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J'irai marcher par-delà les nuages
30 octobre 2005

Ce que le printemps fait........

J’ai porté chaque jour ta voix. Vraiment porté, avec tous les muscles du corps. Jusqu’à la douleur. Jusqu’à l’épuisement. J’en ai fait mon sang. Jusqu’à l’empoisonnement. Entre toi et l’étoile il n’y avait qu’un souffle. Entre moi et l’étoile il n’y avait qu’un gouffre. J’ai porté chaque jour ta parole, la plus enchevêtrée, la plus fervente, la plus flamboyante, mais nul chemin ne mène de mon ombre à ta lumière. Mais nulle route nous destine. Aucun ciel nous espère. J’ai baisé sur tes mots les bords tranchants de tes cicatrices. J’ai semé dans tes champs, griffés de labours. J’ai semé dans tes veines de terre noire, espérant des moissons de couleurs. Je me suis fait chevalier, prince, roi, jardinier. J’ai sacré chaque aurore et béni chaque crépuscule. J’ai scellé dans les roses, en leur centre incandescent, quelques gouttes de rosée pour adoucir les feux de l’été. Je me suis fait pèlerin, bateleur, vagabond. Je me suis fait mendiant pour recueillir tes restes. J’ai chanté, j’ai dansé, j’ai ri quand il fallait rire. Et pleuré. Et pleuré. J’ai appris ton silence, ses épines, ses gloires, j’en ai fait ma nourriture, mon horizon. J’ai brassé mon attente pour en faire la voûte des jours à venir. J’ai martelé ton seuil, jusqu'à l’aveuglement. J’ai inventé des rêves à mes rêves et rajouté du manque à nos distances. J’ai accroché ma vie à la dérive du temps, et accroché mon cœur à la queue des comètes. J’ai effrité chaque saison, égrainé chaque heure, émietté chaque seconde pour en faire une allée assez douce à ton pas, où même ton ombre n’aurait pu se blesser. Je t’ai maudit, aussi, et détesté te maudire. Je me suis bannit, exilé, méprisé. Je me suis caché derrière mes propres ruines. Je me suis abîmé dans mes égarements, bu l’eau saumâtre de mes puits d’amertume.

Pourtant j’ai renommé chaque étoile pour t’en faire des pays, des voyages, des oublis, des processions, des fiançailles. J’ai inventé des mers, des orages. Avec mes nuages, j’ai dessiné pour toi des escaliers immenses, tendus vers le soleil. J’ai ramassé chaque brindille de nuit pour t’en faire des archipels exotiques aux odeurs de vanille. Et je l’avoue, j’ai désiré tes yeux, tes lèvres, la peau de ton cou, la forme de tes seins, la courbe de ton ventre. J’ai composé pour te rejoindre des caresses imaginaires, chimériques, faites de respirations prises aux cratères des volcans, ou dérobée à la voix abandonnée des saintes. J’ai désiré tes mains au creux des miennes. Simplement. Même tes larmes. Même tes peurs. Je voulais déclouer tes mots de tes souvenirs. Je voulais pour tes mots un ciel entier. Un ciel et l’océan pour les contenir, des vagues pour les mélanger, des écumes pour les orner, des tempêtes pour les dire. J’ai épuisé ma langue, en oubliant l’essentiel. J’ai cru que ma parole brûlait comme un cierge qui délivrait ses mots en consumant sa flamme. J’ai épuisé mes jours sans rien dire d’important. J’ai refait cent fois la route de la lune au soleil en fouillant tes mystères. Sans jamais rien comprendre. Mais entre toi et l’étoile il n’y avait qu’un souffle. Entre moi et l’étoile il n’y avait qu’un abîme. J’ai porté chaque jour ta parole, la plus enchevêtrée, la plus fervente, la plus flamboyante, mais nul chemin ne mène de ta lumière à mon obscurité. Tu avais l’abondante blancheur ourlée d’un grand lys, qui promène son auréole aux pieds des mondes crucifiés. Je n’avais que la grâce pataude de ces avancées frileuses, engourdies par les neiges trop lourdes de ses hivers trop longs. J’ai épuisé ma langue, en oubliant l’essentiel. J’ai oublié d’être poète et de dire avec lui, toutes les paroles en une seule suffisante :
" Je veux faire avec toi
Ce que le printemps fait avec les cerisiers. "

Franck/
Et P. Neruda

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29 octobre 2005

Pure perte......

clubbing_ange1

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Entre deux vies il faut inventer. La mort nous oblige souvent à inventer. Mais dans la mort, dans l’entre deux, il reste des traces. Des traces d’avant. La mémoire ne nous laisse jamais en paix. Même dans ses oublis. Il faudrait pouvoir revenir à la simplicité du sable, ou à l’écriture de sable. Sable. Sable à l’infini. Sable dans le jeu des vents, dans les brûlures des soleils. Sable dans le déploiement du même, dans la création perpétuelle de ses formes, dans ses déplacements, ses envols, ses glissements, ses enfoncements. Sable dans ses couleurs. Le sable se souvient qu’il n’a pas toujours été sable, qu’il vient d’ailleurs, d’autre chose et c’est cela sans doute cela qui me fascine. Il vient d’une usure, à ne pas confondre avec la décomposition. Il vient d’une usure, d’un épuisement et d’une résistance. Il est un souvenir. Trace. Il ne produit rien, rien d’autre que de l’éternité. Il ne fait rien, rien sinon engendrer des formes, des couleurs et du rêve. Du silence. On n’habite pas le sable, on ne peu que le traverser, comme les souvenirs, comme l’espérance, comme le malheur, comme un trépas ou une naissance. C’est lui qui loge en nous et qui tisse nos déserts et nos miséricordes, et qui crie nos vanités, nos orgueils, il entre dans nos blessures pour les élargir. Béance et solitude. Etendue morte où il faut enfanter et bâtir nos heures. Etendue d’attente et de renoncement.

Je suis revenu à Paris. Comme un voyageur sans terre. L’obligation de répondre aux appels, aux codes. Mais à Paris je n’ai plus de lieu. Alors, il a bien fallu trouver une solution. Estelle m’a proposé une cohabitation passagère. Estelle, généreuse et désespérée. Elle est toujours dans son deuil. Trente mettre carré. Trente mettre carré de générosité et de désespérance. On habite à trois. Estelle, le vin d’Estelle et moi. Les surfaces sont mal réparties. Le vin et sa parole ont pris toute la place. Estelle n’est plus là. Plus très souvent. Ne pas faire de bruit. Deux pièces, pour moi c’est important. Deux pièces. Dans la première une cuisine et une banquette. C’est là que je dors. Dans un sac de couchage. Trop petit pour ouvrir la banquette. Le sac c’est pratique. Dans la deuxième la chambre d’Estelle et un petit bureau. Sur le bureau j’ai mis mon ordinateur portable. Mais c’est la chambre d’Estelle. Ici c’est tout petit. Comme dans ma vie. C’est tout petit et surchargé d’objets. Sur les murs, sur les étagères, des objets qui s’empilent les uns dans les autres, qui se touchent les uns les autres. Comme des grains de sable. Ici, il faut être précis dans ses gestes, parce qu’on vite fait de renverser, de faire tomber, de déranger. Je ne sais pas si je dérange Estelle. Si, certainement. Je dérange certainement le vin d’Estelle. A trois, c’est encore plus petit. Chaque soir il est là. Il trône. Il occupe l’espace, le temps, il coule comme un déluge, comme une catastrophe, comme une tragédie. Essayer de parler, d’aider, de dire. Impossible. Pourtant je connais bien le langage du vin. Il a failli avoir ma peau. Et je l’ai vu sur la face ravagée de mon père. Père de vin, grimace de haine obscure. Parole d’effondrement, d’écroulement. Je le connais bien, le vin. Et me revoilà en face de lui. Egal à lui-même. Tristesse. Déferlement pathétique. Je regarde. Je me tais. Pourtant je lui ai déjà parlé à Estelle. Pour qu’elle entende. Pour qu’elle se sauve. Pour qu’elle arrête. Elle m’écoute avec l’oreille de l’amitié, et puis le lendemain tout est oublié. La bouteille est cachée. Pas très loin. Dans l’ombre d’une étagère. Aujourd’hui, j’ai été récupérer l’adresse d’un alcoologue dans le quartier. Je lui ai dis que si elle voulait, je pourrai l’accompagner. Mais, je sais que c’est inutile. Elle n’entend rien. Elle n’est plus là.

