité