Longue marche...
Je n’ai pas de peuple, pas de terre, à peine quelques morts. Je viens d’une cicatrice.
Je n’ai pas de tribu, pas de village, je ne fais que traverser. Anonyme. Inconnu à moi-même. Inexplicable. Je ne viens d’aucun ventre. Je suis sorti d’un cri à l’approche du crépuscule. D’une plainte. Ma seule roulotte, c’est la langue et quelques mots pour tracer un chemin autour de flaques sombres. Je viens d’avant, maintenant je vais vers toi. Aveugle comme Œdipe, les mains salies par le sang, mais les mains tendues vers toi. Tu le sais, je n’ai pas de royaume. Je n’ai que ce chemin, mes hésitations, mes maladresses, mes inquiétudes, mais je vais vers toi. Je suis en route bien avant que tu le saches. Il y a dans les étoiles un savoir qui nous devance. Les évidences sont inscrites sur le marbre des Tables de la loi. Et même les dieux n’ont pu effacer nos deux noms.
L’écriture est ma canne blanche. Elle tinte à chaque pierre du chemin. Je te sais mieux que moi. Je te sais mieux que tout. Car mon aveuglement me protège. Car ta voix me fait une aurore.
Te rejoindre est l’histoire de ma vie. Je l’ai su dans tes yeux, bien avant toi. J’étais l’aveugle. Tu étais la voix. Nous serons navire.
Il m’a fallu du temps pour me dépeupler, il m’a fallu du temps pour cet exil sacré, il m’a fallu du temps pour cette solitude souveraine, n’être qu’une errance. Il m’a fallu du temps pour tout oublier, n’être que cet étranger les mains tendues, il m’a fallu traverser tant de rêves. Je ne viens d’aucun ventre, je vais seulement vers le tien. Oui, je suis de ton ventre, de ta peau, demain je serai de ton souffle. Demain, je serai de ton chant.
Je suis sorti d’un cri, je n’ai pas de peuple, pas de terre, mais ton océan m’habite, je vais vers tes marées de silence, sans crainte désormais. Demain, tu seras mon oraison.
Tu sais, il est des pays où ressusciter n’a pas de sens. Dans tes yeux je suis vivant, dans ta voix je suis immortel.
Je viens d’avant, comme un vagabond, sans tribu, sans village, riche de sa poussière, du désordre des étoiles. Je viens d’avant, maintenant je vais vers toi, à pas lent, frottant ma vie aux heures. Écrire est ma seule patrie, tu es mon unique privilège. Tu viens de demain et je suis tes empreintes. Depuis toi, je suis sans sommeil, je n’ai plus besoin d’autres rêves, puisque tu m’as retrouvé, que tu laisses tes traces dans chacune de mes nuits.
Tu le sais, je n’ai pas de royaume, désormais, à partir de toi, il n’y a qu’exactitude.
L’exactitude des diamants.
L’exactitude du silence.
L’exactitude du baiser.
Sous tes doigts mon cri changera d’âme.
Franck.