Hier, tout c’est passé en silence. J’avais le cœur pris dans un étau. Elle titubait. Butait, dans tous ses objets. Les objets moqueurs tombaient. Elle se raccrochait au vide qui l’entourait. Impossible à vivre. J’étais envahie de compassion inutile, et de colère inutile. Cette colère que j’ai gardée des cendres de mon père. Elle titubait. Même ses mots ne sortaient plus. Ils n’arrivaient pas à se dégager de la pâte collante d’où ils essayaient de sortir. Mots décomposés, en dehors de tout langage, de tout sens. Ecroulée sur la table, toussant, hoquetant, reniflant, pleurant. Et la tête qu’elle ne tient plus, qui se balance de droite à gauche. " Estelle.. Allez vous reposer…. " Entêtement du vin. Estelle s’accroche à des habitudes. Presque minuit, c’est l’heure de nettoyer la cuisine, les plaques chauffantes. Les nettoyer en détail. Cent fois passer l’éponge au même endroit. Tous les deux on est dans le silence. Il faudrait qu’elle s’arrête. Mais elle continue. Jusqu’au bout. Elle titube. Le verre se brise. La cigarette tombe. " Estelle…. S’il vous plait allez vous reposer… posez cette éponge… " Mais rien n’est fini, rien n’est assez propre. Les objets autour d’elle s’affolent. Ils volent, ils tombent. Je voudrais ne pas être là. Pourtant c’est bien là que je suis. En face d’un déluge. Ou d’une tempête de sable.

" Je sais ce que pensez….. " " Non, Estelle vous ne savez pas…. " Vous ne savez pas la dérision des instants qui se succèdent dans une vie. Vous verriez mes abîmes…. Elle a posé l’éponge. Elle s’est assise sur le banc. A coté de la banquette ou je suis empaqueté dans mon désordre. Je lis. Non, je fais semblant de lire. Je voudrais être seul. Moi aussi je voudrais mourir un peu. Ses yeux se ferment. Le coude glisse. On pourrait en rire si ce n’était pas une désespérance. C’est tout petit. Elle est là, posée à coté de moi. Je voudrais m’enfuir. Pas un mot ne peut être échangé. Je ne peux plus parler. Cela fait longtemps que je ne parle plus au vin. Le temps s’est étiré. Rien n’avance. Tout est figé dans cet accablement.

Il est tard, il est tôt. Elle se lève et s’effondre sur son lit. Il faut imaginer le corps qui refuse d’aller plus loin. Le corps qui coupe tout. L’écroulement des os sur la chair sans résistance.

Les jours passent et n’en ai pas encore fini de ma vie. Alors, entre deux vies il faut inventer. La mort nous oblige souvent à inventer. Mais dans la mort, dans l’entre deux, il reste des traces. Des traces d’avant. La mémoire ne nous laisse jamais en paix.
Ou revenir à la simplicité du sable, à l’écriture du sable. Est-ce possible ? Je ne sais plus vraiment. Une écriture identique est toujours renouvelée, vaste comme un océan. Solide et fluide et coulant, et portant. Poussière et mer. Une et innombrable.

Empaqueté dans mon sac, je suis transpercé par des déserts. Les anges me manquent. Ils ne passent plus dans ces paysages de dévastation. La nostalgie, c’est ce qui permet de remonter le temps, de nouer le présent avec le passé. De les nouer avec les fils de la perte et du manque. Oui, mes anges me manquent.

Ecriture de sable. Dépeuplée mais traversé de louanges. Dénudée, lente et minérale. Ecriture de sable où trébucher fait surgir d’autres créations. Ecriture du lieu élémental, archaïque. Le premier, donc le dernier. Donc le seul. Lieu limite, juste posé entre soi et la mort.
Mes nuages ne sont plus assez hauts. Trop proche des fumées d’usines. Même les anges les ont désertés.
Nous ne sommes que pure perte, croire le contraire nous rassure. Mais nous ne sommes que pure perte.

Franck.

25 octobre 2005

Prudence peut-être avec la petite fille.......

