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J'irai marcher par-delà les nuages
28 juillet 2005

J'ai des trous dans la mémoire des mains....

En ce moment je lis des textes, ici ou là. Des textes souvent durs. Il faut des mémoires en béton armé pour supporter des souvenirs comme ça. Moi je suis dans l’errance, enfin je crois. On n’est jamais sûr de rien. C’est comme l’amour, on ne sait jamais le définir. Alors on enroule nos mots comme autour d’un coquillage. Mais on ne dit jamais la vérité de l’amour. Parce qu’on ne la connaît pas. Dans mon errance je traverse ma mémoire.
Il a y des souvenirs qui ont une couleurs, vous les avez apprivoisés, vous pouvez en parler, vous savez qu’ils veulent dire quelque chose en regard de votre vie, ou de l’idée que vous vous en faites. Et puis, il y en a que vous ne savez pas dire. Ils n’ont pas leur place, parfois ils sont troués, incomplets. Ils ne disent rien, ou alors des choses obscures, ils sont en morceaux. Vous revoyez la scène, quelques lumières, quelques gestes, et puis il y a des trous. Les vides autour.

Quand elle est morte elle avait quarante deux ans. J’ai dons la chance de l’avoir toujours connue jeune et belle, ma mère. Parce qu’elle était belle. Tout le monde le disait. J’ai retrouvé une photo : elle est à Royan, sur la plage. Une photo noir et blanc. Elle porte un maillot une pièce à fleurs. Elle sourit à l’objectif. Elle a de larges lunettes de soleil.

J’ai habité Paris jusqu’à l’âge de sept ans, puis nous avons déménagé pour Marseille. Avant Marseille je n’ai pratiquement aucun souvenir.
En arrivant à Marseille elle a trente deux ans. Lui, mon père, est dans son ascension sociale. A paris mon lit d’enfant était dans leur chambre. Pendant sept ans j’ai été sourd. Mon sommeil fut de plomb. Aucun geste entre eux. Aucun soupir, aucun gémissement. Quand on veux pas entendre on entend pas. A Marseille j’ai ma chambre. Un soir j’ai entendu. D’abord des cris. Ma mère, lui. La dispute est violente. Toujours des cris. Je suis réveillé. J’ai peur. Je me lève. La porte de leur chambre est ouverte. Il la secoue. Elle est nue. C’est la première fois que je me rends compte que ma mère peut être nue. Il frappe. Elle crie. Il la jette sur le lit. Elle se débat. J’ai peur. Je repars dans ma chambre me cacher. Le temps passe. Des bruits à nouveau, des gémissements. Je ne sais plus ce que c’est. C’est plus le même danger. Je me dirige une nouvelle fois vers leur chambre. La porte est toujours ouverte. Lui il est couché sur elle. Entre ses cuisses. Elle le serre. C’est plus le même danger. Je ne comprends rien. Après je m’endors.

Il n’y avait pas d’affection visible. Lui, il ne me touchait pas. Jamais. Sauf pour les raclées. Il n’y avait pas de gestes entre eux. Pas de mots. Jamais devant moi. Pas la main sur l’épaule. Ou le regard dans regard de l’autre. Pas de noms rigolos. Rien.
On est dans la petite cuisine, ma mère s’occupe à nous servir. Il fait nuit dehors. Elle est face à l’évier. Il ricane. Je me souviens du ricanement. Il a toujours ricané. Même plus tard. Il avance sa chaise vers elle. Il peut la toucher. Je suis là je vois. Je mange. Mais je vois, je suis là. Là, papa ! Je suis là !Il soulève sa robe. Ils sont à deux mètres de moi. Elle cri. Pas très fort. " Le petit, Jean ! " Je vois ses cuisses. D’un geste rapide. Enfin je crois. Je ne suis plus très sûr de la rapidité du geste. D’un geste rapide il baisse sa culotte et glisse une main entre ses fesses. Je suis là. Alors je peux voir. Je ne comprends pas. Lui, il ricane. Elle se dégage. Je crois qu’elle rit. Je n’en suis pas sûr. Peut-être qu’elle rit. Je ne comprends pas ces gestes. Il y a en moi deux éclairs qui me traversent. Un blanc, un noir. J’ai mal au ventre. Je me souviens. J’ai mal au ventre. J’ai vu le geste. Je sais qu’il n’y a pas de douceur. Je sais qu’il n’y a pas d’amour, là, dans ce geste. Ce n’est pas un geste pour toucher, mais pour prendre. Je le sais, ça, d’instinct.

