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J'irai marcher par-delà les nuages
25 novembre 2007

Les solitudes singulières.......

La solitude saharienne est singulière. Surtout au lever du jour. Le soleil monte et semble dire : « Tu devras la gagner cette journée, tu devras en sortir vainqueur ou accepter ta défaite. » Les aurores sont courtes et le soleil est dans sa simple évidence. Rien n'arrête ses rayons. Et la nuit s'efface comme si un dieu muni d'un chiffon nettoyait brutalement le ciel et la craie du matin.
Et c'est le jour.
L’incandescence.
J'ai toujours ressenti à cet instant du désert, une chute, presque un accablement. Comme si la lumière avait un poids, une épaisseur, comme si l'on trébuchait dedans. Comme une fatalité. La solitude est totale. Consistance. Elle nous désigne. Et le soleil l'éclaire encore un peu plus. Une solitude sans ombre. Solide. Crue. Nette. Incisive. Le Sahara, ce n'est pas les dunes exotiques ; dans sa grande partie, il est plat. Plat. Sans rien pour accrocher le regard. Plat. Vide. Immensément vide et plat. Une immense page blanche à écrire. Une page sans marge, sans ligne pour guider l’écriture. Avec des petits cailloux poser ici, ou là, jamais très gros. Des petits cailloux pour nous égarer un peu plus, pour nous perdre un peu plus loin.
Et les milliers de kilomètres qui nous entourent sont identiques. Le même, après le même. Le même, aplati sur du même. Le même aggravé du même. C'est un lieu sans lieu. Et le regard se gaspille sur l'horizon, il fait un tour et vous revient à l'œil. Dans l'œil. A l'intérieur de l’œil. Au fond de la tête. Dans toutes les fibres, pour faire blanchir le sang.

 

Le matin, au lever du jour, c'est là qu'il faut croire, croire intensément, comme un fou, car tout ce que l'on verra au cours de la journée est là. Quelque soit nos pas. Quelque soit la direction. Tout est là, depuis toujours.

 

Tout est là, comme après une catastrophe. Tout est posé sur la table. La vie et le désir qu’on en a. Et ce n'est pas un début. Là, dans ce plat écrasé, ce plat infini, c'est une fin renouvelée, un aboutissement. Plus exactement c'est un reste.

 

Le matin au lever du jour, on peut ressentir un accablement ou un découragement. Au sol, il n'y a pas de chemin, pas de talus, même nos pas ont du mal à froisser le sable. On est sans trace. On vient de nulle part. On ne va nulle part. On ne sait qu'être là, comme un reste, ou une méprise, ou un égarement. On ne peut que se rassembler encore plus, pour offrir le moins possible de prise au destin, aux menaces, aux heures. A la lumière. Au soleil. Et rien ne nous sépare vraiment de ses petites pierres. Rien. Et la page est trop grande, trop vide, et les livres ne s’écrivent pas dans les déserts. Aucune raison ne tient ici. Aucune intelligence, même la plus subtile, ne résiste ici. La pensée s'effrite, s'émiette comme ce sable, là, sous nos pas. Hors tout.

 

Le matin, au lever du jour, dans le Sahara africain, c'est un nouveau naufrage qu'il faudra vivre, sans noyade, sans vent, sans tempête. Mais un naufrage, avec cette peur d'étouffement par ce vide. Voilà, étouffer de vide. Trop de rien. Saturation de néant. De silence. Sourd de ne rien entendre. Car ici, les paroles sont inutiles, puisque tout a été dit, et que se taire s'est encore pouvoir résister. Un peu. Hors tout. Hors de toute signification. Et la banalité des mots est indécente, déplacée, seul l'instinct, seul l'instinct et la prière, peuvent regarder le soleil qui monte. Car il y a, dans chaque lever du jour, dans le Sahara plat, et vide, comme une impression de sacrifice, et le goût du sang colle au palais.

 

Le matin, dans le Sahara Africain, on est à l'aube du monde, sans famille, sans parents, sans amis. Ici, il n'y a pas de possibilité de racines qui plongeraient vers une mémoire profitable, il n'y a pas de ramures qui monterait au ciel, dans l'espoir de nous sauver, puisqu'ici le ciel n'existe plus, ou si peu, puisque tout est ciel, et qu'on ne redoute même plus l'enfer puisqu'on y est, noyé dans ce débordement, dans cet excès d'abandon, de distance, de manque, d'infinité. Rien, aucune image, aucun poème, aucune musique n'est secourable, rien n'interrompt ce trait strident qui perce les chair, rien ne protège, ni la lucidité, ni le rêve, rien, hormis l'hébétude et l'entêtement. Même aimer n'a plus de sens. Car ici, aimer, n'en a jamais eu. Aimer qui ? Aimer quoi ?
Car les chagrins sont morts au lever du jour, et les tumultes se calcinent, se sclérosent, et tout s'assèche, se parchemine. Au-delà de la mélancolie, au-delà des larmes et de la pitié, il y a cette étendue plate que nul vent ne traverse, qu'aucun son ne fait vibrer, qu’aucun oiseau ne traverse, seul le battement du cœur, seul le gonflement des poumons, signale ce qui nous reste de vie. Et même cela est encore de l'orgueil. Car aimer, ici, n'a plus de sens, et l'élan du sang se resserre jusqu'à n'être qu'un point perdu dans les veines, l'infime reste du passé, ou de l'espérance.