Il nous arrivait de faire quelques sorties. Souvent pendant ce mois précis de l'année. Où les Chemins de Croix étaient si beaux que cela résonnait face à ma toute jeune conscience de la foi, peut-être qu'il s'agissait bien de ça, la foi, appeler lorsqu'on avait besoin d'aide. Je trouvais ces endroits si beaux avant. Mais l'aide humaine n'était jamais à la hauteur contrairement à l'offense. La folie l'habitait déjà à l'époque, les folies les habitaient déjà à l'époque. Mettons ça sur le compte du pluriel. Ce n'était pas une étoile tombée du ciel, ce n'était pas une image, c'était un bloc, un gros rocher noir de plusieurs kilomètres de diamètres qui, tel l'aigle noir de Barbara, s'est écrasé dans la mer. Et les dégâts ont été considérables pour la planète. Qui avait besoin d'aide. La conscience de la foi était peut-être déjà en moi. Peut-être que j'étais déjà une meurtrière en puissance d'un Frère Roger quelconque. Il nous arrivait de sortir dans les chemins, en ville, et les marchés, où ça crie, les femmes un peu populaire, voire carrément hurlaient à qui voulait les entendre qu'elles vendaient les meilleurs poissons, les meilleures volailles, les meilleurs chaussettes. Des sous-marques disait sa femme, en noir souvent, pas musulmane mais la tête recouverte. Que tes cheveux sont jolis, il devait lui dire la nuit, lorsqu'elle lui refusait un rapport sexuel. Parce que...Parce qu'elle ne savait pas trop, elle n'avait pas envie. Peut-être qu'elle savait qu'il aimait les enfants. Toujours est-il que la folie était déjà en moi avant ce beau jour ou peut-être cette nuit. Elle arpentait le marché populaire d'un oeil humide cette femme, elle ressemblait à une ombre et elle me révulsait, c'était viscéral et je n'essayais pas de lui faire ressentir parce que ça n'avait aucune importance et parce que je ne voulais pas blesser les autres, même ceux qui me dégoûtaient. Elle lui refusait parce qu'elle l'aimait trop peut-être / Dans un petit restaurant en face du cinéma Denis m'a dit que de me rendre heureuse c'était le challenge qu'il s'était fixé et j'ai eu des pensées cyniques à son égard, en me disant que le pauvre ne savait pas vraiment de quoi il parlait. La folie humaine. Une folie à deux ? Deux salles, dont la deuxième diffusait des films improbables de séries Z me tentait bien, il faisait chaud, elle était climatisée. J'avais envie de l'embrasser et de lui dire de partir. De partir. Les folles qui sont des Hommes ne savent pas vraiment ce qu'elles veulent, comme si les couples unis, avec enfants et maris savaient ce qu'était l'amour. Apparemment, oui, ils savent. Des étoiles ? Non, des étoiles sont des étoiles. Et des blocs qui tombent du ciel sont des blocs qui tombent du ciel. C'est évident. Il paraît qu'il y a une forte demande en ce qui concerne la rêverie des fées, la vie réelle est de plus en plus dure, il paraît / Nous étions dans le temps de l'amour, et nous caressions nos corps de nos voix les plus intimes. Je lui racontais la blessure à l'intérieur, et il me racontait son âge. Car il avait la cinquantaine. Et j'avais à peine vingt-et-un an. Il était cultivé. Il était charmant, et il avait même un charisme puissant. L'amour avait une couleur pourpre, même les fleurs ont besoin de musique pour vivre, tout ce qui vivait à cette époque avait besoin d'amour. Et Edgar avait des airs d'Al Capone. Cependant je l'aimais. Il était doux, attentionné, patient. Il avait peur pendant l'amour, il résistait, sans vraiment résister mais ça revenait tout de même au fait qu'il ne savait pas bien se positionner par rapport à la jeunesse de ma personne toute entière. Sa jouissance était cachée à lui-même et à moi-même pour la simple et stupéfiante raison qu'il tenait absolument à me faire jouir tout en s'oubliant. Il existe encore à notre époque des femmes de ce genre, avant certainement beaucoup plus, elles avaient le pouvoir de renverser des rois mais attendaient que leur mari fasse ce qu'il avait à faire et puis dormaient dans l'ennui de leur vie. Une vie de Maupassant. Il était un homme comme ça, il effaçait sa jouissance comme si ça effaçait son âge et il se sentait trop vieux pour elle et pour moi. / Il lui arrivait de déposer sa pudeur au fond de l'église et ressortait vêtue de simples terreurs camouflées et ténèbreuses, presque de l'ordre de la Charogne pourrissant dans les cimetières, ceux que vous aimiez tant et qui dansent avec les ancêtres sous la forme de sacs d'os. De fines sandalettes, une jupe longue sur la peau Crépuscule de ses jambes, un chemisier blanc sur sa poitrine nue, sans maquillage, sans bijoux, ça ne lui avait même jamais trotté par la tête, avant, elle a dû, c'est vrai, ensuite, apprendre à les aimer ces broques parce qu'elle avait un métier où elle devait, comme une hôtesse d'accueil dans une bijouterie, être avenante avec les clients. Comme dans une bijouterie. Pendant ce temps-là, la convoitise, elle s'en rendait compte, mettait le monde à l'envers. Elle était dans un non-temps absolu, de toute puissance et cette puissance était froide car elle venait des glaces de l'enfer. En pleine saison des brûlures, elle pleurait d'une manière théâtrale sur scène. Elle était belle, le beau chemin de croix lui disait qu'elle était belle, dans la glace éternelle, et reflétait quelque chose de terrible et de sombre à la fois. Intérieurement, elle ressemblait à une sorcière, encore et toujours, de plus, on lui disait d'aller se faire interner, on voulait la mettre de côté, elle et les gens comme elle, car elle devait produire des effets qu'elle ne comprenait pas bien elle-même, la convoitise foutait le monde en l'air. On lui disait de la fermer, elle devait dire quelque chose d'important et en effet ça l'était. / Elle tournait sur elle-même faisant voler sa jupe et souriait en tenant sa petite voisine par les bras, la faisant tourner avec elle. Lorsqu'il arrivait, prêt à travailler la terre car il était paysan, elle arrêtait, et disait discrètement à la petite de partir. Elle ne voulait pas qu'il pénètre la petite, en plus d'elle. La parole dans la gorge, renfoncée, son oncle lui avait dit une fois : tu ne diras rien. Comme si c'était dans le Beau Chemin de Croix, et comme si c'était la voix de Dieu. Elle essayait d'aimer Denis ou un autre homme merveilleux mais bon, à son travail on avait découvert récemment une chose stupéfiante et très très dangereuse : elle écrivait sur des gens réels ce qu'elle avait entendu de leurs bouches et vus de leurs actes. Ils ne toléraient pas la liberté qu'elle s'octroyait avec les codes des rapports humains qui pour la plupart, baignaient tous dans une onde de mensonge qui devait être très ancienne comme le mal de Dieu pour réussir à drainer autant de monde de nos jours encore. Intérieurement, elle pleurait bien sûr, mais sans avoir envie qu'on la console, ni qu'on l'emmerde d'ailleurs. Alors pour aller mieux, elle écoutait la musique idiote du groupe R.E.M, rapid eyes movement, la phase de rêve active pendant votre sommeil. / Il venait poser sa tête au creux de mon cou comme si mère nature était tombée d'accord avec les pharaons d'Egypte et les gens du Pas-du-Calais, les ch'tis, beaucoup d'inceste là-bas et d'alcoolisme, beaucoup aussi. L'androgyne était une guerre à lui tout seul, et son corps de fille blessé avait enfanté d'une âme sans sexe, l'androgyne devait peut-être mourir, les animaux sentent, le sentent, comme les tremblements de terre, à l'avance, et les sirènes sonnent, et Denis partait sans que ma tristesse ne m'accable, j'aurais dû me sentir vide, mais non, son départ était son départ et je ne me sentais pas vide qu'il m'abandonne, au contraire, j'étais comme heureuse, soudain, de retrouver ma solitude qui s'appelle écriture. Je couche avec elle. Je la suce, et souvent maintenant, c'est elle, de plus en plus, elle me suce. Elle est belle, Ecriture. C'est quelqu'un de bien. Avec elle, la liberté ne me fait plus sentir vide. Ou en tout cas, la chose est plus supportable. C'est quelque chose de douloureux mais c'est un amour qui est éternel, pour ceux qui savent ce que veut dire le mot éternel, je pense que ce n'est pas sur vos terres que la réponse va être positive. / Des regards qui s'échangent sans que je m'en sente bouleversée, des peaux qui se frottent simplement pour sentir tout ce sang retenu depuis des années, plus définitivement dans un dessein qui m'échappe encore totalement, mais qui peut prétendre être le porte-parole de l'amour, et de la parole de Dieu, j'ai vu ce qu'était ce Beau Chemin de Croix et j'ai vu vos Maisons à l'extérieur, et je vois ce qu'elles sont à l'intérieur et je les vois encore, et je les verrai encore jusqu'à mon décès, proche je le sens, et c'est mon don, en quelque sorte, c'est aussi ma malédiction. Qui peut prétendre que le temps était rouge, et que le temps était à l'inaugurations des histoires qui se finissent, et de l'intime qui s'offre, des amours débarassées de toutes graisses imparfaites ? / Je tournais sur moi-même avec ma longue jupe dans laquelle, si j'en avais ressenti le besoin, cet après-midi là de bonne humeur et de soleil, j'aurais pu cacher le corps d'une petite fille entre mes longues jambes de gazelle.

Les lionnes attendent avant de passer à table.

Prudence peut-être avec cette petite fille jetable.

ANGELINE

23 octobre 2005

Simple et vacillante......

Il nous arrivait de faire quelques sorties. Rarement. Elle se trouvait bien dans notre petite maison au milieu des champs, entre nulle part et le désert des humains. De loin cette maison semblait flotter au-dessus de la verdure des prés. La nuit, lorsque les lumières étaient allumées, elle donnait une impression étrange. Une lueur sortie du vide. Une étoile tombée du ciel.

Un petit restaurant où nous avions nos habitudes, en face, le cinéma. Deux salles, dont la deuxième diffusait des films improbables de séries B. Nous étions dans le temps de l’amour, et nous caressions nos corps du bout de l’âme. L’amour avait la couleur d’un vitrail inondé de soleil. Et Isabelle avait des airs de madone. Pourtant, elle vivait la chair de façon ambiguë, en résistant, sans vraiment résister. Sa jouissance lui paraissait toujours un peu suspecte, un peu effrayante. Pourtant elle s’y abandonnait avec délices, avec la même foi qu’elle mettait dans ses prières. Il lui arrivait de déposer sa pudeur au fond de l’église et ressortait vêtue de simples désirs transparents et sensuels, presque charnels. De fines sandalettes, une courte jupe sur la peau blanche de ses jambes, un tee-shirt sur sa poitrine nue, un peu de rose sur les lèvres, un peu de noir aux yeux soulignant son regard brillant de Lilith improvisée. Elle était dans son temps de toute puissance. En pleine saison des brûlures. Elle était belle, dans son impudeur, et reflétait quelque chose de maladroit et d’insolent à la fois. Elle tournait sur elle-même faisant voler sa jupe et riait de monter sa culotte. Elle rougissait et venait poser sa tête au creux de mon cou. C’était le temps des amours éternels. Des regards qui s’échangent hors du temps, des peaux qui se frottent simplement pour se sentir exister plus fort, plus définitivement. C’était le temps rouge, le temps des odeurs d’épices, et de la nudité qui s’offre, des baisers humides. Elle tournait sur elle-même faisant voler sa jupe haut sur ses cuisses, dans l’insouciance de son rire, dans l’évidence de la lumière qui lui refusait l’ombre, de crainte d’assombrir, ne serait-ce qu’un instant, l’éclat de ses vingt ans.