Et puis un jour j’ai dix ans. A peu près. C’est un dimanche puisqu’il est là. C’est l’après midi. Il fait chaud. Lui est en short. Ma mère a encore son peignoir. Il veut lui ouvrir son peignoir. Il ricane. Moi je suis assis sur la banquette. A chaque fois qu’elle passe, il veut lui ouvrir son peignoir. Je vois. Elle évite. Mais je vois ses jambes, ses cuisses. Je suis là. Ils ne se disputent pas. C’est un jeu. Je comprends que s’est un jeu. Et puis, je veux défendre ma mère. Je saute sur lui. Pour s’amuser. Et puis il y a une mêlée. On est tous les trois, dans une bagarre de jeux. Enfin, je croyais. Je m’acharne contre lui. Lui, il ricane. On est sur le tapis devant la banquette. Elle rit. Là j’en suis sûr. Lui il essaye d’ouvrir son peignoir. Elle secoue les jambes en l’air. Je vois. Entre ses cuisses des poils noirs. Beaucoup de poils noirs. Je ne comprends pas. Lui, il se défait de mes prises, et me pousse vers elle. Je me souviens le peignoir est complètement ouvert. Je me souviens, je veux que tout s’arrête, et je veux que tout continue. Il lui enlève son peignoir. Et il ricane. Elle rit. Elle gigote dans tous les sens. On est emmêlé. Moi aussi je gigote, je veux la défendre. Lui, il a mis sa main entre ses cuisses, là où il y a tous les poils noirs. Elle cri. Mais elle rit. Ma tête tourne. J’ai mal au ventre. Non plus bas. Dans mon pyjama, mon sexe, me fait mal. C’est ça. Le sexe. Il nous retourne dans tous les sens. Il est fort. Elle n’a plus rien sur elle. Ses seins, ses fesses, ses poils noirs. Dans la bagarre ma main touche son corps nu. Non, je ne peux pas, je ne veux pas. Non elle ne touche rien, ma main. Non, je ne touche pas ses seins. J’ai du rouge dans les yeux. Je ne vois plus rien. La rage. Je ne sais plus. Lui il s’amuse. C’est un jeu, il ricane. Il est essoufflé, et il ricane. Il me pousse toujours sur elle qui se débat. Il lui écarte les cuisses. Non, elle crie plus fort. Elle ne joue plus. Non, ma main ne la touche pas. Elle s’en souviendrait, ma main, si elle l’avait touchée. Elle a pris son peignoir et elle essaye de se couvrir avec. Lui, aussi il ne joue plus. Il est essoufflé. Je vois ses yeux. Je suis là, c’est pour ça que je peux voir ses yeux. Elle se relève. Le jeu est fini. J’ai dix ans. Je suis dans ma chambre. J’ai l’impression d’être troué. Je ne sais pas ce qui vient de ce passé. Lui, il jouait. Elle, aussi je crois. Moi, je ne jouais pas.

Je n’ai jamais rien compris aux jeux des adultes. Maintenant encore. Lui je ne l’aimais pas. Je l’ai su plus tard. Bien plus tard. Elle ? Je ne sais pas. Je n’ai jamais su sa connivence. Mais je crois qu’à partir de ce jour je ne l’ai jamais regardé comme avant. Ma mère. J’ai l’impression que toute une partie de mon enfance est partie, là, ce jour là. C’est un peu exagéré. Mais quelque chose c’est cassé ce jour là. Il m’a semblé que j’étais à coté de l’histoire, et pourtant en son centre en même temps. Il y a quelque chose de l’intime qui s’est passé. Que je n’ai pas compris. Que je ne pouvais pas comprendre. Souvent cette image de ma mère, nue, riant, s’agitant en tous sens s’est imposée à ma mémoire. Quelque chose de mon désir c’est joué ce dimanche. Tu comprends papa, je suis là, alors je vois, c’est obligé. Je suis là. Mais toi, tu ne vois pas que je vois. Et tu t’en fous. C’est impossible à voir. Tu ricane. Tes gestes sont laids, papa. Laid. On ne touche pas comme ça. On ne touche personne comme ça. On tend les mains, papa. On les tend, et un jour, une joue se pose dans leur creux. Un jour des lèvres les effleurent. C’est tout papa. On ne touche pas comme ça.

Franck

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Commentaires
F
Merci tgtgtgtg, ta brusque apparition ce soir, est comme vraie douceur, merci de ton passage, Oui, tu as raison comme une caresse.<br /> Bises, a bientôt<br /> Franck
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T
Je t'embrasse Franck, que te dire...de plus:<br /> La vérité de l'amour n'est pas dans ces gestes et dans ces expressions.<br /> Les enfants ne devraient jamais y être mélés.<br /> Je suis passée te dire bonsoir, doucement, comme une caresse.<br /> A bien plus tard!
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F
C'est exactement ça Angeline.<br /> Souvent tu dis cette phrase. Et hier en écrivant, je ne faisais qu'y penser. "Touche les mains avant les yeux".<br /> Je sais Angeline, je sais...<br /> Mais il faut le redire, le redire à chaque fois.<br /> "Touche les mains avant les yeux"<br /> Je t'embrasse<br /> Franck
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F
Oui, Nobody, on en fini pas de vibrer et de trembler de nos souvenirs, et la vie qui reste... qui reste à inventer toujours un peu plus chaque jour alors que chaque jour nos forces nous trahissent....<br /> Je pensais, que je n'avais pas de mémoire... et puis l'écriture....<br /> Bises<br /> Franck
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F
J ne sais pas Alix, d'où les enfant savent ces choses... bizarre aussi que beaucoup oublient ce que leurs instincts disaient enfants...<br /> La mémoire peu servir à ça...rechercher l'instinct premier....<br /> De quelle couleur était notre premier souffle ?...<br /> Bises Alix<br /> Franck
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