La solitude saharienne est bien singulière, comme une guerre sans ennemi. Ni le cri ne peut la dire, et la larme ne saurait où couler, tant l'étendue effare l'œil. Et l'ocre sale du sable tapisse la vue, et l'âme est lisse comme l'indifférence. Etre le grain, être poussière, être la pierre, ou le ciel, n'être rien, infiniment rien, sans peur, sans désir, n'être que le pur mouvement qui doit se survivre.
Et pas une parcelle de soi ne retient l'ombre. Que de la lumière, que de la lumière brûlante, pas un seul contre jour, pas un seul flottement de l'air, seul l'éclat brutal et sauvage du jour qui s'affirme contre votre souffle, contre votre vie.

 

Il y a dans le jour qui se lève, dans le Sahara Africain, comme un défi, et comme un déni. Ici, dans ce temps de l'aurore, aucune forme de peut naître, aucune danse ne peut s'exercer, aucun chant ne peut monter, seul l'instinct et la prière contestent l'inévitable. Seul le murmure contredit le silence, seul l'acquiescement rassemble assez de force pour conserver le vertical besoin d'exister.
Et renouveler le pacte tacite du sixième jour.
Le consentement.

 

Il y a, dans le jour qui se lève, dans le Sahara Africain, un enjeu qui concerne la grâce, l'extraordinaire puissance de la grâce, celle qui épuise tout, qui précipite tout, la chair et le sang, et qui terrasse et ruine tout orgueil et toute vanité. Ici, et seulement ici, chaque être est au-delà du péché.

Les solitudes sahariennes sont bien singulières, car ce qui sauve le jour c'est le crépuscule, et ce qui le sacre, c'est la nuit. Si la constance et l'obstination vous soutiennent jusqu'au bout du soleil, jusqu'au bout de l'immensité plate et vide, alors le crépuscule vous guidera vers la nuit.
Car ici, c'est la nuit qui délivre, qui défend, et souvent guérit.
Car ici, la nuit renouvèle la confiance. Elle est révélation, et vérité.
Car c'est la nuit, et la nuit seulement, une fois que le jour est vaincu, que l'œil et l'âme se reposent du vide et du néant. La nuit du désert est une nuit vivante, elle est à taille humaine, à la taille des rêves. Elle est la certitude.
La nuit dans le Sahara Africain, il y a comme une bataille gagnée, et le sang peut battre à nouveau.

 

Dans les nuits du déserts il n'y a pas de fantôme, pas de spectre pour nous hanter, et les étoiles sont là, et chacune est un mot qui n'a pas été dit, est chacune est une femme aimée, et chacune bat la mesure du temps, et chacune est prière exhaussée, promesse à venir.
Dans les nuits du désert les puits sahariens épellent leurs noms, ils mêlent leurs voix à celles des étoiles filantes.
La nuit, dans la lente respiration du ciel, le regard enfin borné par la multitude innombrable des astres tremblants, on peut enfin pleurer et vivre, et même mourir devient possible.

La nuit est là, ardente, presque blanche, elle est belle, et franche, et charitable, comme une miséricorde. Et c'est enfin le temps du chant, fragile, et invincible...
Les solitudes sahariennes sont singulières...

Ainsi de l'écriture et de sa solitude comme seule maison.
Ainsi de l’écriture et de sa nuit comme seul chemin.
Franck

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Commentaires
P
Il y a, dans ce "journal de voyage", des moments d'une puissance et d'une beauté rare. Et toujours ce désir en vous d'épuiser les innombrables et intangibles splendeurs du silence, d'explorer ces interstices ou parfois la grâce s'immisce. Un texte qui rassemble les forces de l'esprit dans la densité de la matière.
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S
L’instant du désert est là, tout entier étendu, immortalisé de tout son corps dans tes mots. Dans la lumière des dunes, ce sont nos solitudes auxquelles tu rends si humblement hommage… <br /> ce sont nos isolements, <br /> la petitesse d’ombres perdues dans le désert.<br /> <br /> J’aime infiniment ce texte, Franck.
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M
Ton très beau texte me fait penser à un petit bouquin, je ne sais pas si tu connais : <br /> Franck Dannemark, La nuit est la dernière image.
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C
Ce vide qui vient d'entrer par mes yeux et se planter dans mon Oeil, c'est comme un gigantesque appel d'air du ciel à la terre. Ce vide-là à quelque chose qui élève et qui brûle. C'est un vide qui nous fait entier, vivant. Terriblement vivant. Nu, aussi.
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