Nous avions nos habitudes dans le petit restaurant. La table au fond, dans l’angle de la banquette. Ses yeux brillaient, débordant de malices, et nos mains se serraient pour s’assurer de l’autre, et de son infinie présence. Indéfectible présence. Soirée d’été et d’étoffes moites. Sous la table ma main caressait sa cuisse. Soirée chaleur, soirée touffeur, soirée de fièvre. Ma main sur sa cuisse. Ma main brûlait. Toi qui riais. Chair offerte, chair ouverte à peine cachée par la nappe. La conversation qui s’effiloche, les mots qui se séparent, les phrases qui s’épuisent de ne rien vouloir dire. Mots décousus, chairs décousues. Et ma main au bord de ton intime. Terre de feu. Ma main sur la bouche mystique de ton ventre qui s’ouvre, et de tes cuisses qui s’écartent. Grappe juteuse. Chair juteuse d’une flamme pressée comme une orange sanguine. Temps d’été. Temps des amants, des gestes indécents, à peine cachés. Et tes joues rouge sang et mes doigts jouant entre tes plis secrets, entre tes peaux mêlées, avides et déjà imprégnée des plaisirs à venir. Mes doigts sur les paupières du ventre, sur l’œil de ton ventre. Sur la bouche de ton ventre. Bouche muette, bijou sanglant, pétales de chairs mouillées par les rosées crépusculaires. Mes doigts au centre de tes chairs nocturnes et bourdonnantes où scintille un brasier d’odeurs océaniques blanchies de désirs. Un désir que mes doigts dénouent en tirant sur les fils de lune et d’or qui le retienne. Bouche muette et gourmande, qui dévore mes doigts, les mâche avec douceur et profondeur, les aspire. Salade de chairs de fruits sauvages. Satin cramoisi. Le rubis électrique de ton ventre vibre et frisonne comme la corde de l’arbalète tendue, bouton de fleur qui attire et respire des arcs-en-ciel entiers. Diapason donnant sans retenue le " là " de nos effleurements. Cela pourrait durer des heures. Ta jupe est remontée sur ton ventre, ta culotte sur tes genoux. Pénombre du lieu. Gestes obscures. Tortillement. Nos corps s’agitent dans des poses instables. C’est du feu. Et tu jètes des regards affolés pour voir si l’on te voit. Tu t’accroches à la crinière d’un songe interminable. Ma main se tord pour fouiller ton onde vibrante, pour trouver un salut, une issue. Eau bénite de ta source qui lave mes péchés. Seuil des terres d’asile. Tes jambes sont écartées et tu pousses ton ventre. Ton eau sent l’amour jusque dans nos assiettes. Et ta main presse la mienne. Et ta main force la mienne. Plus loin, plus fort, plus désespéré, au bout des chairs de silence et d’écume. Oui, au bout.
Quelles sont loin les prières, les églises. A moins que nous soyons au centre de l’offrande. A moins que ça soit cela, les vraies prières. Peut-être que ton ventre offert est une église. Folle Isabelle. J’aime ta folie. Parce qu’elle est douce comme les premières brises de printemps, douce et insensée comme les sauts de vents dans les peupliers. Oui, tu es une église et je joue sur l’harmonium de tes chairs, croches, doubles croches et jusqu’au point d’orgue. En amour un silence vaut un soupir. Puisque le temps n’existe plus.

Il y avait peu de monde ce soir là. Et personne n’a remarque nos jeux sous la nappe. Enfin, je crois. Quand tu m’as offert ta jouissance j’ai cru assister à un envol de milliers d’oiseaux. Tu t’es caché dans ta serviette, et ton ventre s’est serré. Tes cuisses ont pressé jusqu’à la dernière goutte l’instant vermillon. Ta jouissance était belle, parce qu’elle était dérobée aux anges, aux dieux, elle était belle parce qu’elle avait le goût de pomme. Dans l’hémorragie de ravissements, j’ai reçu cette part rare, que l’on reconnaît qu’après avoir traverser mille vies. La part de joie. La part des anges.

Isabelle sans jupon, tournant dans le soleil avec aux joues le rouge de sa honte gourmande. Isabelle, au goût d’orange sanguine. Isabelle impudique et ouverte, transfusant ses tentations sucrées dans mon sang noirci. Isabelle, comme un territoire de mystères, de landes et de bruyères et de vents qui apportent les folies et les prières. Certains jours mes nuages recomposent ses formes et dans le bleu du ciel je peux voir flotter sa jupe polissonne sur ses cuisses de soleil.

C’était le temps des coupes pleines que par insouciance on pouvait renverser. Bien sûr cette nuit se poursuivi, mais l’essentiel est là. Dans l’instant arraché.
C’était le temps des coupes pleines. Aujourd’hui c’est le temps creux des sécheresses, et les brûlures qui viennent sont inguérissables.

J’ai un goût de violon dans la bouche.
L’entendez-vous ?
Il vient de si loin, il s’est épuisé à traverser les temps, les orages, les absences, les déraisons, les abandons, les cassures, les brisures, les déserts, les solitudes, les abattements, les exaltations, les passions, les espoirs. Il a tout traversé, et il surnage, et il survit, et il s’essouffle. L’entendez-vous sous les cendres ? L’entendez-vous sous les feuilles qui tombent des arbres dans les aurores automnales ? L’entendez-vous sous les mots qui s’échappent encore de moi ? Dite-moi que vous l’entendez, ce violon. Dites-le-moi…
Je ne suis pas une âme calleuse qui cherche l’absolution au fond des abbayes. Je suis une âme perdue qui hante et erre, la nuit.
Et qui pleure ; pas assez.
Et qui prie ; pas assez.
Une âme simple et vacillante.

Franck

22 octobre 2005

Par où s'écoule ce qui me reste......

Puisque c’est sans fin…..

J’ai reçu le monde dans un enchevêtrement absolu. Définitif. Une confusion, un désordre. En fait, je n’ai pas été invité le jour de ma naissance. Ce jour là je n’étais pas là. Ailleurs. Déjà. Ils ont fait un paquet à mon attention, qu’ils ont déposé dans l’endroit transpercé de la vie. L’endroit ouvert à tous les vents. Ils l’ont laissé là, en attendant que je passe le prendre.
Et j’ai du oublier de passer. Je n’ai jamais été là. Même aujourd’hui. Il aurait fallu me faire naître. Au moins une fois. A la place j’ai erré dans des limbes opaques et ténébreuses.

Alors c’est sans fin, puisqu’il n’y a pas de lieu.

On vous plante l’enfance avec des clous. Comme le grand crucifié. Lui, le père, il n’aimait pas les enfants, pas plus le sien que ceux des autres. Elle, la mère était dans la déraison de son amour effondré. Ses vingt ans sont tombés sur le sol comme un sac de billes qui se déchire. Alors elle s’est absentée de sa parole, de ses gestes, de sa lumière, elle est devenue sa femme. Jamais ma mère. Elle lui a donné son temps, sa peau, ses cuisses, son ventre, mais son âme d’oiseau s’était déjà envolée. C’est une tragédie miniature. Tous les jours cela se passe ainsi. Une tragédie insignifiante. Une goutte d’eau qui s’éclate un rayon de soleil. Quelques éclaboussures de lumière, et puis, plus rien. Elle aussi, n’était pas là le jour de ma naissance. Personne. On ne peut pas habiter un lieu où il n’y a personne.

On vous plante l’enfance dans le sang, avec des clous. Des clous de silence. Les plus longs, les plus pointus. Ils rentrent facilement dans la chair de l’enfance ces clous là.

Car ils brassaient du silence. Les mots tombaient comme un verre qui se brise. Et les bords coupant des mots blessaient tous les rires, tous les élans. La moindre joie se tranchait la gorge sur les morceaux coupant des mots tombés, des mots brisés.

Dès qu’on marche, on apprend à passer de pièce en pièce dans la plus grande transparence et à déposer de temps à autre sa misère sur le sol. On jette des cubes ou des osselets, on ouvre un livre cent fois ouvert, on apprend à user chaque chose, chaque instant, chaque saison, on apprend l’attente vaine. Et les nuages défilent, se font, se défont, au gré des vagues grises d’ennui, qui se déversent au creux des jours sans fin, où le silence règne en maître absolu.

Voilà, j’ai été condamné à rêver. A rêvasser, même. J’ai collé ma face d’enfance sur la vitre du monde et la buée de mon souffle à envahie mon horizon. Comme un brouillard entre le monde et moi. Un brouillard sur lequel mon petit doigt dessinait des formes absurdes, des signes cabalistiques, qui me permettaient de glisser, sans trop d’encombre, sous la surface âpre et rugueuse des heures.

Aujourd’hui encore, puisqu’il n’y a pas de fin.

Tous mes mots sont en vracs, posés là. Je voudrais m’endormir dessus. Je voudrais qu’ils soient comme un tapis dansant, un matelas de paroles douces et aimantes. Je voudrais qu’ils s’ordonnent dans le sens de mon rêve. Changer de tristesse. Changer de ciel. Les prendre un par un. Toujours les même mots. Les regarder à nouveau. Les essayer dans une parole. Les passer à la lumière du jour. Voir leurs reflets. Kaléidoscope de mémoire. Cendres. Parole en cendres noires. Scories des heures perdues. Des mots en formes de reste.

Je les prends, je le reprends, les pèse, les soupèse. J’en cherche le centre de gravité. Je les mets dans ma bouche, pour en goûter l’amertume, l’acidité. Les peser, c’est bien là la question. Dire le bien, dire le mal ou ne rien dire. Ou redire, sans cesse. Les paroles du Bien n’ont pas de poids dans la balance. Sauf les gestes arrachés, dénudés, dépouillés. Le mal est lourd et compact. Lui, il pèse. On cherche un instant de paix. Un seul instant. Mais l’on se noie dans la lenteur orgueilleuse des océans. Les grands édifices de l’espérance, drapés dans leurs manteaux solennels, sont à l’agonie et brûlent sur l’autel pétrifié de nos cœurs. Rien, rien ne tient, même la chair humide des femmes n’adoucit plus l’absence, ni le désordre des mots. Ni le bien, ni le mal qui ronge. Ni l’oubli.

