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J'irai marcher par-delà les nuages
30 mai 2005

Trois petites photos....

Hier, en répondant à Coumarine, m’est revenu le souvenir d’Isabelle, de son corps, de sa peau blanche, de ses yeux. Et de ses belles années, que nous avons partagées. Te souviens-tu de notre étonnante petite maison posée au milieu des champs ? Moi, le citadin transformé en homme des champs.
J’ai envie de lui écrire, ce n’est pas nouveau, régulièrement cette envie ressurgit. D’ailleurs il y quelques semaines j’avais retrouvé trois petites photos d’elle. Je les ai d’ailleurs toujours posées là, à coté de l’écran. Je n’ai plus son adresse, mais je pourrais toujours faire passer mon courrier par ses parents.

"Isabelle,

Cela fait longtemps que l’idée de t’écrire me travaille. D’ailleurs je ne sais même pas si cette lettre pourra te parvenir.
Les saisons passent, mais dans le tamis du temps il reste parfois de gros morceaux de vie qui ne pourront passer au travers de la grille. A bien y regarder c’est notre trésor. On remue de temps à autre ces petites pierres de passé, les unes ont perdu leurs éclats, les autres, par miracle, brillent d’une étonnante lumière.

Le souvenir est une mer immense dont on n'épuise jamais le mouvement, ni l'espace, ni la profondeur. Il nous réserve toujours des surprises qui sont comme des retrouvailles ou comme ces bouteilles jetées au hasard des destins et qui viennent en silence s'échouer à nos pieds.

L’autre jour, je fouillais dans quelques vieux papiers… je suis tombé sur des petites photos, des photos d’identités. Trois. Trois photos de toi, je ne pensais pas en avoir. Un grand vent chaud est passé. Il y avait le silence et ce vent de mémoire qui soufflait du plus profond de mes souvenirs. Sur la première tu semblais effarée, des photos prises sûrement dans l’urgence. Coiffure un peu défaite, sourire à peine marqué. Tu n’y es presque pas reconnaissable. Les deux autres ont du être faites bien avant que l’on se rencontre, toutes deux viennent d’une même série, même coiffure, même veste. Sur l’une d’entre elle il y a encore une agrafe, tu l’avais sans doute choisi pour une quelconque carte d’étudiante, parce que tu y souriais. Ces deux photos sont belles, tu y es comme dans mes souvenirs. Douce et perdue. Sérieuse ? Non, grave ; même sur celle où tu souris, on perçoit au fond du regard une certaine gravité. Belle et grave, avec ce léger voile ombreux placé juste devant tes yeux, l’ombre de l’ange qui t’accompagnait à chaque instant du jour. Tu sais cet ange qui te donnait cette grâce. Ange facétieux et tourmenteur, ange étourdi, nonchalant, ange qui se jouait de la lumière et des mots, ange aux ailes fragiles, ange timide, inquiet.

Trois petites photos, tout ce qui subsiste. Le reste ? des souvenirs qui se faufilent dans les méandres de la mémoire, des souvenirs comme les champs négligés d’un pays brûlé, et pourtant ces souvenirs ne se diluent pas tout à fait, quelque chose en eux résistent, comme ces trois petites photos.
Je viens de leurs donner un nom à chacune : douceur, bonté, générosité, trois noms pour dire la même chose, trois noms pour dire la lumière, pour dire la couleur des jours, trois pétales d’une fleur précieuse, trois silences posés sur le bord d’une source d’eau claire.

Où es-tu maintenant ? Que fais-tu ? Mariée ? Des enfants ? J’essaie de t’imaginer. Difficile.

Ce matin j’ai dit ton nom et l’encre des mots est venue se déposer ici, comme des oiseaux sortis de l’oubli, des oiseaux qui auraient traversé l’oubli pour faire trembler le blanc de la page.

Es-tu devenue cette femme d’une folie accomplie et rayonnante ?

