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J'irai marcher par-delà les nuages
20 juin 2005

La première nuit du monde....

Hier au soir la nuit était douce. Un peu de fraîcheur. La lune était presque ronde et sa lumière blanche faisait surgir les ombres alentours. Au loin les cris des chouettes, plus près, sur les bords de l’étang, ceux des grenouilles et des crapauds. La nuit nous parle. Longtemps j’ai regardé le ciel. Les étoiles. Combien sommes-nous sur terre à faire la même chose au même moment ? Mon intérêt pour l’astrologie m’a souvent poussé à planter mon nez dans les étoiles. Comme ça, sans chercher à les reconnaître ou à les nommer. Simplement regarder et se laisser envahir. Nous sommes rarement silencieux sous les étoiles la nuit. On se tait, mais la nuit nous parle. Alors il y a comme un dialogue secret. J’ai souvent essayé de retrouver l’impression première de ces hommes d’avant, devant ce spectacle de la nuit et des étoiles.

Au tout début ils sont dans la grotte. La nuit ils se serrent les uns contre les autres. Ils ont peur. Il y a bien un feu qu’il faut entretenir. Mais dehors….la nuit les bruits inconnus. Le plus courageux ou le plus seul sort parfois. En fait c’est le plus seul. Il sort et regarde les étoiles. C’est un mystère, mais il regarde fasciné. Ces minuscules incendies dans le ciel lui parlent. Lui, il répond. Il dit sa journée, sa solitude, ses espérances. A force de parler aux étoiles, il commence à les connaître, ce sont ses sœurs. Et ce ciel toujours pareil et à chaque fois différent. Les autres le croient fou, à sortir comme ça, toutes les nuits. Lui, souvent il pleure devant les étoiles, parce qu’il est seul et que les autres de la horde le rejettent. Chaque nuit il apprivoise un peu plus ces lueurs. Des éclats comme des yeux scintillants. Il restera mille ans dans cette fascination silencieuse. Mille ans à taire ses secrets, mille ans à cacher ses larmes. Surtout le soir, juste à la tombée de la nuit, à l’apparition de la première étoile, celle qui appelle les autres, elle est belle comme un pomme celle-là. Il sait dans son cœur qu’il l’offrira, cette étoile, à celle qui voudra bien l’accompagner, la nuit, loin de la grotte. Il restera mille ans à attendre sa belle qui jamais ne viendra. C’est pour ça que le ciel pleure, de temps en temps, les soirs d’étés

.Plus tard, après la grotte, il est sorcier, sage, il veille toujours sur la destinée des siens, ceux du village, les guerriers, les chasseurs, les cueilleuses, les enfants, les anciens. Ils comptent tous sur lui, pour soigner, comprendre, expliquer. Il sais désormais le monde, ils sait que chaque choses est habitée d’une âme, d’un esprit. Il sait que tout est vivant autour de lui, même les morts sont encore là, il les reconnaît dans le vol de l’aigle, dans les cris de l’ours, dans les feuilles qui bruissent dans le vent. Tout est vivant et l’orage lui rappelle son devoir de protéger chacun, et surtout le plus faible. Alors il veille. Il parle aux ombres. Pour leurs dire toute la difficulté de vivre, de survivre. Toute sa solitude. Il lit les étoiles ; il connaît leurs dessins, presque tous. Elles aussi sont vivantes, elles aussi sont tristes comme lui. Elles lui parlent, et lui, il invente des chants pour elles, pour les séduire. De longues incantations. Tristes. Certaines nuits il voudrait mourir pour rejoindre celle-là, à coté du soleil. Il trouve ça beau, les étoiles. Mais il ne peut pas le dire aux autres. Ils ne comprendraient pas. Alors chaque nuit il dessine des rêves dans le ciel, il raconte des histoires où chacune joue un rôle. Parce qu’il les appelle par leurs noms. D’ailleurs il aime prononcer leurs noms. Chaque soir il épelle un chemin différent du ciel, il chante une route d’étoiles toujours nouvelle, il invente, il peuple le firmament de ses mots, de ses chants, il serait presque joyeux, si ce n’était cette solitude. Mais il a jeté son âme au ciel et en retour, son cœur, sa chair, sa peau sont des champs constellés. Il a arraché une à une ses peurs et les a remplacé par des astres étincelants, c’est pour cela que ses yeux sont brûlés, c’est pour cela qu’il ne sait plus parler. Il ne fait que murmurer. C’est lui qui a inventé les prières, cette façon de s’abandonner entièrement, cette façon de n’être plus rien, d’être absent de lui-même. Une fois par an il demande à l’aigle d’aller déposer ses prières sur les étoiles les plus belles, les plus flamboyantes. Et puis celle-là, cette prière inachevable, qui parle des yeux éclatants de cette jeune femme, de ses cheveux soyeux et de son rire. S’il pouvait accrocher son rire là-haut… ? Il choisit toujours l’endroit du ciel le plus reculé pour que l’aigle y dépose sa supplique, et l’étoile la plus pauvre… parce qu’il sait qu’il faut être humble avec les astres. Et que la lumière c’est pour les siens, pas pour lui. Il sait que c’est là-haut qu’il ira un jour, le dernier jour, il sait qu’il a sa place dans cette partie du ciel si effondrée.