Il reste la grâce, qu’on confond souvent avec la lumière. Pour aujourd’hui il reste la grâce. La grâce, c’est marcher sur le fil des mots avec une ombrelle rouge. C’est se couper la langue et boire son sang après chaque mensonge, la grâce c’est écrire dans la neige pour l’éternité, c’est tracer dans le sable le visage de l’amoureuse, ou celui de dieu, c’est le corps joyeux du papillon jouant dans les corolles transparentes du vent. La grâce c’est avoir le cœur percé, comme il existe des paniers percés. Le cœur percé qui laisse s’écouler nos offrandes. Pour ne rien garder. Rien.

Celle-là, portait la grâce comme un diadème de feu.

Je lui ai dis : Dieu sourit quand on lui désobéit avec le cœur pur, il sourit. Comme lorsqu'il surveille les enfants. Le désir pur, du cœur et du corps est une aubaine pour lui, il ne se nourrit que de cela. Sois heureuse de ton désir. Offre ton corps à ton bien aimé, fait lui ce beau cadeau d'être une femme amoureuse, langoureuse. On reçoit par le cœur, mais par nos chairs aussi. Elles s'épanouissent et s'ouvrent comme des fleurs pour qu'on les respire. Dieu sourit parce que c'est le temps des amours purs, le corps se vide de nos maux inutiles, du vacarme de nos paroles vaines pour faire une large place. Aussi large qu’un ciel étoilé.

Je lui ai dis ces paroles de sable et de nuages, qui ne sont que des murmures que j'égraine comme un chapelet.

Je n’ai jamais été là. Même aujourd’hui. Il aurait fallu me faire naître. Au moins une fois. A la place j’ai erré dans des limbes opaques et ténébreuses. Des silences cloués sur le corps, par où s’écoule ce qui me reste.

Franck

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16 octobre 2005

Du ciel, je vous dis...!

On a tous des enfances blessées, des adolescences trouées, des vies chaotiques, décousues, disloquées. Pour la plus part d’entre nous. Cette semaine, dans le métro. Quelque chose s’acharne, insiste, ponctue, scande, martèle, quelque chose bat la mesure. Ce n’est pas le cœur qui bat. Plutôt nos chairs qui viennent cogner contre la vitre du monde. Là, dans les secousses du wagon. Je vois mon reflet dans la vitre du monde. Entre deux stations. Dans ces tunnels à répétition. Je vois trop de gens en ce moment. Des foules. Des visages. Des centaines, des milliers. On regarde et on ne voit rien. Personne, sinon son propre reflet dans la vitre, entre les stations. Image de soi, transparente. Presque rien. En fait, rien. Un rien qui glisse dans la lumière des jours. Des riens qui se heurtent à l’épaisseur de nos néants. Elle a le regard froid, dur, fermé, lui est trop raide dans son costume froissé, celle-ci bouge la tête avec son baladeur sur les oreilles, l’autre est pressé, celle-ci s’est trop parfumée, lui s’endort, l’autre lit le journal à coté de celle qui lit un roman d’amour, lui est assis sur sa valise, ils sont de toutes les couleurs, blancs, jaunes, noirs, bruns. De toutes les couleurs et pourtant le même silence. L’absence est de toutes les races. L’exil à la même saveur amère. Eux, sont ensemble et se taisent, lui, regarde la jeune fille, l’autre se croit déjà au bureau, celle-là est encore dans son lit. Toutes ces faces absentes qui ne disent rien. Puisque se taire est la règle. Puisque rien, est la règle. Celle-ci révise ses cours, lui relit son rapport, l’autre lève les yeux au ciel cherchant un prince hypothétique, lui regarde ses pieds. Toute une humanité en marche. En transit. En absence. Les regards se cherchent pour mieux se fuir. Ne pas e voir. Ne pas se reconnaître. Comme si nous étions honteux, d’être ici, d’être ensemble, là. Celui-ci entre et débite son message à haute voix, presque dans un seul souffle, presque dans un cri. Pour s’en débarrasser, du message, de la honte, de la notre. L’autre a une guitare et des paroles de dérisions, sur sa vie, sur la notre, il fait vite pour passer ensuite dans l’autre wagon. Il a des trous dans le vacarme. Pas des silences. Des trous.

Et au plafond tous les rêves collés. Ca fait comme une pellicule de sang brun. Ca fait comme un grand chagrin. Sans forme, sans odeur, sans bruit. Quelque chose s’acharne, insiste, ponctue, scande, martèle, quelque chose bat la mesure. Presque huit jours sans écrire. Sinon des notes. Quelques mots arrachés ici ou là. Le wagon secoue les chairs, les os. Presque huit jours sans écrire. Avec du manque et de l’épuisement Pas de la souffrance. Du manque, seulement. Ma bulle résiste et ça fait comme un trouble. Une sensation étrange. Comme si je repartais de rien, et cette idée me convient. Repartir, c’est ne jamais arriver. C’est puéril. Entre deux stations. Et mon reflet dans la vitre, un reflet qui ne me dit rien. Ici ou là j’ai lu dans les blogs des désarrois d’écritures. Des blogs en suspends, certains qui reprennent, d’autres qui se posent, se reposent, d’autres encore qui voudraient arrêter. Lieu mouvant d’écriture. Lieux émouvant d’écriture. Petites maisons de douleur et de joie. Quotidien des souffrances et des espérances ponctuées par des mots, des petits paquets de mots lancés dans la mer, derrière l’écran. Expiation dérisoire. Exorcisme vain. Des mots cent fois usés, cent fois jetés. Dans la vitre il y a mon reflet, et pas de mots. Je suis dans un lieu sans parole sans langage. Sinon celui des corps muets. U espace sans issue. Même ma rêverie est plombée, noircie. Les portes s’ouvrent, il y a ceux qui descendent, et ceux qui montent. Comme dans la vie. Se croiser et ne rien dire. Surtout ne rien dire. Se croiser dans nos peurs, nos délires. Se serrer dans ce cortège d’ombres errantes. Grand écoulement d’humanité en marche vers où ? Grand flot inassouvi. Il n’y a pas de fin, dans ces faces effarées, belles ou moches, ou maquillées, ou apprêtées, ou banales. Faces posées dans le repli et la distance de ces mondes clos. Celle-là a les yeux rougis par des larmes, et ces deux là qui se bécotent, leurs bouchent qui se cherchent dans les secousses du wagon. Foule serrée, vidée. Foule sans colère, sans haine, seulement épuisée d’elle-même. Las d’elle-même. Foule serrée dans ses humeurs. Sans rage. Et sans espoir, et sans révolte. Seulement secouée en cadence, penchée du même coté du virage, cramponnée à la même barre, vidée de la même vie. Bruit des roues sur les aiguillages, qui n’aiguillent vers aucune destination, sinon celle du soir, de retour, de l’éternel retour à la même place. A la même vie.

Ses paquets sont encombrants et lui, tient bêtement son bouquet de fleurs. Mains qui se touchent et s’excusent de se toucher, corps dandinés, ballottés, regards chaussures, regards plafonds, regards fenêtres. Vies de pluies et d’imperméables. Agitation silencieuse et pressée. Aller vite, surtout vite. Les portes s’ouvrent. Courir. S’échapper vite au plus loin. Et ne jamais se retourner sur cette désespérance. Courir vers d’autres accablements, d’autres battements, d’autres affaissements. Au bout des couloirs il y a toujours des wagons qui attendent les âmes ombreuses qui embarquent comme sur la barge de Charon, sans mémoire, sans demain. Et pour ponctuer la dérision ce violon qui jouait Brahms, un solo du concerto pour violon. La musique résonnait sous la voûte des couloirs. Un morceau qui m’arrache des frissons à chaque fois que l’entends. Musique du ciel. Du ciel, je vous dis ! ! C’est un monde ou les larmes n’existent pas. Pourtant ce violon, qui parlait du ciel au fond de ces catacombes. Du ciel, je vous dis ! !

Franck

7 octobre 2005

Allures......

