Voix d'outre-tombe...
Je l’ai dis, actuellement je suis à la campagne. En pleine campagne. Dans la maison familiale. Il y a de l’espace, de la verdure et quelques animaux. Chiens, chats, moutons, chèvres, les carpes de l’étang devant la maison, et Coco le perroquet. Coco à trente-six ans, en pleine force de l’âge. C’est un gabonais. Gris avec le bout de la queue rouge. Coco à intégré la famille il avait moins d’un an, c’est dire s’il en a vu des choses, des drôles et des moins drôles, des belles et des moins avouables. Coco parle, pas comme nous, mais à contre temps. Il parle selon son inspiration comme un poète, il n’est jamais là où on l’attend et se tais toujours quand on le sollicite. Il a un sale caractère Coco, pas méchant, mais l’on sent bien que le vacarme du monde l’exaspère, comme les chiens d’ailleurs, qui passent leur temps à s’agiter devant sa cage espérant grappiller quelques restes de nourriture. Coco n’aime pas les enfants, c’est son droit, on ne lui en veut pas pour ça. Car au fond c’est lui désormais la mémoire de la famille. Coco imite tous les bruits qui traversent son univers, comment les choisit-il ? Mystère. Mais Coco imite bien. Terriblement bien.
C’est quand il est en forme que cela se passe. Il n’a pas d’heures précise, sans doute l’atmosphère ou le besoin de communiquer quelque chose de particulier. Peut-être veut-il signaler aux vivant qu’ils ont (eux) la mémoire courte. Ou bien est-ce l’âme des morts qui l’inspire ; bref, brusquement Coco fait resurgir les morts de la famille. A chaque fois cela fait une impression très bizarre. Par exemple le rire si particulier de ma grand-mère, disparue il y plus de dix ans. Coco rit fort, avec cette voix de gorges largement ouverte qui par en saccades. L’espace d’un instant elle est vivante, elle est là, elle a toute sa place. Avec ma tante on se regarde d’un air entendu sans jamais décider si cette apparition sonore nous amusait ou nous désolait. Coco imite aussi le téléphone, mais il a du mal avec les nouvelles sonneries. Il en est resté aux anciennes. Le Drîînnnn…. fort et puissant. Coco est conservateur la modernité ne l’intéresse pas, il préfère les valeurs sûres. Alors, il sonne comme les vieux téléphones et selon son humeur, il y a un " allô ! " qui suit. A chaque fois on reconnaît la voix d’un disparu. Mon grand-père, ma grand-mère, mon oncle ou mon père.Cela aussi est saisissant. Pour mon père ce n’est pas la voix. Coco a choisit autre chose. Le bruit du ricard que l’on sert. Et dieu sait s’il en a bu du ricard, mon père. D’ailleurs il en est mort. Coco a eut du temps pour apprendre cette séquence de sons. Cling, cling….(les glaçons qui tombent dans le verre), gloup…gloup…( le ricard), ensuite l’eau, un gloup qui va en s’amenuisant, enfin des ting… ting, (les glaçons qui tintent dans le verre). Cette imitation de Coco, ne me fait jamais rire. Trop de souvenirs déchirés autour de ces sons. Souvent je me dis que Coco à retenu l’essentiel, qu’il a su sélectionner ce qu’il fallait ne pas oublier de mon père. Comme pour le rire de ma grand-mère. Coco ! Décidément tu n’es pas dôle. C’est comme quand tu refais les engueulades entre mamie Claire et pépé Georges. De longues séquences où l’on ne reconnaît pas les mots, mais seulement les intonations. Coco cri comme mamie, grommèle comme pépé On s’y croirait. Cela aussi, ne nous fait pas rire. Parce qu’il y avait du désamour entre tous les deux. Gabin et Signoret dans Le Chat. Coco est philosophe, il ne s’encombre pas de nuance, il va droit au but. Il met l’ergot là où la mémoire saigne, il met son bec sur les cicatrices pour décortiquer une fois de plus les croûtes. Tais-toi Coco. N’appelle plus les morts. Laisse-les tranquilles, laisse-nous tranquille. Coco s’en fout, il est comme Diégo : " libre dans sa tête. ". Il pourrait se contenter des gazouillis de la mésange ou du rouge-gorge, non, trop simple. Il va déterrer les souvenirs, en les rendant aussi vivant que possible. Parfois c’est terrifiant. Moi, je suis en dehors de ses imitation, je parle peu et je ne fais pas de bruit. Peut-être va-t-il s’essayer aux cliquetis des touches de l’ordinateur. Pourquoi Coco, ne te souviens-tu de ma mère que du début de cette berceuse qu’elle fredonnait parfois " Do Din… Do Dan… il est mort Bertrant, qui lo tua, c’est lo limace, quo fait sa caisse l’hommo d’Aix, son tro lu maigro, sa prièra quatre bergèras, Do Din… Do Dan…. "
Décidément Coco tu n’es vraiment pas drôle.
Franck