Je n’ai plus de grotte, plus de village, je ne suis d’aucun pays, aujourd’hui j’ai un clavier pour écrire, pour parler. Les calculs se font tout seul. Je manie les symboles, les concepts, pas toujours bien. Personne ne craint plus la nuit sauf les enfants qui savent tous, ou les vieux qui ont tout oublié, le monde est devenu tout petit, si petit que les esprits sont partis. On est écartelé entre le trop plein et le trop vide et de toute façon toujours poussé par le trop vite…

Et ce soir je regarde le ciel comme à mon premier jour du monde, et je suis toujours aussi seul. Ici le cri des grenouilles, là-bas le rire des chouettes, la nuit est pleine de voix. Oui je sais des étoiles aux couleurs singulières, je sais des étoiles à la voix mélodieuse, aux regards délicats, à la peau irisée de frémissants rayons. Je connais leurs histoires, leurs amours, leurs détresses, je connais leurs batailles, leurs échecs, j’ai appris à cueillir dans les marées du ciel ces gouttes de soleil, ces perles de lune, ces sanglots de comètes et pourtant ce soir je suis aussi seul qu’au premier jour du monde. Ce soir je suis d’une grotte, je sens monter en moi des hurlements sauvages, et je tends à la nuit mes mains rougies pour éprouver le souffle noir des cieux, et je tends mes mains rougies pour offrir mon sang, pour me déchirer l’âme, pour effacer ce mal qui court, là, sur notre terre. Ce soir je suis d’une grotte lointaine, et j’ai peur comme au premier jour du monde, peur, mais je suis vivant… vivant… vivant, nourrit seulement de ces cendres d’étoiles qui gisent dans ma chair.

Franck

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Commentaires
F
Lechantdu pain, je voudrais tant que tu ai raison,mais ête humain est si difficile, tellement plus qu'on le croit... chaque jour il faut recommencer... c'est sans fin....<br /> A bientôt<br /> Franck
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F
Merci Chris,Oui le ciel est peuplé, il est vivant et ce n'est pas pour rien qu'il recueille nos prières... Il faut les lancer très haut...<br /> Tendrement<br /> Franck
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L
Je me suis assis un peu au coin du feu pour t'écouter parler des étoiles; tu as réchauffé la grotte de tes mots. Ta communion avec la nature rend le vertige de l'inconnu plus humain. Le cri du cerf en rut me rappelle notre essence et se répercute dans la forêt sombre, celui du loup la vigilance et le tien la spécificité de l'être humain.
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C
*Applaudis* bêtement mais applaudis. Texte magnifique, ça devient une habitude chez toi! Texte écrit avec l'encre bleue, celle de la solitude est bleue, un peu plus pâle que celle de la souffrance mais de la même gamme. Mon coeur s'émerveille à l'évocation des étoiles, mais il s'est aussi pincé de ce que tu as transmis...Et moi j'ai envie de te dire de ne pas être triste et que comme disent les dictons "chacun à sa chacune sous ce ciel" et que tu vas la trouver...ou elle viendra à toi. Parce que chaque mot que tu lances est un philtre d'amour, et qu'il finira bien par enchanté celle qu'il faut à ton coeur où qu'elle soit...<br /> <br /> Bises Chris
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