L’image de l’homme à cheval. Comme la métaphore de l’écriture.
J’ai galopé dans mes mots. J’ai eu ces moments d’ivresse que la parole écrite suscite quand elle s’affranchit de la pesanteur, quand l’air de la langue vient fouetter l’intérieur du corps. C’est vrai qu’il y a quelque chose de grisant dans le déferlement en cascade de cette parole éprise de sa liberté, de son mouvement naturel. On ouvre les portes et on se lance dans ce galop échevelé. L’air vient faire comme une musique à l’oreille du cœur, les parfums sortent des mots comme des fleurs qui éclosent, fruités, musqués, poivrés, printaniers, capiteux, tout ensemble. Dans ses galops la phrase traverse la lumière comme rayon en surcroît, trajectoire de reflets de lueurs, comme si l’encre incendiait le blanc de la page, comme si derrière le blanc il y avait des étendues infinies à conquérir. Oui, j’ai connu la cavalcade des mots dans le désordre de l’âme, l’exaltation et le vertige des sons, des musiques. Tout est là, tout est dit. Les mots écument, soufflent, crinière au vent, et à chaque foulée on sent dans le corps le mouvement de balancier de la course, le bercement vigoureux de l’échappée libre, de l’échappée belle. Oui, il m’est arrivé d’être dans le galop de mes mots, d’en sentir la puissance dans mes muscles et de pousser la vitesse jusqu’à l’emballement, au-delà de la chevauchée pour aller plus vite encore, pour s’envoler, extase frénétique du lyrisme, comme si la vitesse créait un envoûtement. Le soleil bien en face. Comme un point de fusion, et le galop des mots droit dedans. Droit dans cette jouissance cavalière.

Le plus souvent j’ai connu l’allure plus chaotique du trot. Où l’équilibre de la parole vacille. Epuise. Le corps de la langue devient lourd, maladroit. Chaque mot cherche l’autre mot auquel il veut se raccrocher. On est dans un temps saccadé. Secoué. Toujours au bord d’une chute. Impossible allure. Douloureuse allure, qui tire sur les muscles. Chaque pas sauté tasse un peu plus l’âme et le cœur sur les os du dos, du ventre. Les gestes sont moins sûrs, et l’horizon disparaît. C’est une écriture cassée, essoufflée, périlleuse, usante, harassante. La langue nous secoue comme l’animal, l’animal en soi, l’animal qui tremble entre vos jambes. Ecriture de labeur, de doute, de chancellement. La plume se raccroche à la page, qu’il faut creuser, buriner, tarauder. On sent le malaise d’être instable dans ses mots. Sans tenue. Ballotté. Il y a dans l’écriture du trot quelque chose d’intenable. D’irréel. De funambule fou qui aurait perdu son balancier. Pour le cheval, le trot, n’est pas une véritable allure. C’est une allure de transition. Dans la nature les chevaux ne trottent pas. L’écriture du trot n’est pas une véritable écriture, elle vient seulement user la chair. L’encre bouillonne, et laisse de grosses taches d’inachevé dans la parole offerte, dans la parole écrasée. Et c’est de cet écrasement dont il faut ressortir. C’est là, dans l’impossible tenue qu’il faut chercher son centre. C’est là, quand les forces s’épuisent, qui faut tenir l’animal. Mieux, encore, c’est surtout là, qu’il ne faut pas le blesser, avec des coups de mains sur les rennes. C’est qu’il faut ne pas casser les dents de la monture par des gestes brutaux. C’est juste là, dans ce désordre qu’il faut trouver le reste de stabilité, et l’aplomb des mots. Sentir leur poids et ne pas chuter. Ecriture de chaos, de douleur. Apprendre à lâcher, quand l’instinct dicte à tous vos muscles de se crisper, de se raidir. Oui, je la connais bien cette écriture du trot, quand les mots s’écoulent de vos doigts gourds, comme l’eau d’une source d’eau trop pure. Je connais bien ces brûlures du muscle du cœur qui pompe du vide pour s’extraire du néant. Enlever les étriers, rajouter de l’instable au déséquilibre, accepter de perdre. De se perdre. Sans lumière et sans gloire. Sans soleil à traverser. Sans ciel à conquérir. Mot après mot, arraché à l’effondrement du corps, arraché au silence.

Il est une autre allure de l’écriture, celle du pas. Du pas, droit et digne. Serein. Marcher " droit " en équitation est un acte plus compliqué qu’il n’y paraît. C’est une allure complexe, qui n’a rien à voir avec le relâchement ou la promenade. Marcher droit, c’est marcher juste. Il faut que les postérieurs du cheval viennent se superposer à l’empreinte laissée par les antérieurs. Ni trop avant, ni trop après. Ni à droite, ni à gauche. Juste dans l’empreinte. Et le dos droit. Cette justesse s’obtient, lorsque l’animal mobilise toute son énergie. Qu’il est, comme on le dit, dans l’impulsion. C’est à dire décidé à engager toute sa puissance sous sa masse. L’impulsion c’est cette volonté franche et directe de vouloir se porter en avant. En avant, mais juste. En avant mais contrôlé. Le mot tombe dans l’ombre du pas de celui qui le précède, chargé de sa propre densité et dans la toute puissance de la langue. Une langue souple, sans raideur. Vraie. Il faut avoir assez de folie dans le sang pour consentir au pas, droit. Droit dans sa vie, droit dans ses rêves. La parole du pas est la dernière à venir. Parce que la plus difficile. La plus âpre. C’est celle qui demande le dépouillement. La mesure. C’est celle qui appelle les forces les plus grandes puisque les moins visibles. Il y a dans le galop l’illusion des soleils couchants. Il y a dans le trot, la douleur jusqu’à l’insupportable, jusqu’à la répugnance. Il y a dans le pas, le silence invulnérable d’une sagesse qui se déploie. Sans hâte. Sans chagrin. Simplement être là, avec l’animal, dans le travail de la langue, appelant chaque mot par son nom, par sa couleur ou son odeur, ou la trace qu’il laisse sur le bord d’un nuage, ou dans l’eau d’un ruisseau. Ecrire le pas, c’est avoir traversé sa vie ; mille fois être mort, pour renaître à chaque aube. C’est brûler sans rien incendier. C’est aimer sans regret. Et être dans cette impulsion de la parole qui cherche devant, sa récompense, simplement dans ce mouvement d’aller en avant, calme, dans l’équilibre des sons, des images, dans la retenue du souffle. Ecrire le pas, c’est supporter un soleil et les planètes qui tournent autour, c’est construire un monde pour l’offrir. Le pas s’invente à chaque pas. Il n’est jamais le même. Puis qu’il est consentement, puis qu’il est totalisation, comme le murmure, comme l’aveu, comme la prière.

J’ai souvent galopé dans ma parole. Inconstante et sauvage. Et j’ai dans le cœur des chevauchées éperdu. Mais j’ai dans l’âme le calme tendu du pas. Du marcher droit. Du marcher juste.

Franck.

6 octobre 2005

Elle était déroutante.....

Page d’un souvenir. Un livre qui s’ouvre au hasard. On laisse glisser sous le pouce les pages du livre, toujours à l’envers. On remonte les mots. Les phrases. On revient vers le titre. Parfois le pouce se crispe un peu et le défilé des pages s’arrête. Au hasard. Alors on cueille ici ou là quelques mots dans l’espoir d’être saisi ou appelé. Et le pouce lâche. Et le défilé des pages reprend De la fin au début. Comme ces souvenirs qui reviennent aujourd’hui. Le pouce de ma mémoire vient se crisper.

