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J'irai marcher par-delà les nuages
21 novembre 2009

La pierre.....

Je sais que c'est là, maintenant, qu'il faut que je m'arc-boute à l'écriture, que j'y applique mon corps tout entier, comme pour soutenir une falaise. Ou la faire sortir de ma poitrine.
Je sais que c'est là, maintenant que commence le temps de la pierre.
Le geste réclame la résistance. La rugosité. Se défaire de l'orgueil et de la prétention.
La pierre dans son silence immobile dicte sa leçon.
Briser le premier élan sur la roche. Et revenir, plus lentement. Être défait de cet élan du début. Le premier lait, tout en promesse, mais qui ne tient pas au corps.
Revenir au geste pur. L'épuiser de ce qui le déborde.

Faire monter dans le ventre, dans la poitrine, chaque mot, un à un, et les poser sur la pierre pour en éprouver, l'audace, le sens et la couleur. Et refaire, sans cesse. Sans exaltation.
D'abord trouver sa place dans le mot, au lieu de lui faire jouer un rôle.
Il n'y aura pas de réponse. Il n'y a jamais de réponse. Aurais-je le courage de maintenir la question ? Sans faiblir. Sans dévier. Et accueillir la trajectoire nouvelle, et le mouvement, que cette tension sans conflit fera naître.
C'est le temps de la pierre. Je la pose au centre de mon grand champ de neige. Et la forme du texte doit naître de cette absence de forme. Le mouvement juste sera sa propre fin, sont propre accomplissement.
Le sens est une question secondaire. Au mieux il est un surcroît. Le sens s'oppose aux rythmes, aux couleurs, à toutes les sensualités furtives et surgissantes qu'un geste dénudé d'intention préalable inspire ou provoque. Désarmer les forces pour leur rendre leurs puissances initiales. Préférer l'étonnement à la surprise. Le texte doit être traversé d'une forme simple et pure.  Une ligne, un cercle, l'arabesque du vent. Faire son profit du vol des oiseaux ou de la ligne d'horizon. Observer longuement, la montagne, l'arbre, la fleur, le printemps. Le texte n'est qu'un échange. Ce n'est pas moi qui évoque l'arbre, mais l'arbre en moi qui parle. J'ai un océan en moi, sa voix est bien plus intéressante que toutes mes raisons ou déraison. Si tu veux tracer un cercle, regarde la vague et son mouvement, regarde-la se creuser, se rétracter, regarde-la aspirer l'air et déployer sa puissance dans ce mouvement d'enroulement. Inspiration, expiration. Respiration du cercle. Ligne pénétrée d'un souffle. Et l'océan recommence indéfiniment, comme pour parfaire sa nature d'océan.
Il y a dans la constance un défi serein fait à la mort.
Il y a dans l'effacement de soi une renaissance possible.
Il y a dans la prière assez d'abandon pour faire jaillir une source.
Il y a dans l'amour tous les printemps et leurs cerisiers en fleurs.
Il y a dans la solitude une humanité à sauver.

 

 

 

Il y a dans cette pierre la patience d'une étoile.
Et la bonté fervente d'un silence.

Franck

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Commentaires
P
Revenir après une longue absence aux pays visités, connus, aimés, de votre écriture, et instantanément retrouver la même magie, la même splendeur intacte. Un texte qui affûte le regard, pierre à aiguiser la mémoire …
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L
Je pense à ce livre que j'ai lu il y a trés peu de temps qui est un bijou "Pierre de Patience"
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U
J'accueille dans ta marche l'univers entier, toutes ses saveurs et ses émotions, ses volontés et ses doutes, le début et la fin. <br /> J'accueille dans ta marche un parfum d'enfance, une humilité, un trésor... merci.
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S
"C'est comme une figure qu'il ne voit pas, qui manque parce qu'elle est là, ayant tous les traits d'une figure qui ne se figurerait pas et avec laquelle l'incessant défaut de rapport, sans présence, sans absence, est le signe d'une commune solitude. Il la nomme, sachant bien qu'elle n'a pas de nom même dans sa langue, ce battement d'un coeur hésitant. Ils ne vivent ni l'un ni l'autre, la vie passe entre eux, les laissant au bord de l'espace.<br /> A bout de mots au milieu des mots."<br /> <br /> Maurice Blanchot, Le pas au-delà.
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B
Ton écriture est un vrai plaisir à vivre.<br /> <br /> « L'épuiser de ce qui le déborde… » <br /> « Et la forme du texte doit naître de cette absence de forme. »<br /> « Il y a dans la solitude une humanité à sauver. »<br /> <br /> Merci.
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