Ce matin, entre les lignes, dans le creux des mots ta voix me revient…
Grave, sourde, pas une voix de bouche, mais une voix de corps, une voix de nuit chargée d’ombres avec des mots de lumières.
Voix venue du silence, dépouillée, nue, lourde de son urgence, lourde comme gorgée de vie, lourde d’un feu primordial.
Voix propulsée pour se survivre, souffle d’hiver qui appelle la neige, souffle du vent sur la lande.
Pure tension d’absolu, prière vibrante au-delà du murmure, au-delà des couleurs.
Ardeur radieuse, voix de l’amour qui invente l’amour.
Et puis ton regard. Là. Maintenant. Ton regard, captant le bleu au-delà du bleu du ciel, toujours en avance d’une vision. Regard d’abondance. Regard étincelant de fleurs incendiées.
Comment tant de force sans l’ombre d’une violence ? Comment tant de pouvoir sans l’once d’un mépris ?
Tes yeux m’évoquaient des terres brûlées de solitude. Dans une fixité irréelle des lacs de montagne ils me racontaient l’enfance qui s’entête pour ne renoncer à aucun de ses rêves. Ils désignaient cette parcelle de vérité faite d’invisible et de douleur, de véhémence et de piété.
Regard d’étoiles qui consumait mes peurs ; ouvrant l’espace il m’atteignait à la place la plus vulnérable, il aurait pu m’anéantir pourtant il me retenait dans sa flamme en déposant sur mon cœur la poussière d’or d’un ange.
Et ton corps si timide, qui aimait parfois se monter si impudique. Tu aimais passer nue d’une pièce à l’autre, d’un monde à l’autre. Je regardais ta chair déshabillée traverser avec une si belle aisance l’ombre et la lumière, et tu ne manquais jamais de venir me frôler pour déposer un baiser sur ma joue. Cette nudité n’était jamais neutre, au contraire, elle était gorgée de désir. Insouciante et gorgée de désirs. Sans jamais être lascive ou provocante. Non, ton corps nu était léger, il appelait les frôlements prudents et tendres. Tu n’étais pas à prendre, mais à recueillir, comme l’eau de la source. Tu fermais les yeux et ta chair se déployait comme une fleur, avec douceur et avec juste cette petite pointe d’entêtement enfantin qui me désarmait tant. Combien d’heures avons-nous passées dans le silence de notre chambre, mes mains courrant lentement sur ta peau, attentives à tes tremblements, ce n’étaient plus des caresses mais presque des prières. Moments emprunt d’une étrange lenteur comme si nous avions passé le pacte secret d’appeler la fièvre en l’apprivoisant degré par degré, soupir par soupir, pour que l’orage soit plus éblouissant, plus définitif, comme si nous avions décidés de parcourir ensemble cette immense plaine de douceur et cette lande de bruyère avant de consentir au feu et à la lutte amoureuse. Ces instants là me sont précieux, aussi précieux que ces trois petites photos posées sur mon bureau.

…………."

Je ne sais plus quoi lui dire, quoi lui demander. Et maintenant le doute me prend. Elle est certainement mariée. Et cette lettre, ne servira à rien. Décidément, jamais cette lettre ne partira. C’est mieux ainsi, sans doute. Même les mots les plus doux peuvent devenir de vrais poisons. Comme les souvenirs.

Franck.

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Commentaires
C
..Qu'il y a aussi ce côté sombre, presque noir dans le romantisme. Un goût d'absolu parfois jusqu'au morbide, à l'auto-destruction, de soi de l'autre. On sent cela très fort chez Musset, c'est peut-être pour cela que sa poèsie ( que certains trouvent "mièvre") me touche autant. Il a cette force cannibale d'amour, capable de dévorer mais capable aussi de laisser l'autre libre au prix de ses peurs infinies d'abandon, de son propre déchirement. Pourtant ce côté noir teinté de rouge violent fait aussi partie de moi, et je ne le renie pas. Je l'accepte, le cajole même parfois, pour tenter de le dompter un peu...<br /> <br /> Vénus, oui,je suis charnelle dans tout ce que je fais il est vrai. Manger, boire, aimer, je suis complétement dans le toucher, le "goûter". J'ai réalisé hier le plaisir que j'avais à boire du lait...*sourire* L'impression très forte que les papilles se dilatent comme caressées par le moelleux du plaisir lacté, et au lieu de le boire rapidement, je l'ai laissé envahir ma bouche. Plaisir du nouveau-né retrouvé peut-être... :)<br /> <br /> Bise Chris
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F
Ah, Chris ! Taureau, Balance. Vénus, ascendant Vénus. Amour ascendant passion. Ste Thérèse de Lisieux était Ascendant Balance, elle aussi était une vénusienne. Au moment de son agonie elle prononça ses dernières paroles : " Oh! je l'aime... Mon dieu je vous aime!" Voilà, l'amour jusqu'au dernier souffle...<br /> Etre romantique est une bénédiction, c'est regarder le monde avec l'écume de son sang, juste l'écume, le reste divin. C'est vivre et aimer l'amour jusque dans sa souffrance. C'est, ne jamais renoncer, et croire envers et contre tout que les élans du coeur nous conservent vivant...<br /> Tendre pensée, Franck.
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F
Bonjour Lechantdu pain, ton passage me fais plaisir. Ecrire des mots d'amour à une absente c'est, dans certains cas, les dire aussi aux présentes. On espère toujours que tout ne sera pas perdu. C'est comme une prière, on la lance en l'air et on ne sait pas ce qu'elle devient. Mais moi je crois que les prières, même si elles ne sont pas exhaussées, servent à quelques chose ou à quelqu'un.<br /> A Bientôt Lechantdu Pain<br /> Franck.
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F
C'est sans doute ce que je vais faire Coumarine, garder cette lettre, avec les trois petites photos. Dans l'écriture on expie toujours quelque chose. On répare. On dit trop tard, que eût fallu dire à haute et claire voie en son temps. On repasse un peu de peinture bleu sur des souvenirs un peu trop gris.<br /> Merci d'être passée, Coumarine, ici il n'y a pas de frontières, il n'y a pas peuples différents, nous sommes d'une écriture, d'une mémoire, et de quelques émotions volées de-ci, de-là, dans l'ombre des mots....<br /> Bises et bonne soirée<br /> Franck.
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C
...Il me restera un regret éternel, celui de n'avoir jamais reçu de lettre d'amour. Je suis une fieffée romantique, fleur bleue bêtasse sans doute, mais ça m'aurait renversé l'âme et le coeur...<br /> <br /> Magnifique lettre mon cher Franck, j'ai particulièrement aimé "Tu n'étais pas à prendre mais à recueillir", c'est superbement émouvant.<br /> <br /> Tendresse Chris
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