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J'irai marcher par-delà les nuages
11 janvier 2008

Traverser l'heure......

C'est l'heure du myosotis et du bouton d'or, l'heure du chèvrefeuille et des langueurs du canal qui se faufile lentement dans les dernières heures du jour. Les bras des dieux pressent les restes de pulpes de la journée. Pressent l'orange du soleil dans cette rumeur de bleu, et le gémissement des fleurs qui s'étirent dans leurs ultimes exhalaisons. Et ce canal oublié, sans bateau, ce canal nu, dépeuplé, ce canal devenu inutile et beau, comme si sa beauté calme et tranquille n'était venue que bien après le départ des hommes et des bateaux. Etrange destin que celui des ouvrages humains quand ceux-ci s'affranchissent des volontés qui les ont crée. Désormais impraticable il a gagné en perfection ce qu'il a perdu en utilité. Alors ce sont les eaux myosotis, bouton d'or, chèvrefeuille qui s'allongent dans le soir étrennant les premières ombres et les premières senteurs d'étoiles. C'est l'heure où l'on est dans la plus grande distance de soi et pourtant au plus près, l'heure des louanges, l'heure des condensations, des allongements de l'âme. Marcher sur les bords du canal, à cette heure, c'est marcher avec application, presque avec précaution à la rencontre du rêve, en fouillant le silence, en le ciselant, en se laissant étourdir d'une réconciliation de l'espace et du temps, certes éphémère, mais essentielle. A l'endroit du coude le canal s'élargit, et juste là, sur la berge, une vieille chapelle, à l'angle des eaux, comme si celles-ci avaient fait un détour exprès. Simplement pour passer sous les vitraux pour les saluer et mélanger un court instant leurs ruissellements.
Instants du soir et des terres promises et du myosotis, du bouton d'or et du chèvrefeuille. L'heure où penser ne suffit pas puisque c'est le temps des constellations naissantes, c'est le temps de la voix, du murmure, de l'appel, où la lumière déboutonne peu à peu ses gloires. Les pensées se défont, se brisent, les raisonnements se cassent pour libérer enfin l'esprit, le désenvoûter de sa propre fascination. Alors marcher dans la délicatesse de cette suspension à fleur d'eau comme si c'était la première fois, ou comme si c'était la dernière. Ou alors la seule. Marcher dans cette lenteur sereine et attentive, comme lorsqu'on marche dans un livre pas à pas, page après page, cueillant et respirant chaque mots, et n'être que ce pas abandonné à lui-même, sans direction, hormis la fin des temps et l'effusion de phosphorescence qui l'accompagne. Marcher dans cette lenteur c'est marcher vers son amour avec élégance et pudeur, c'est passer entre les couleurs du soir et les reflets du canal sans défier le silence et le bouleversement des arômes. C'est accepter l'oubli et les brûlures de la mémoire et tenter d'agrandir l'espace entre la chair et l'os et faire entrer en soi l'immense par la porte du grave et du léger et du vulnérable et de l'infime. C'est déployer son corps dans le seul intervalle possible ou la danse et le chant peuvent surgir. Salut des heures pauvres, soulagement des douleurs dans cette convalescence du jour où le miracle s'insinue dans le tremblement des arbres, où la joie prend la forme d'une cabriole d'hirondelle dans un chahut de bleu volubile et une confusion de rouges exubérants. Il y a dans ce jour qui meurt la puissance d'un accroissement, une aggravation d'espérance qui s'appui sur l'engourdissement des eaux et sur l'effleurement des mains qui se joignent entrecroisant nos silences, comme le froissement des ajoncs pour appeler les dernières libellules, comme cette marche qui assemble le jour à la nuit, qui passe du clair au mystère, du chaud au fervent, du brûlant à l'intense.
C'est l'heure du myosotis et du bouton d'or, l'heure du chèvrefeuille et des langueurs du canal qui se faufile lentement dans les dernières heures du jour. C'est l'heure secourable, l'escale, l'heure rouge et violette, l'heure safran où les corps s'accoutument à leurs exactitudes, à cette verticalité qui les devance, devinant déjà les caresses, appelant déjà les saisissements, les exaltations. Mais c'est l'instant d'avant, celui qui prépare son élan, celui qui contient, celui qui rassemble, celui qui épouse, celui qui arrondi les minutes et qui aiguise chaque seconde. C'est un temps qui précède, c'est la marche lente et mesurée avant l'offrande des chairs, avant les fièvres lunaires.

Il faut traverser l'heure myosotis et en sortir vainqueur, et assez nu pour aborder sans crainte la convulsion des corps.

Il faut traverser l'heure bouton d'or sans remord pour atteindre l'orée d’un désir sans effroi.

Il faut traverser l'heure chèvrefeuille sans espoir pour inventer le geste unique qui enchevêtrera et ton souffle et mon souffle, et ton ventre et mon ventre, et ta voix et ma voix, et ta nuit et ma nuit...

Franck

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Commentaires
J
Il y a tant de pudeur dans l'offrande de la nature<br /> tant de réserve dans d'ardentes couleurs <br /> tant de fièvre sur le pistil des fleurs <br /> tant de notes envolées au pincement du coeur <br /> le jour cueille la nuit sur de tendres épousailles et cette image est belle du chevrefeuille étreignant le myosotis ....<br /> Je rejoins la pensée de Chris qui pense à un tableau de Monet ...C'est parfaitement ressenti et je suis vraiment troublée en revoyant son tableau du "Pont japonais sur le bassin aux nymphéas à Giverny"... Ton texte est déjà "impressionniste"...et quelle belle peinture !
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C
Oui, mais les couleurs évoquent aussi immanquablement des odeurs (enfin, je dis, j'affirme, mais ce n'est peut-être pas le cas de tout le monde?). Pour ça que je parle de synesthésie, c'est très intéressant cette capacité de "sentir" un mot, une couleur, un son. <br /> <br /> Dans ton texte en plus des couleurs, il y a la fluidité, l'eau. Donc, Monet forcément et les Impressionnistes bien sûr. La "Danaé" de Klimt, voire. Les motifs de ce peintre font penser à des algues multicolores, baroques.
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F
C'est très drôle Chris que tu évoques Monet... pour ce texte, j'avais dans la tête, en l'écrivant, une sorte de tableau impressionniste.Des couleurs, des couleurs.... des couleurs qui donnent le sens. Au bout du sens : une lumière, peut-être, une lumière dans un mouvement ample...
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F
Merci Sonya....
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C
Marcher vers son amour avec élégance et pudeur. Avec élégance et pudeur. Deux qualités que l'on ne croise plus guère, à part chez toi. <br /> <br /> Je ne sais pas pourquoi, ce texte m'évoque les Nymphéas de Monet. La profusion de couleurs sans doute, le mouvement ondulatoire lent. La sensation étrangement odoriférante, aqueuse et végétale que laisse certaines images.
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