Elle s’appelait Pascale. C’était une âme brûlée. Un mélange d’urgence et de nonchalance. Durant quelque mois nos routes se sont croisées C’était, il y a longtemps. Pascale était brune. Magnifique. Tout en rondeur et en harmonie. Un éclat de lumière noire. Des yeux sombres, une bouche gourmande, sensuelle et un rire sorti tout droit des enfers. Un jour j’ai posé ma main sur la sienne, et elle simplement dit " non ", avec un sourire bordé d’une infinie tendresse. Mais elle m’avait laissé dans le trouble, l’émotion, comme si elle avait jeté un voile d’ombre sur nos deux cœurs. Un voile de soie noire, où l’on pouvait voir le soleil en transparence. Pascale voulait être actrice. Comédienne en fait. Elle me disait qu’elle aimait cette peur qu’elle éprouvait sur les planches. Une peur qu’elle apprivoisait, qu’elle dominait au fil des tirades. Pas comme cette peur d’enfance qui parfois la submergeait. Le souvenir de sa mère suicidée sous un train. Et un père invisible. Translucide. Pas comme ses peurs d’adolescence avec les premières mauvaises expériences de la sexualité. Une sexualité brutale, volée, comme des fleurs arrachées et jetées parterre. Elle ne savait plus dire si elle avait été consentante. Elle avait eu peur. Après elle avait pleuré. " J’ai regardé ce sang qui coulait sur mes cuisses, j’ai regardé ce sexe qui ne m’appartenait plus… j’avais peur que le sang ne s’arrête pas. " Sur les planches elle se sentait entière. Comme une vraie femme. Elle m’avait dit non, et puis elle s’était presque excusée. " J’aime Paul… " Et elle a déposé un baiser sur ma joue. Un vrai baiser de joue. Long et tendre.
Elle est venue habiter chez moi. En amie. Elle ne connaissait personne à Paris. Pour chercher un cours, Paris c’était mieux. Alors elle a déposé son sac. Elle était jeune mais savait déjà l’errance. Rassembler sa vie dans une valise pas trop lourde. Elle savait les consignes de gare, l’entre-deux portes. A vingt-trois ans elle savait toutes les formes du regard des hommes sur elle. Elle savait toutes leurs paroles. Le savait se défier, se méfier, s’esquiver. Elle a posé son sac et s’est endormie sur la banquette. Tout de suite. Pour rattraper un siècle de sommeil. Recroquevillée comme un enfant perdu. Epuisée. Rêvant sans doute de tragédie antique et d’applaudissements. Ou d’une mère. Ou de Paul. Moi j’ai veillé sur son sommeil. C’était mon rôle dans cette pièce. Veilleur. Sentinelle. Elle était belle Pascale, avec ses cheveux noirs qui lui couvraient la figure et sa bouche entrouverte. Elle dormait. Elle était une île et j’étais l’océan.

Après, je lui ai donné ma chambre. Je voulais qu’elle soit bien. Pascale allait et venait sans contrainte. Elle partait le matin et rentrait une heure après ou douze heures après. Parfois en pleine nuit. Elle était déroutante. Chaleureuse, presque tendre et l’instant d’après distante. Volubile et enjouée, puis silencieuse. Très silencieuse. Grave. Absente. Discrète mais d’une présence absolue. On ne pouvait pas ne pas l’aimer, à cause du feu. Elle semblait brûler l’air qui l’entourait. Innocente ou ingénue, on ne savait jamais. Elle traversait la lumière comme une ombre étincelante. Elle m’avait dit " non ", alors nous n’en avions plus reparlé. Je me contentais d’être un veilleur attentif. Souvent, le soir quand nous parlions, elle devenait triste, brusquement. Et les larmes perlaient. Elle posait sa tête sur mes genoux et s'endormait. Je caressais ses cheveux, presque en tremblant. Pour ne pas effrayer ses rêves.

Paul était son amour. Il est venu plusieurs fois la voir à la maison. Il habitait la province. Loin. Elle, elle voulait être comédienne à Paris. Au premier regard ils paraissaient ne pas aller ensemble. Pourtant elle l’aimait c’était l’évidence. Il était instable, fragile, il était tout pour elle. Elle était sa mère, sa sœur, son amante. Elle le portait, et le ramassait lorsqu’il trébuchait. Elle le secouait quand il se laissait aller à quelques démons, l’alcool ou d’autres filles. Elle le menaçait mais avec tellement de douceur. Elle se moquait des autres filles, parce qu’elle savait ce qu’il devenait quand sa bouche touchait son sein. Et Paul repartait.

Elle était déroutante, Pascale. Comme ce matin là, où j’ai traversé la chambre pour aller dans la salle de bain. Ce matin là, où elle dormait. Nue. Les draps repoussés au pied du lit. Elle était allongée sur le dos, un bras replié au-dessus de sa tête, les cuisses nonchalamment ouvertes. Et la lumière du jour passant au travers des doubles rideaux, colorait de rose sa peau. Elle était belle Pascale dans son sommeil. Elle dormait comme une reine. Mon cœur battait. Ce corps si beau. Posé comme une offrande du jour. Je ne bougeais plus. Fasciné. Ses seins lourds s’écartaient légèrement, sa respiration lente faisait frémir son ventre et ce sexe. Aux poils noirs et drus. Touffu. Un sexe fait pour les caresses, les baisers, la damnation. Elle avait dit " non ". J’ai pris le drap et avec mille précautions j’ai recouvert ce corps. Le corps de Pascale. Elle était une île, et j’étais naufragé. Le drap comme une nouvelle peau. Après ma douche j’ai retraversé la chambre. Elle s’était tournée sur le dos, le drap avait glissé et découvrait ses fesses. Rondes. Belles comme un soleil. J’étais en feu. C’était presque douloureux, comme lorsque le cœur se mêle au sang, se mêle au corps. J’ai refermé la porte. Doucement. Elle était déroutante Pascale. Dormait-elle ou non, je ne l’ai jamais su. Il ne me reste que cette image d’un corps de femme nue, posé sur un lit comme une gerbe de fleurs sauvages. Un corps de printemps dans le soleil du matin, un corps de vierge obscure et brûlante à la fois.

Elle était déroutante. Comme ce jour, où rentrant à la maison elle se trouvait en grande conversation avec une autre fille. Une amie d’enfance. De pension plus précisément. Claudy. Elles étaient assises sur le tapis et semblaient être dans la joie des retrouvailles, des souvenirs. Claudy était une fille pleine de charmes. Très mince, presque maigre. Sans poitrine. Elles étaient déroutantes, dans leurs souvenirs. Presque les mêmes. Il semblait que je n’existais plus dans cette pièce. Les même souvenirs. Un père pour l’une, un beau-père pour l’autre. Je ne le savais pas. Je le découvrais. Là. Pascale ne m’en avait jamais parlé, de ce beau-père. De ses mains d’homme sur son corps d’enfant. Pas vraiment violée, mais souillé à jamais. Blessée. Cassée. Déroutante lorsque qu’elles se sont embrassées. Là. Devant moi. Un baiser d’une tendresse inouïe. Un baiser qui n’en finissait pas. J’étais troublé. Pascale tenait la tête de Claudy et je voyais leurs langues se mêler, leurs lèvres s’écraser, leurs bouches se boire. Je me suis éclipsé dans la cuisine. Un long moment. Puis, je suis revenu. Elles étaient allongées nues sur le tapis. Leurs corps emmêlés. Soudés dans une étreinte irréelle. Quand elles m’ont aperçu, elles se sont simplement dénouées, et redressées, sans cacher leurs nudités, avec un naturel déroutant. Je ne savais que faire. Rester. Partir. M’enfuir et les laisser seules.

Pascale s’est levée, a enfilé une chemise sans la fermer, elle s’est approchée de moi et à déposer un baiser sur ma joue. " Tu peux rester…. Je veux que tu reste… " " Pourquoi ?… " " Chut !… Tais-toi… reste, n’en profite pas, mais reste… ". Elles ont disparu dans la chambre. J’ai défait la banquette. J’ai essayé de dormir sans y parvenir. Je me suis assoupi. Le jour commençait à blanchir. Et Pascale est venue se glisser à coté de moi. Elle s’est serrée tout contre. " Non, Franck, seulement comme ça…. Comme un frère et une sœur…Comme deux amis…". Son corps a brûlé ma peau. Comme une torture. Elle était si proche. Si collée à moi, que ses seins s’appuyaient sur mon torse, que ses jambes s’enroulaient aux miennes, que son sexe frottait ma cuisse, que son souffle frôlait ma gorge, que sa tête pesait sur mon épaule. Non, je n’ai pas dormi. Quand j’ai touché sa toison elle a simplement écarté un peu plus les cuisses. " Doucement… fais doucement… " Elle s’est glissée sous mon corps, et quand j’ai voulu baiser ses lèvres elle a seulement détourné la tête. " Pas la bouche… " Elle m’a accueilli dans son corps. Lentement. Au plus profond de ses chairs. Lentement. Dans un incendie. Lentement. Elle appuyait sur mes reins. Lentement. J’étais au plus près de sa source, ivre de ces instants qui m’échappaient. Elle était là, dans moi, et moi dans elle, et pourtant elle était si loin. Où étais-tu Pascale ? Dans quel ciel ? Dans quelle galaxie ? Ses cuisses se sont nouées dans mon dos, ses bras m’ont serré terriblement fort. Alors ce fut une trouée de lumière, une fulgurance. J’étais devenue une île, elle était l’océan, et ses vagues battaient mes côtes, mes digues. Elle était l’océan qui montait sa marée du plus profond de l’horizon. Elle venait de loin Pascal. D’un pays inconnu. Plein de mystères. De silences. Elle voulait être comédienne, elle voulait Paris, elle aimait Paul, et Claudy, elle n’avait jamais d’heures pour rentrer, et là, elle était dans la profusion de sa chair, de ses eaux, elle était don, cadeau, richesse, opulence, elle était le déluge, le débordement, la fournaise, toutes les saisons à la fois. " Pas la bouche... " Mais elle donnait tout le reste, presque avec rage, comme pour franchir une ligne imaginaire, comme pour atteindre un pays, une frontière, un espace. Sa chair s’offrait avec ce voile de désespérance et d’exaltation, de frénésie. Où étais-tu Pascale ? Où allais-tu ? Nos sexes se sont cognés, nos ventres se sont heurtés, nos sueurs avaient le goût salé des tempêtes, nos râles racontaient les orages. Et ta houle à tout emportée. Tout. Tout.

