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J'irai marcher par-delà les nuages
15 novembre 2020

La question des corps dans le corps…

Il y avait cette question du corps. Non pas de la chair, mais du corps. L’enveloppe, la surface, la frontière. Le mouvement. Puis les mots comme une peau. L’écriture trace une forme mystérieuse. Un corps. Une écorce de cicatrice. Ils sont l’écrin dans lequel la vie tente de résister. Entre souffle, et étouffement.

Je regarde ma main, là, avec l’écran où les mots s’alignent. Une vision incongrue. L’écriture définit un autre corps, une autre peau. Ma main dans le corps du texte. Une autre main. À la surface de ma peau, il existe comme un pli, comme si la lumière se repliait sur elle-même. L’écriture trace un autre corps, d’autres formes qu’il faudrait habiter. Comme si l’enjeu était là. Dans cette distorsion des formes, des corps. Cet effort pour tenter de les faire coïncider. La voix invente un souffle, une autre respiration, un autre ventre. La voix du texte ne s’entend pas avec l’oreille, mais avec les yeux de l’autre. Le corps du texte habite une autre solitude.
Écrire est ce lent travail du feu pour décoller l’enveloppe. Un équarrissage minutieux. Le dépeçage d’un cadavre. Écrire, c’est dessiner les contours d’une ile inconnue, c’est trouer l’océan.
En fait, écrire, c’est quitter l’ile, quitter les contours définis de l’ile. C’est être du côté des eaux, avec le trou de l’ile en plein cœur. Puis le vent dans l’écume. Le scintillement dans l’éternel mouvement. Écrire, c’est cracher sur sa vie, avec dans sa bouche une peinture arc-en-ciel, comme le sauvage dans sa grotte qui crachait sur sa main appuyée sur le mur, pour en inventer la forme. Le contour de sa vie. Comme pour nous dire que tout arrive à cette jonction du dehors avec le dedans. Comme pour nous dire l’océan troué par sa main, par son souffle, par sa salive. La main en pochoir devient le premier poème, né du souffle et du crachat. De la déchirure des formes. De leur débordement.
Le texte est un au-delà de la peau, il en est le contour extérieur. Le pays au-delà du pays.
À la frontière, c’est la guerre. Les chairs poussent ou se rétractent. Le sang bat ou s’assèche. Les os craquent.
Les territoires de mon corps se déforment au gré de mes défaites ou de mes conquêtes. Plus souvent, de mes défaites, . Protée insaisissable. La peau se casse, se déchire. À la frontière, c’est la guerre du silence et de l’obscure.
Le texte n’invente pas de nation, il invente simplement des terres inconnues vouées à l’amour ou à l’abandon. Des pays sans nom.
L’écriture définit un autre corps, une autre peau. Ta main posée sur le corps du texte. Ta main, à la surface de ma peau, comme si ta lumière se repliait sur l’ombre que je te tends. L’écriture dessine Ton corps, et les formes s’ajoutent aux formes. Le texte invente des terres, les seules qui nous réunissent. Le texte invente le lieu où nous nous aimons, ce continent d’ivresse pure où nous n’irons jamais, puisqu’il brule, là, dans l’incendie, dans l’instant de le dire, avec les mots qui en sont la cendre. Le texte est le lieu où nous nous aimons, où la peau la plus fine se pose sur la peau la plus fine. Écrire, c’est inventer un continent disparu. Où Tu habites. Où j’habite. Où nos corps s’additionnent dans les angles des mots. Dans le cri.
Un souvenir qui s’invente. C’est un peu comme un feu. La flamme d’un feu. Naitre de sa propre disparition.
Le livre en est le chemin. Les rêves sont les fleurs de talus qui le bordent.
Ton souffle suffira pour l’éterniser.

Franck.

« La tête d’Orphée. – Où est mon corps ?
Eurydice. – Près de moi. Contre moi. Maintenant, tu ne peux plus me voir, et j’ai la permission de t’emmener.
La tête d’Orphée. — Et ma tête, Eurydice… ma tête… où ai-je mis ma tête ?
Eurydice. — Laisse, mon amour, ne t’occupe plus de ta tête… »

Le texte en italique est de Jean Cocteau : Orphée.

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