Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
23 mai 2021

Transitoire…

 

Depuis des jours, je cherchais le mot qui dit ce rapport au silence. J’invente des silences transitoires. Transitoire, c’est le mot que je cherchais. Avec l’idée d’un passage, d’une coupure et d’un passage. D’un changement de rive. De l’extérieur à l’intérieur. Silence contre silence. Silence du monde contre silence de l’âme.
Je passe d’un silence à l’autre. J’arpente. Le silence est la seule musique de l’errance. Car elle n’a pas de lieu, pas de son, pas de nom. Pas de route. Pas de fin.
Écrire est une tentation pour briser les chaines bruyantes du monde. Mais écrire échoue à ce vouloir. Mais écrire le sait. L’écriture est le produit de cette première mise en échec. De ce premier ratage. C’est une tragédie. L’écriture, c’est d’abord le chant de cette tragédie. La geste. L’odyssée. La tentation de relier la voix au silence.
Au tout début, dans le jardin d’Éden, les sons et les silences étaient réunis, ils ne faisaient qu’un. Qu’un seul mouvement. Comme un soleil. Chaque bruit portait en lui sa part de silence, chaque silence trouvait avec aisance son harmonie. Puis Dieu nous chassa. Dieu brisa l’alliance, il sépara les sons des silences, comme si brusquement il créait deux univers impossibles, comme s’il ouvrait en deux un fruit juteux, avec les chairs à vif et le sang qui s’échappe. Blessure inguérissable. Alors, depuis la nuit des temps, il manque un son à nos silences, il manque un silence à nos rumeurs. Il manque un souffle à notre vie, un horizon à nos rêveries. Un sourire à nos soupirs. Une bonté à nos désirs.
Cette séparation fut la signature du manque. Le manque fut la signature de nos vies. L’incomplétude.
Nous reconnaissons dans l’Autre cette part de silence ou ce timbre, cette tonalité. L’accord. Nous lui implorons ce tumulte qui fécondera notre silence.
Je passe d’un silence à l’autre. Toujours en retard d’une harmonie. Transitoire. Avec l’idée d’un passage, d’une coupure. D’un changement de rive.
Mais je ne suis pas d’une rive, je suis d’une traversée. Écrire reste ce voyage. Je ne suis d’aucun port, d’aucun aboutissement. Je ne suis que navire. Je ne vis que de vent, d’horizon, que d’écume et de sel. Je ne connais la route que la nuit, en suivant les étoiles.
L’écriture nait de la confrontation d’un vacarme et d’un silence. L’écriture nait dans ce frottement. L’inscription silencieuse de la voix. C’est une lutte, comme la vie et la mort. J’écris en silence, dans un monde bruyant. Me taire dans les bruits de la ville. Me taire au milieu de ces grognements, de ces rumeurs, de ces vociférations. Écrire là, dans cette opposition, dans ce contraste, qui révèle le lieu de la charnière, ma jointure au monde. Mon inconciliance. Être là, mais s’absenter. L’écriture nait de mon silence, du vacarme qui l’entoure, de ma solitude et de l’agitation autour. Car mon absence n’est pas un retrait, c’est une sorte de réfutation, de contestation. Une façon de lutter contre l’écrasement. Imposer, même modestement, mon taire au monde. Peut-être un refus aussi. Ou simplement la marque de l’impossible.
Je passe d’un silence à un autre. Car mes silences sont transitoires.
Un jour, le silence sera complet, le monde et l’âme se tairont. Silence avec silence. Ce sera le temps de la contemplation. Le temps dépouillé. Illimité. Les rives seront débordées. Il n’y aura ni livre, ni mot, ni geste, simplement le monde avec le souffle. Il n’y aura plus d’écriture puisque tout sera dit dans la présence et dans l’instant. Il n’y aura que le monde, et cette étonnante brulure. L’inverse de la mort.
On reconnait la mort à son vacarme, à son impossibilité d’accueillir le silence, d’en faire l’offrande gracieuse. L’accord des silences est le don ultime du vivant au vivant.

Franck.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
J'irai marcher par-delà les nuages
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 167 995
Catégories
Pages
Publicité