On a dormi longtemps. Lentement. Claudy nous a réveillé avec du café. Pascale a déposé un baiser sur ma joue. " J’aime Paul…tu comprends, alors c’était juste cette nuit. Promets-le-moi…n’abîme rien….. "

Elle est restée trois mois. Nous n’avons jamais évoqué cette soirée, cette nuit. Elle a repris ses vadrouilles, ses absences, ses mystères…

Un jour elle m’a dit qu’elle déménageait, qu’elle allait habiter avec une copine de son cours de théâtre. Parce que Pascale voulait être comédienne. Elle aimait cette peur, sur les planches face au public. Elle disait qu’elle se sentait entière dans ses instants. Elle a bouclé son sac. Elle a tiré la porte. Je vois encore son sourire triste au moment de partir. Elle a tiré la porte.

Nous sommes téléphonés quelques fois. Puis, tous s’est éteint.
Je l’ai aperçu deux ou trois fois dans des téléfilms. Des seconds rôles.
Elle était déroutante Pascale. Je l’ai profondément aimé Pascale. Elle a laissé une trace de soie noire et incendiée entre les pages de ma mémoire.
Parce qu’elle était déroutante, Pascale.

Franck..

5 octobre 2005

Comme écrire......

Revenir sur l’errance. Comme une boucle infinie. Un chemin qui perd sa trace. La route s’absorbe dans la fin d’un rêve. Dans les glissades de la fin d’un rêve. Partir sans jamais arriver. Puisqu’il n’y a pas de lieu. Jamais. Sinon les lieux de la route empierrée de l’âme. J’ai mis le ciel dans mes yeux au plus près de mon sang. J’ai fais briller des étoiles au plus près de mon ventre. Il m’est arriver de prier des dieux en exil. J’ai soufflé dans les couleurs des fleurs pour éclairer ma nuit. Je crois même avoir pleuré certains soirs sur la peau de quelques souvenirs. J’ai surtout jeté des mots au hasard.

Sur la route de l’errance il me faut sans cesse passer entre deux grandes statues. La blanche et la noire. L’amour et l’insondable solitude, et consentir à ne pas entendre leurs chants, et consentir à baisser les yeux pour ne pas brûler les derniers souffles. Baisser les paupières du cœur pour appeler à mon secours des silences de pèlerin.

Ici, c’est une mer de verdure sévère. Une verdure de tempête. Une verdure de gros temps. Les bois viennent mourir dans les champs en écumant leurs dernières branches. Sans rage, mais dans la puissance sereine des grandes marées. Des embruns de verdures s’éclatent dans les deniers rayons d’un soleil d’automne. Un soleil épuisé de ses feux. Appauvri de sa gloire. Au bord du naufrage. Lui aussi voudrait prier. Lui aussi voudrait consentir. Et ses forces l’abandonnent.

Je suis ici le temps d’une escale. Entre deux vies. Entre deux souvenirs. Comme aux temps des oasis et des déserts. Je suis dans l’entre de moi-même juste au- dessus de l’os. Que je voudrais curer une dernière fois. Le blanchir de mes mots.

Sortir de l’errance, du flottement, de ses vagues.

Ici c’est une verdure immense, impossible à décrire. Des monts, des vallons comme une grosse mer houleuse. Je flotte. Elle m’a dit : tu flottes. C’est quoi flotter ? Le flottement, c’est toujours le risque de l’errance, c’est souvent être rejeté sur des rivages inconnus. Le moment entre les lieux. Même entre les lieux du corps. Dans l’absence de soi. Dans ce mouvement qui tire vers l’extérieur. Dans un lointain. Dans un lointain sans forme, sans borne. Comme une chute. Je flotte dans un mouvement inconnu d’où ma voix ne sort pas. C’est un silence cassant comme l’oubli. Ce n’est pas un exil. Le flottement c’est un oubli. L’exil vous tient dans la tension, la colère, le ressentiment, la trahison, l’injustice. L’oubli n’a pas de forme. On est sans lieu, sans autre. Suspendu. Vidé du sang. Bousculé par les mouvements erratiques des heures, des humeurs, des regards. Comme une hémorragie, une perte de substance. Et cette envie d’hurler, de crier. Et toute cette ré-ingurgitation comme s’il fallait ravaler sa vie. Chaque heure, chaque jour. Là. Dans ce lieu hasardeux, sans frontière. Et l’on voudrait appeler, s’ancrer dans la chaleur d’un regard. Mais le flottement est un lieu qui n’existe pas, où nul ne peut vous voir..

" A quelle station tu t’arrêtes ? "  " Là-bas… Plus tard…L’autre là-bas… " " La prochaine ? " " Non, jamais la prochaine…. Mais l’ultime, l’extrême. Je suis de la dernière station, celle qui vient après toutes les autres. Au-delà des voies… Là où nul passager ne monte. Je suis du pays des landes, des bruyères froides du cœur. "

Pourquoi cet effondrement, cette coupure, ce glissement des chairs de l’œil et de l’âme, ce frottement de l’absence sur les mots de la langue, cette parole qui ne sait plus s’arracher ?

Ici, dans cette verdure brutale, il y a quelque chose d’écrasant. Une présence absolue.

Alors je marche. Pour m’arracher au flottement je marche. Comme j’écris. Pareil. Pour retrouver le corps et le souffle. S’immerger dans ces forêts grandioses. Comme écrire. Pareil. Le corps qui s’arc-boute dans l’épuisement des muscles. Comme ces mots déterrés, extraits de mes restes. Le corps qui retrouve sa puissance. Sa rage vitale. Sa survie dans la douleur des muscles asphyxiés. Comme la prière offerte aux lèvres d’un mourant. L’extrême tension du corps. Ces noces obscures du silence et de la solitude. Marcher sur ces pentes infinies couvertes de forêts drues. Comme écrire. Souffrance primitive et sauvage du corps dans le vrai sang des muscles. Souffrance sans recours. S’arrêter. Continuer, trouver la limite. Etre dans la limite. Et au-delà. Ces marches épuisantes ne sont plus un effort, mais une lutte. Comme écrire. Quelque chose se rassemble, là, dans un instant qui efface tout. Tout. Monter encore, pour finir. Rechercher la pente la plus droite, la plus éprouvante, la plus absurde. La plus féroce. Comme écrire, et rechercher le geste le plus droit. Maintenant mes pieds, mes mains s’accrochent. Mes genoux aussi. Ne pas glisser. Ne pas perdre les mots et leurs lumières. Coller à la paroi de cette montagne. Coller aux battements du cœur et du sang, toujours, qui jaillit dans mon corps. Comme écrire. Tendre. Projeter mes membres vers une douleur plus grande, plus absolue sur la pente. Le corps collé. Hors de moi et totalement moi. Dans la rage. La colère. S’arrêter. Impossible. Fixer un point là-haut, pour y jeter ce qui me reste de souffle. Même la mort est vaincue dans cet effort. Simplement l’instant qui rassemble tout. Qui totalise tout. Tout ce qui restait au fond de ma mémoire. Etre dans l’instant du premier geste. Du seul geste. Comme la phrase qui s’arrête parce qu’elle attend du silence une consécration. Fixer un autre point. Un arbre, une pierre, une branche, une souche. Et toujours la rage pour survivre à l’essoufflement, au feu du corps. A l’incendie qui brûle ma tête et ma poitrine. Comme écrire. Comme aimer. Et gagner une fois de plus sur l’errance et le flottement.

Et maintenant le sommet. Et son ciel.

Comme écrire ou prier. Ou simplement pleurer comme un enfant. Sans raison. Seulement à cause de la lumière et de cette joie incoercible d’être en vie. Le corps détruit de souffrance mais rayonnant d’avoir survécu à l’asphyxie. Comme écrire. Comme écrire.

Franck.

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