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J'irai marcher par-delà les nuages
2 décembre 2006

Ignorants....

L’amour échappait à nos mots. Seuls quelques gestes l’éclairaient. Il nous fallait cette ignorance de nous-même. Comme si les mots pouvaient chasser la présence. Il fallait n’en rien dire. Délimiter un espace inattaquable. Peut-être pour se préserver de l’incommensurable banalité.  Entretenir l’incroyable. Comme au début lorsque je la voyais traverser une pièce et que j’avais cette sensation que le réel tremblait, que j’étais entre deux espaces et que de la voir, elle, me demandait d’ajuster mon regard à ce qui le débordait. Une sensation électrique. Fugace. Troublante.

Parfois nos visages se rapprochaient. Nous fermions les yeux. Presque à se toucher. Sans se toucher. Sentir la seule Image_20d_Oedipe_20et_20Antigoneprésence. Proche. Avec le souffle, la respiration. Parfois elle passait sa main sur mon visage, comme une aveugle qui découvre un inconnu. Doigts légers. Dire l’amour dans ce silence aveugle. Eteindre tous les sens pour concentrer l’unique présence dans cette caresse. Ouvrir les yeux nous aurait annulé, effacé, anéanti.

Nous restions dans la pénombre de nos vies, à caresser les galets du temps. Pierres lisses. Ombres aiguës. Temps sans mesure. Temps de houle où les vagues se balancent de vagues en vagues, portées simplement par le mouvement mystérieux qui les enlace.

Elle brodait des caresses sur la dentelle de nos songes silencieux. Et nous étions dans l’ignorance sensuelle d’une distance impraticable. Proche, sans se toucher, à la portée d’un désir inavoué. Armés seulement de nos tremblements, pour survivre. Moi, l’Oedipe accomplissant le rêve d’Antigone. Aveugle errant, comme la métaphore d’une humanerie.

L’amour bredouille des litanies incompréhensibles, faites du frottement de la parole sur la peau d’un sein, de la coupure des mots à l’endroit du mensonge.

Nous aimons à travers nos blessures, c’est pour cela que les amants s’échangent leurs sangs, c’est pour cela que l’amour échappe aux mots. L’amour naît toujours d’une nuit d’hiver, dans le dénuement d’une saison morte. De nuit. Toujours de nuit. Et nous aimons toujours au travers d’un souvenir ancien. Et nous aimons toujours comme si nous voulions le retrouver. Comme s’il fallait le retrouver. L’urgence de renouer avec le sacrifice premier, qui nous révèle et nous détruit en même temps. La première nuit. Aimer c’est tenter de la rejoindre, dans l’ignorance de nous même. Et remonter le fleuve de nos générations.

Et les corps démentaient nos silences. Et nos corps déniaient nos souffrances.

Recommencer. Recommencer. Pour ne pas mourir. Ou pour mourir plus vite. Epuiser la langueur, fille de nos peurs. Recommencer à aimer. Encore une fois. La dernière. La seule.

Et l’amour se dérobait à nos regards. Comme à nos mots. Comme à nos vies.

Simples. Ignorants. Et tremblants.

Franck.

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Commentaires
F
L'évidence du geste Lubna, réside aussi dans le fait qu'il nous enlève toute parole, donc tout mensonge... le geste parfait l'innocence...
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F
Merci, "S", de ce retour de lecture... c'est important, très important...
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F
Oui, Charlotte, recommencer c'est peut-être notre seule digné... cette constance dans la quête...
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L
l'expression de ce geste aveugle...oui c'est exactement comme celà, enfin comme celà que se contourne, que se touche , que se découvre à nos doigts le visage aimé...<br /> un geste comme un onguent , comme un effleurement, comme un apaisement, comme une recherche, comme une parole muette lourde de sens . ce geste est précieux, presque divin
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S
Presque une semaine après la première lecture... l'émotion toujours intacte, nichée dans le silence amoureux.
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